Si la Bloober Team ne vous dit rien, c’est que vous avez manqué deux très bons jeux d’horreur. Le premier n’est autre que l’aîné de Layers of Fear 2 et le second est probablement l’un des meilleurs titres à être parus en 2017, Observer. Et alors que Layers of Fear tenait plus du walking simulator horrifique par définition linéaire, l’autre était un survival-horror à la première personne se déroulant dans un univers cyberpunk à la réalisation artistique léchée et maîtrisée, aux ambitions bien plus grandes.
Des ambitions que le studio a pu concrétiser grâce au succès inattendu de Layers of Fear, considéré aujourd’hui comme l’une des expériences les plus effrayantes et déstabilisantes du jeu vidéo. Loin de surfer sur les effets putassiers comme le jump scare ou encore le gore, on nous présentait alors un véritable récital de peur psychologique, misant avant toute chose sur la déstabilisation par l’image et le son.
Nous sommes maintenant en 2019 et de l’eau a coulé sous les ponts, mais la Bloober Team n’entend pas pour autant abandonner sur le bas-côté son premier succès et lui offre en cette année une suite aussi attendue que redoutée. En effet, une question se pose : Layers of Fear 2 saura-t-il se montrer à la hauteur de son illustre ancêtre ?
Alors que Layers of Fear premier du nom avait pour thème la peinture, c’est une autre forme d’art qui est ici présentée, puisqu’il est question de cinéma. Pour ce faire, changement de décor, puisque l’on quitte aussi les étroits couloirs d’un manoir pour se retrouver dans ceux non moins étriqués d’un paquebot de luxe. Si la thématique et le cadre changent, le déroulé et la façon dont l’histoire se raconte est quasiment similaire en tous points à ce que l’on avait eu dans la première itération.
On y incarne un acteur se réveillant dans une vaste chambre à bord de ce fameux navire. Faisant office de hub, cette pièce est, et on le comprend vitre, notre point d’ancrage et de départ à toutes nos escapades scénarisées sur le navire. Des sorties dangereuses en terrain surnaturel que l’on accomplit pour répondre aux exigences du réalisateur du film que l’on est venu tourner sur cette embarcation.
Le but de la chose étant assez trouble au départ, il devient bien plus limpide par la suite, sachez juste que l’on part en quête de nous-même et que cela est censé faire de nous l’acteur parfait pour le long métrage que l’on doit tourner. Narrée par l’incroyable Tony Todd, l’histoire qui nous est contée est intimiste et profonde, soulevant nombre de questions sur notre perception de ce qui fait de nous ce que nous sommes.
Layers of Fear 2 nous offre un récital de bonnes idées narratives, utilisant des leviers classiques avec des notes à lire et écouter, mais aussi des choses qui le sont moins, comme des sortes d’apparitions du passé, des hallucinations ou des reconstitutions d’événements à l’aide de mannequins de bois par exemple. Cela s’accompagne d’une imagerie forte qui elle aussi transmet des émotions de toutes sortes, ou encore sur différents décors renvoyant à des chapitres passés du personnage que l’on incarne.
Globalement, le récit est un régal, car parfaitement rythmé et ne tombant jamais dans le cliché bête et méchant, validant à lui seul le choix de faire de cette suite un walking simulator de plus.
La loi de la ligne droite
De plus oui, mais pas de trop. Car si ce terme désigne un jeu narratif posé sur un rail que l’on suit sans discontinuer avec la quasi-impossibilité de revenir sur nos pas, il n’est pas donné à tout les studios d’exploiter ce genre avec autant de réussite. Layers of Fear 2 n’est donc en rien surprenant sur sa forme ni même sur son fond, mais maîtrise parfaitement son sujet.
Le jeu est ainsi découpé en chapitres. Chacun d’entre eux est l’occasion de nous offrir une nouvelle thématique censée nous faire avancer dans notre quête. Mais elles n’ont pas qu’un but narratif, puisqu’elles sont la base de tout ce qui est mis en branle devant nos yeux et dans nos oreilles.
L’ambiance est le moteur même de la peur dans cette suite. Elle est glaçante et maintient une sorte de tension constante avec des crescendos assez agressifs arrivant des suites d’une montée en pression insoutenable. Layers of Fear 2 est effrayant. Il utilise diverses mécaniques pour ce faire, certaines éculées, d’autres beaucoup moins ou en tout cas utilisées ici avec suffisamment d’intelligence pour se montrer quasiment toujours inattendues ou surprenantes.
Les développeurs ont su aussi se servir astucieusement de la thématique principale tournant autour du septième art comme source continuelle d’épouvante. En jouant parfois avec l’image, nous plongeant alors dans un vieux film en noir et blanc comme projeté directement sur un vieil écran de cinéma qui se morcelle et se déchire en s’aidant de sonorités inquiétantes, ou encore même en se servant de nos connaissances cinématographiques.
Car de nombreux hommages au cinéma de genre horreur sont rendus par Layers of Fear 2, et ce, d’une façon qui ne fait en rien fan-service. Seven, Shining ou encore Psychose sont autant de références visibles dans le jeu. Il y a parfois des clins d’œil et d’autres fois du concret, mais une chose est sûre, arpenter les couloirs du paquebot dans lesquels se manifestent nombre de poltergeists n’est pas de tout repos et c’est aussi dû à l’immense direction artistique.
