L’âge d’or du versus fighting est derrière nous. Au début des années 90, des dizaines de titres se tiraient la bourre sur les étals des magasins (spécialisés ou non). Certains prétendaient au titre de meilleur jeu de baston 2D (Street Fighter 2, Mortal Kombat, King of Fighters…), d’autres profitaient de la mode pour se faire un peu d’argent facile (Eternal Champions, Rise of the Robots…) et le troisième tiers utilisait souvent ce support pour de l’exploitation de licences, plus ou moins heureuse (DBZ, Yu Yu Hakusho).
Au milieu des années 90, et plus encore dans les années 2000, la moulinette de la 3D a donné naissance à une flopée de nouveaux concurrents, de Virtua Fighter à Tekken. Les franchises iconiques qui s’y sont frotté se sont souvent pris les pieds dans le tapis (SF EX + alpha… beurk). L’avènement de la 3D a également été celui de nouvelles méthodes de narration, l’apparition de nouveaux genres de jeux, menant à la submersion du genre du VS fighting. Aujourd’hui, seule une petite dizaine de licences arrive à subsister.
Face à une telle pénurie, les amateurs de castagne guettent chaque sortie avec fébrilité. Après avoir poncé Dragon Ball FighterZ, Guilty Gear Strive, ou SFV CE, il était temps de donner aux joueurs et joueuses de quoi réveiller leur âme combative. SNK avait mis la barre très, très haut grâce à ses réussites récentes, Samurai Shodown et KOFXIV. Les attentes concernant ce nouveau King of Fighters XV étaient donc très élevées. Kyo, Iori et consorts ont-ils ce qu’il faut pour mettre un Perfect à la concurrence, ou vont-ils se faire punir ? Verdict.
Je te veux dans mon équipe
King of Fighters a presque trente ans. Un âge vénérable, mais une telle longévité est également synonyme d’héritage, parfois lourd à porter. Les joueurs et joueuses qui ont connu KOF’94 connaissent bien la série, maîtrisent ses mécaniques, et ont déjà entretenu une longue relation avec ses héros. Comment dès lors réussir à les surprendre, tout en parvenant à séduire un nouveau public, ou du moins convaincre d’autres amateurs ?
SNK avait fait le pari du toujours plus, jusqu’au climax KOF 13, qui dégueulait de techniques, de possibilités de contres et de combos jusqu’à l’écœurement. Si les esthètes de la saga y avaient trouvé leur compte, les nouveaux venus étaient restés sur le carreau, perdus dans des listes de combos denses et complexes, et noyés sous les notions de Super Special Moves ou de Normal Move, Link, Chain et Cancel.
Conscient d’avoir atteint les limites de sa proposition, SNK avait opté pour l’ouverture et l’accessibilité sur KOF 14 en misant sur une simplification (ce n’est pas un gros mot) des timings, un tutoriel plus complet, et un système de combos plus permissif. Cependant, le jeu avait un goût d’inachevé, comme s’il n’avait pas réussi à pleinement terminé sa mutation. Ajoutons que sa direction artistique avec des personnages modélisés en 3D était particulièrement ignoble, et on obtient un titre qui méritait mieux, quand bien même il a connu de belles heures sur les tournois de VS.
Pour SNK, KOF XV est donc le résultat d’un triple pari : achever une profonde mutation en cours, parvenir à créer de nouveaux atours pour faire du pied à un nouveau public, et ne pas se mettre à dos sa fanbase. Une triple idéologie risquée, et qui pourtant, presque contre toute attente, a réussi à atteindre un point d’équilibre pour aboutir à un subtil cocktail capable de satisfaire les fans de jeux de combat, toutes générations confondues.
Le livre, la couverture, et le gameplay
S’il est d’usage de dire qu’on ne juge pas un livre à sa couverture, dans le milieu du jeu vidéo, l’adage est moins pertinent (à notre grand dam). Un précepte d’autant plus vrai dans le petit monde du VS fighting. Pour séduire les amateurs, un jeu de combat se doit d’être beau, fluide, et avec une direction artistique lui permettant de se démarquer de la concurrence. Bien conscient de cela, SNK a fait le choix de jeter le moteur de développement maison pour passer à l’Unreal Engine 4.
Et le choix est éminemment heureux. Avec sa nouvelle DA en semi cel shading et des animations plus soignées que jamais, SNK a frappé très fort avec KOF XV. Une double réussite, car malgré cette évolution graphique, KOF conserve son essence. Les fans, familiers de la saga, n’auront aucune difficulté à reconnaître les mouvements signatures des personnages, leur façon de se mouvoir (oui, oui, même le Oppai Move de Mai Shiranui, bande de pervers) de même que leur design historique. Le titre marque l’épanouissement visuel de la saga, et il semble qu’elle ait atteint sa maturité visuelle, avec une DA à la hauteur de son propos.
