Présenté lors d’un événement Xbox, Kunitsu-Gami: Path of the Goddess avait d’abord surpris et interrogé. Surpris par sa D.A., à la fois superbe et dérangeante, chatoyante et effrayante ; mais aussi interrogé quant à la proposition. Difficile, lors du visionnage de ces premières images, de comprendre la proposition en termes de gameplay. Surpris aussi de voir un si gros éditeur se permettre une telle proposition, aux accents indé. Cependant, séduits ne serait-ce que par les qualités graphiques du jeu, nous ne demandions qu’à en savoir plus. Alors, pari gagné pour Capcom ?
(Test de Kunitsu-Gami: Path of the Goddess réalisé sur Xbox Series X via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Tower Defense’em all
La démo sortie il y a quelques jours nous a permis d’appréhender un peu mieux le titre. Kunitsu-Gami: Path of the Goddess est ainsi une variation sur le genre du tower defense. Comme dans un PixelJunk Monsters ou Bloons TD 6 (où TD signifie justement… Tower Defense !), il s’agira de poster des défenseurs sur les chemins empruntés par des vagues successives d’ennemis, afin de les empêcher d’atteindre leur cible.
Pour autant, le titre est loin de se limiter à cet aspect, et se construit en différentes couches de gameplay, faisant du jeu un mille-feuille vidéoludique à la fois familier et inédit. C’est tout le pari (osé) de Capcom que de proposer une grosse sortie qui ne ressemble à aucune autre. En période où les suites, remasters et autre remakes sont légion, l’initiative de sortir un tel jeu aux allures d’OVNIS est plus que bienvenue, d’autant plus quand elle émane d’un acteur aussi important que Capcom.
Mais pour voir de quoi se compose ce mille-feuille, il faut s’arrêter un peu sur ce que propose le jeu. On y incarne Soh, un épéiste qui doit protéger Yoshiro pendant son pèlerinage sur le Mont Kafuku. Au cours du voyage, le duo va nettoyer la corruption et libérer des villages, et pourra ainsi recruter des habitants pour leur confier divers rôles afin qu’ils servent ensuite « d’unités » au combat : les bûcherons sont des combattants qui vont au contact, les archers restent à distance, les ascètes ralentissent les lignes ennemies…
Selon une mécanique classique de tower defense, Soh placera ses hommes sur le champ de bataille en prévision de l’arrivée des vagues ennemies. Une fois le combat démarré, il s’agira en même temps d’adapter les positions de chacun en fonction de la situation (les villageois pouvant être repositionné n’importe quand sans condition), mais aussi de combattre avec Soh en temps réel. C’est l’une des grandes originalité du titre, qui prend alors des accents de beat’em up, Soh disposant d’un coup rapide et d’un autre plus long, faisant davantage de dégâts, mais aussi de différents combos.
The Rythm of the Night
Le titre est rythmé par des temps de préparation, des temps de combats, et des temps de pause. Une fois une zone débarrassée de sa corruption, elle devient une base dans laquelle on peut souffler, et profiter des richesses de la culture japonaise que Kunitsu-Gami a à nous offrir. Illustrations dans l’esprit des estampes japonaises, musique qui laisse à entendre des instruments traditionnels, ou desserts typiques que l’on peut découvrir et admirer en les servant à Yoshiro.
Mais dès que l’on a quitté la base, les affaires sérieuses reprennent, et c’est l’alternance jour/ nuit qui va rythmer les combats. Pendant la journée, on nettoie l’environnement de la corruption, on recrute des combattants, leur attribue un rôle contre paiement, les place sur la carte… Il s’agit aussi de faire progresser Yoshiro sur le chemin, son avancée se « payant » avec la même monnaie que celle qui permet d’embaucher les villageois. Scénaristiquement, on est dubitatif, mais cela ajoute une couche de stratégie supplémentaire, des priorités devant être décidées.
Puis la nuit, les portails infestés s’ouvrent, les ikokus (les monstres) entrent en scène et le combat commence. Il durera, si l’on résiste, jusqu’au petit matin, où démarrera un nouveau cycle… Entre deux villages, il faudra aussi combattre des boss dans des séquences qui peuvent alors rappeler Pikmim, dans lesquelles on fera alterner les villageois entre combat contre un monstre bien plus imposant que d’habitude, et défense de Yoshiro, tout en menant également le combat dans la peau de Soh, en temps réel.