Les intentions de réalisation
Parce que pour réussir à constamment inquiéter son auditoire, la Bloober Team a dû se retrousser les manches et non seulement se montrer inventive dans sa façon de faire peur, mais aussi se servir du cadre choisi pour accentuer cette dernière. Et en cela, on ne peut que féliciter le studio qui réussit cette mission haut la main.
La paquebot ne reste pas longtemps un simple paquebot et ses dédales luxueux laissent vite place à d’autres choses ayant rapport direct avec notre personnage. Tout ceci se mélange pour créer le malaise, mais aussi la fascination de se retrouver transporté d’un lieu à un autre juste en ouvrant une simple porte. Cela est déstabilisant et aidé par un moteur de jeu plus en adéquation avec ces phénomènes qu’auparavant.
La direction artistique est donc un régal qui sait s’adapter aux différentes thématiques explorées par le titre, et ce, sans aucune fausse note. Elle sert aussi bien le côté épouvante de l’oeuvre, avec notamment tous ces mannequins effrayants jonchant notre route non sans raison, que le récit lui-même. Elle l’accompagne et lui ouvre même des portes à explorer pour le laisser s’exprimer pleinement grâce à de nombreuses inventions visuelles toutes aussi réussies les unes que les autres.
C’est donc aussi par la mise en scène que cette suite trouve son envol. Elle est classieuse et ne fait pas dans la surenchère de gore ou de scènes trash, mais joue avec nos nerfs, notre imagination pour nous faire voyager dans un univers d’épouvante et quelquefois de beauté ou de quiétude. Le drame que l’on vit est aussi psychologique que cruel et chaque décor, chaque pièce, chaque objet est un prolongement de tout cela, le cadre dans lequel on évolue devenant artisan de nos frayeurs autant que les dispositifs mis en place pour. Du grand art.
Cependant, si le moteur fait des merveilles, on ne peut dire que techniquement tout soit rose non plus. Le titre à la fâcheuse tendance à ralentir ici et là, parfois planter et même bloquer notre progression, même si cela est bien plus rare. Aussi, certaines choses ont été réglées à coup de patch, mais d’autres demeurent pour le moment. Rien de grave en soi finalement, mais cela nous sort parfois de notre plongée dans la folie et c’est bien dommage tant l’immersion est autrement parfaite.
Un jeu minimaliste
Et cette immersion est renforcée par le côté minimaliste du gameplay et l’impression d’évoluer dans une sorte de maison fantôme sur rail, on est bien plus spectateur qu’acteur. Cela pourrait poser problème si ce n’était pas là le principe d’un walking simulator et si l’exécution était mauvaise. Fort heureusement, elle est loin de l’être, même si imparfaite.
Ne vous y trompez pas, le jeu est une ligne droite dans laquelle on ne peut que fouiller les lieux visités ou encore résoudre quelques très – trop ? – simples énigmes. Néanmoins, cela ne veut pas dire que l’on ne prend pas plaisir à jouer, même si la formule ne plaira pas à tous, mais vous êtes prévenu.
Layers of Fear 2 est probablement le walking simulator le plus inventif dans son déroulé que l’on ait vu depuis un bail et il faut lui rendre hommage pour ça, sachant varier chaque chapitre de manière intéressante et inattendue. D’autant plus qu’il cherche aussi à se dynamiser par moment.
Et cela se traduit par quelques séquences de courses-poursuites pas terribles, il faut bien le dire. Elles n’apportent finalement pas grand-chose et amènent parfois même à des game over assez frustrants et là encore tranchant avec l’immersion. En brisant plusieurs fois le quatrième mur, Layers of Fear 2 se fait un malin plaisir de jouer avec nos nerfs, mais ces courses-poursuites sans saveur, scriptées au-delà du possible, nous remettent très vite les pieds sur terre et font, au contraire du reste, très jeu vidéo.
Enfin, un autre point nous a laissés de marbre, les choix. Car il y a bien quelques décisions à prendre qui orientent la finalité de l’aventure, ou tout du moins un de ses aspects. Très manichéens, ils font tache dans un jeu qui se veut à l’opposé de cela et semblent souvent forcés. C’est bien dommage, car le choix n’est pas légion dans un walking simulator et cela aurait pu, si mieux utilisé, être un véritable plus, alors que là c’est assez anecdotique.
Layers of Fear 2 est le digne successeur de son aîné et parvient même, de notre point de vue, à le dépasser haut la main. On y retrouve tout ce qui en faisait le sel avec nombre d’améliorations sur le rythme et sur l’utilisation des mécaniques de peur. Artistiquement léché, il offre une bande sonore à toute épreuve, et sait jouer avec les nerfs du joueur pour lui offrir un récital de bonne idées le faisant s’extirper de son simple carcan de walking simulator horrifique.
Cependant, le jeu souffre de quelques maux techniques et on regrette que le gameplay ne parvienne jamais à convaincre pleinement. Les énigmes sont très simples et n’apportent au fond presque rien, si ce n’est un peu de variété, et les courses-poursuites sont molles et sans intérêt si ce n’est nous sortir de l’expérience assez brutalement. Aussi, les quelques choix présents sont finalement trop manichéens et à contre-courant du récit pour le coup, qui se veut lui bien plus profond et recherché.
Finalement, non sans défaut, il faut le reconnaître, Layers of Fear 2 est une superbe expérience horrifique que tous les fans du genre se doivent de dévorer comme un bon pop-corn devant un bon film d’épouvante.