Les effets visuels splendides, la pyrotechnie et la mise en scène des coups ultimes, et même le design audio du jeu, avec le feedback sonore jouissif des coups portés, tout inspire la rage, la fureur, et l’adrénaline des combats de King of Fighters. KOF a enfin l’habillage graphique qu’il méritait depuis des années. On regrettera cependant que les décors, souvent bourrés de clins d’œil aux autres licences made in SNK (Metal Slug et consorts), n’aient pas bénéficié du même soin. Ceux-ci sont assez vides, et les rares personnages qui les habitent sont animés en mode stop motion à 15 images/secondes. Un scandale dans l’absolu, mais soyons honnêtes, durant les affrontements, l’œil n’a pas vraiment le temps de se poser sur le background.
Une fois séduit par les beaux yeux de KOF, prenons la manette en main. C’est là que KOF révèle ses trésors. Street Fighter amène les joueurs dans un dojo, exigeant maîtrise des distances et connaissance de chaque mouvement pour être efficace. Dragon Ball FighterZ est la salle du temps de la série : on s’y entraîne jusqu’à atteindre l’art du Touch of Death. Quant à KOF, c’est l’art du combat de rue. Le jeu est très versatile, et offre satisfaction aux newbies grâce à un système de combo automatique (déjà là dans KOF14), semblable à celui de DBFZ. Un système fun et permettant de s’amuser immédiatement.
Les trésors de gameplay de KOF 15 s’offriront aux plus assidus. Si les combos complexes, que l’on peut apprendre via un mode mission classique mais efficace, sont toujours de la partie, le titre invite à la créativité grâce à son système d’annulation de coups spéciaux. En deux mots : lorsqu’on lance un coup spécial (à base de quart de cercle, demi-cercle ou de charge), celui-ci peut être annulé au profit d’un autre coup spécial ou d’un super coup coûtant une ou plusieurs barres de « Special ». KOFXV invite à l’agressivité et à l’improvisation permanente. La connaissance des combos de base est semblable à la maîtrise de kata dans les arts martiaux. Comme dans le cas de ces mêmes arts martiaux, ces katas ne sont que des bases de travail, et il faut savoir les manipuler, les modifier et s’adapter à la façon de se battre de l’adversaire pour être sûr de remporter la victoire.
King of Tinders
Malheureusement, King of Fighter XV n’évite pas certains écueils, parmi lesquels un mode solo absolument famélique. Sorti d’un mode histoire sans autre intérêt que de servir de training face à une IA, les joueurs n’auront que peu de choses à se mettre sous la dent. Il reste bien le mode mission, qui servira à apprendre et maîtriser les combos de base, mais on en fera vite le tour.
On pourra donc lui reprocher de ne pas avoir imité ses concurrents Mortal Kombat XI ou SoulCalibur VI en proposant du contenu solo conséquent, que cela soit une histoire dévoilant le scénario du jeu (même narnardesque), ou un mode de jeu poussant à se dépasser face à des situations diverses ou variées.
On se rabattra donc sur les modes de jeu à plusieurs, en local ou en ligne (avec un netcode rollback impeccable, un vrai plaisir), et là, c’est l’orgie. Avec un roster de 39 personnages, qui ramène tous les héros cultes de la série (de Kyo à Shermie), et de nouveaux visages (mentions spéciales à Isla et Dolorès, franchement réussies), le jeu est d’une générosité à toute épreuve. Sachant que le jeu se base sur des combats à 3 contre 3, avec la possibilité de combats en 1v1, les possibilités sont quasi infinies.
Le roster de KOF XV est digne de ses prédécesseurs, et est un véritable réservoir de waifus et husbandos, une source inépuisable de JoJo poses et une bible inspiratrice pour cosplayers. Le design outrancier des personnages est toujours de la partie, la nouvelle DA les rendant encore plus attachants que dans les épisodes antérieurs.
Le choix de la constitution de son équipe relève donc tout autant de l’efficacité de ses combattants, que du plaisir coupable de choisir les protagonistes les plus sexys/badass/moches/over-the-top (rayer la/les mention(s) inutile(s)) du casting. Un trope classique de la saga, et oui, vous savez tous que Mr Dinosaur est le meilleur personnage jamais créé. Une fois encore, c’est un coup de maître, et on vous garantit de belles tranches de rire entre ami.e.s sur un canapé, lors du choix de votre équipe. Et c’est là que se situe la plus grande force du titre : il est fédérateur, bon esprit, et une fois qu’on y a goûté, difficile de le lâcher.
Efficace, versatile, accueillant et accessible, King of Fighters XV représente ce que SNK sait faire de mieux en matière de versus fighting. Le titre parvient à allier un héritage dense et solide, à un habillage graphique moderne très séduisant. SNK confirme une véritable résurrection entamée avec Samurai Shodown. KOF XV est le papillon qui se libère de la chrysalide lentement tissée depuis KOF 13.
Cependant, le jeu souffre d’un contenu solo maigre, qui décevra les joueurs solitaires. Mais dans le même temps, le genre du versus fighting porte en lui-même la nécessité d’être exploré à plusieurs. Et une fois un adversaire (IRL ou online) trouvé, le titre révèle alors toute sa générosité, et il devient très addictif. Assurément l’un des meilleurs KOF de toute la série, et même s’il n’atteint pas la maestria technique d’un GAROU: Mark of the Wolf, et l’adrénaline permanente d’un KOF’98, il marquera l’histoire de la saga à n’en pas douter, pour avoir amené Kyo, Iori et leurs potes dans une salvatrice modernité.