Alors on danse
C’est par une sorte de danse traditionnelle que Yoshiro purge les toriis. Une chorégraphie spectaculaire et colorée, qui intervient aussi quand on entre dans les niveaux, la chamane se livrant alors à un ensemble de mouvement en coordination avec Soh. Des mouvements qui évoqueront autant les « katas » effectués avec les mains par les prêtres des films Histoires de Fantômes Chinois (« Poyé Polomi, figé ! ») que les danses de la sirène dans Jibaro, l’incroyable court-métrage d’Alberto Mielgo appartenant à la collection Love Death & Robots, sur Netflix.
à gauche, Jibaro, d’Alberto Mielgo/ à droite Kunitsu-Gami: Path of the Goddess
Le jeu est spectaculaire. La danse, donc, les animations, mais aussi les décors, emprunts de cette ambiance traditionnelle romancée, les costumes portés par les personnages, ou encore les créatures, toutes horriblement magnifiques. La technologie utilisée pour modéliser le jeu ne doit pas y être pour rien.
Les costumes sont ainsi basés sur de véritables vêtements, conçus et portés par des acteurs avant d’être intégrés au jeu. Les créatures et décors existent eux aussi sous la forme de « vrais » dioramas qui ont été scannés (un peu comme pour le Fantasian de Sakaguchi). Tout cela, allié à une D.A. à couper le souffle, colorée, chatoyante, mais cauchemardesque, en font une œuvre dont il est difficile d’écarter le regard.
Tableau corrompu
Quelques défauts viennent toutefois entacher ce tableau de maître. La multiplication des mécaniques de gameplay font qu’elles sont toutes un peu trop généralistes. Les métiers que l’on confie aux villageois contre un certains prix sont sensés apporter de la variété dans les approches, et complexifier le volet stratégique. Cependant, on s’apercevra vite que bien que l’on accède à de nouveaux métiers au fur et à mesure de nos progrès, on utilisera toujours les 3 ou 4 mêmes, pour des stratégies qui varient peu.
Certaines mécaniques semblent même là pour remplir un peu artificiellement différentes phases du jeu. Une fois une zone nettoyée de la corruption qui l’occupait, on pourra ainsi la réparer pour obtenir certaines récompenses. Les mécaniques alors à l’œuvre ne comportent ni défi, ni enjeu, et ne réclament qu’un peu de patience.
Et puis, surtout, une forme de répétitivité vient s’installer après les 3 ou 4 premières heures de jeu. Le titre propose des variations pour lutter contre ce sentiment de répétitivité, mais montre ainsi du même coup que ce n’est pas qu’un sentiment. Ainsi, on devra traverser une rivière sur des barges assaillies par les monstres dans un niveau où les mouvements sont limités, mais des canons sont mis à notre disposition ; dans un autre niveau, les monstres seront « enragés » et particulièrement dangereux, et il s’agira de réduire leur agressivité à l’aide d’un tambour (le taiko) ; un autre niveau encore nous empêchera de combattre avec Soh, ne lui permettant de ne jouer que son rôle de commandant de sa petite armée…
Autant de défis qui viennent tenter de lutter contre une petite monotonie qui s’installe, sans complètement réussir à l’éradiquer.
Ne boudons pas notre plaisir, Kunitsu-Gami: Path of the Godess est bien le jeu de l’été. Pas complètement une surprise, parce qu’on l’avait vu venir, c’est en revanche une jolie réussite. Capcom nous propose un titre à la direction artistique inspirée et flamboyante, un jeu original bien qu’aux fondations classiques, et il modernise et remet sur le devant de la scène un genre qui depuis quelques années s’illustrait surtout dans le domaine casual sur mobile. Le RE Engine s’illustre à nouveau, après ses performances dans Street Fighter VI, comme spécialement efficace et polyvalent, surtout ici associé à la technologie de scan qui a permis ces rendus si particuliers.
Comme il est rafraichissant en cette période où les jeux AAA ne prennent plus aucun risque, où les grosses sorties sont toutes des suites ou des remakes, de voir un éditeur majeur oser proposer un jeu différent, presqu’aux allures d’indé ! On espère que Kunitsu-Gami trouvera le succès public, d’abord parce qu’il le mérite amplement, mais aussi pour que cette initiative ne reste pas isolée…