Les jeux qui tentent de mélanger les genres sont légion : SuperMash, Indivisible, Into The Breach… Parmi eux, Loop Hero est unique et fascinant. Mêlant mécaniques de deck-building et un gameplay Rogue-like, le tout assaisonné de combats automatiques, il réalise l’exploit d’être non seulement digeste, mais aussi addictif au possible.
Le titre, développé par Four Quarters Team et publié par Devolver Digital (toujours dans les bons coups), est un excellent exemple de ce que peut donner une carte blanche offerte à un studio. Le terme « gameplay unique » est souvent utilisé pour définir un jeu proposant des éléments de gameplay venant de genres différents. Mais jamais il n’aura été utilisé avec autant de pertinence que pour parler de ce Héros de la Boucle.
Bâti sur un scénario empreint de nihilisme (mais aussi d’espoir) sur fond d’un monde voué à la destruction, le jeu a beaucoup à offrir, surtout aux joueurs qui cherchent un défi hors normes. Vous devrez ici reconstruire un monde brisé, tout en jouant aux cartes, vous élancer dans des boucles temporelles et découvrir des mystères dans ce mashup de Rogue-like/RPG/Stratégie.
(Test de Loop Hero sur PC réalisé à partir d’une version commerciale du jeu)
Héros de la boucle de gameplay
Loop Hero est difficile à cerner, et pour comprendre comment il fonctionne, on doit d’abord être sûr de savoir ce qu’est une « boucle de gameplay » : il s’agit d’un terme décrivant les activités qu’un joueur va faire dans un jeu vidéo. La boucle inclut un objectif, un challenge et une récompense. Exemple simple : dans n’importe quel jeu Mario, un objectif peut être d’écraser un Goomba, le challenge est de maîtriser son saut, et la récompense, l’obtention de pièces. Et on recommence encore et encore, en boucle. Loop Hero joue avec cette notion avec un brio rare.
Décrire la façon dont on joue à ce titre tient presque de la gageure. Mais rien n’arrête le brave rédacteur de New Game Plus. La boucle de gameplay principale est littéralement… une boucle. Une fois la classe de votre personnage choisie (Guerrier, Voleur ou Nécromancien), le héros se met à errer sur une route de son propre chef, combattant des monstres qui apparaissent sur son chemin au début de chaque tour de jeu, un tour correspondant à une journée. Le combat est automatique, et se déroule en vue de côté, souvenir de l’époque glorieuse de Final Fantasy premier du nom. Chaque ennemi vaincu abandonne derrière lui des items, et plus important encore : des cartes.
Ces cartes peuvent être de diverses natures : marais, cimetière, village ou repaire de vampires (entre autres), chacune pouvant faire apparaître des ennemis spécifiques. Elles peuvent être placées sur la route du joueur pour ajouter des améliorations et des affaiblissements sur la map de jeu, engendrant de nouveaux adversaires et coffres au trésor, ajoutant des soins et d’autres buffs ou debuffs, et des matériaux pour améliorer votre camp de base. La boucle est donc : combat, items, cartes, enrichissement de la map, combat, items, et la mort. Mais une subtilité est à retenir : le jeu étant plutôt sympathique avec le joueur, lorsque vous décéderez, vous conserverez 30% de vos ressources durement gagnées, ce qui n’est pas rien, vous le comprendrez vite…
En effet, plus les tours vont passer, plus les monstres vont se multiplier… et vous allez donc mourir. À chaque décès, vous vous réveillerez dans un campement où vous rencontrez les autres personnages du jeu et ferez avancer l’histoire. C’est à cette aire de repos, améliorable elle aussi grâce à vos ressources, que vous pourrez organiser votre deck de cartes, ce qui vous prendra beaucoup de temps. En effet, le titre comporte une grande partie de réflexion autour de ce deck, qui affecte chaque aspect du jeu : récolte de ressources, gestion des armes, etc. La courbe de progression est extrêmement bien dosée, et même si le gameplay de base consiste à arpenter des routes sans fin, sa profondeur s’accroît grâce à l’aspect construction de village et deck building. De quoi apporter à chaque voyage une surprenante profondeur.
Boucle d’or et le jour sans fin
Comme expliqué précédemment, vous allez mourir, et grâce à la mort, vous découvrirez peu à peu les pans de l’histoire. Vous apprendrez qu’il va falloir reconstruire le monde, détruit par un cataclysme, et que vous devez donc retourner vous faire tuer par des monstres dans la joie et la bonne humeur pour le rebâtir.
Narrativement, Loop Hero vous met dans la peau d’un héros perdu dans un monde brisé. L’histoire se déroule après qu’une Liche (un terrible sorcier mort-vivant) et ses Hordes du Mal ont déjà vaincu les forces du bien. Tout a déjà été détruit, et le héros déambule donc, perdu dans le temps et l’espace, essayant de reconstruire le monde qu’il connaissait une pièce à la fois, grâce aux souvenirs qu’il lui reste du monde d’avant (n’y voyez aucune référence au monde actuel).
En chemin, d’autres personnages, sympathiques et hostiles, échangeront avec vous au sujet de la nature de la reconstruction du monde, qui autrefois oscillait en le Bien et le Mal. Si le récit n’est pas des plus profonds, il est suffisamment engageant pour vous motiver à faire de nouvelles rencontres. Sachez également que le scénario vous réserve son lot de surprises et de twists scénaristiques. Il ne faudra pas compter vos heures de dur labeur pour voir le bout de la boucle (autant que faire se peut) : vous devrez compter entre 40 et 50 heures pour voir la véritable fin et l’écran « The End ».
Sortir ses plus beaux atours
Esthétiquement, les développeurs de Loop Hero ont un fait choix très dans l’ère du temps dans la sphère des jeux indés, en optant pour une belle 2D très rétro. Ceci dit, nous avons ici affaire à un pixel art de très haute volée, qui parvient à évoquer la nostalgie des meilleurs jeux NES comme Castlevania, Kid Icarus ou The Legend of Zelda. Les graphismes simples du héros et des ennemis sont instantanément reconnaissables sur la carte, et les portraits en gros plan des personnages sont parfaitement détaillés.
Pour ce qui est de l’habillage sonore, les musiques et les effets, fortement typés années 80 et 90, sont très sympathiques. L’OST, composée par le mystérieux Blinch, complète avec brio la boucle par ses pulsations douces, mais toujours énergiques. Les compositions sont d’une grande qualité, simples, mais efficaces, et on se surprend même à fredonner certains thèmes après avoir quitté le jeu, ce qui est plutôt bon signe, avouons-le.
Dans l’ensemble, la direction artistique de Loop Hero contribue grandement à la réussite du titre, et se marie à merveille avec le thème du jeu et ses mécaniques, à la fois classiques et très modernes dans la façon dont elles sont mixées. Vous aurez à coup sûr l’impression que votre héros se promène dans un monde en ruine, comme prisonnier d’un autre temps.
L’anti Hades
Loop Hero parvient à faire quelque chose de vraiment étonnant avec ses mécanismes de base pourtant très simples. Le gameplay en boucle pousse les joueurs à peser les pour et les contre d’une autre manche, les avantages et les inconvénients de chaque placement de carte, et les atouts et les faiblesses de différents équipements. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte, et l’élaboration des stratégies optimales pour chaque boucle est à la fois amusante, stimulante, et sollicitera vos capacités stratégiques.
Bien que Rogue-like lui aussi, le jeu ne joue pas sur le registre de la nervosité et des réflexes comme peuvent le faire Hades et Curse of the Dead Gods. Il pousse à penser en amont, et à agir comme si l’on jouait une partie d’échecs. Nous avons là un titre qui favorise la réflexion par rapport à l’action, et qui récompense ceux qui savent prendre leur temps et peser leurs décisions. Loop Hero fait les choses de manière intelligente, et il le fait très bien, ce qui lui permet de tirer son épingle du jeu.
Enfin, notons que les textes du jeu sont entièrement traduits en français, d’une fort belle manière. Chaque description d’objet, chaque ligne de dialogue a fait l’objet d’un soin indéniable. Un certain humour doux-amer est même présent, et on se surprend à sourire au détour d’une réplique ou d’un monologue de notre héros.
Loop Hero est une aventure unique en son genre. Mélanger des éléments de Rogue-like avec de la construction de deck et du combat automatique semblait être une combinaison qui ne pouvait pas fonctionner… Et pourtant, le titre de Devolver et Four Quarters Team réussit avec virtuosité.
Ce jeu est une perle en matière de game design. Il semble même s’amuser de son propre titre, et vous ne verrez pas les heures passer à regarder votre petit héros courir en cercle sur votre écran. Si vous osez vous jeter dans la boucle, vous ne le regretterez pas.
Il ne s’agit peut-être pas d’un titre grand public, mais son gameplay de base est très divertissant, pousse le joueur à prendre des décisions importantes et incite à revenir pour toujours plus. Toujours plus d’histoire, toujours plus d’items, toujours plus de cartes. Et surtout : toujours plus de plaisir de jeu.