Souvenez-vous, l’été dernier, le 10 juin plus précisément, nous discutions du trailer de Keeper, le dernier titre de Double Fine. Il avait pour argument la direction créative de Lee Petty, un artiste dont le travail nous est fort sympathique, mais aussi l’étonnante proposition d’incarner un phare affublé de deux paires de pattes. Nous nous posions alors une question simple : est-ce qu’un contrôleur fait un jeu vidéo ?
Nous voici aujourd’hui, quelques mois plus tard, après avoir passé une bonne demi-douzaine d’heures sur le jeu, avec une réponse à notre question, et tout un lot de souvenirs qui nous laissent tantôt sans voix, tantôt soupirant.
(Test de Keeper réalisé sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Coup de projecteur
Commençons, si vous le voulez bien, par nous mettre en appétit avec de succulents compliments : le jeu est tout simplement magnifique. Certes, la technique accuse un peu le coup, et on manque par-ci par-là d’un brin de fluidité dans certaines transitions d’animations ou de textures un peu baveuses. Mais ce ne sont là que des détails face au formidable tableau que le jeu nous dépeint à chaque instant.
Avec nos petites pattes de phare, on parcourt des environnements tous aussi somptueux les uns que les autres, inondés d’une palette de couleurs folle. Chaque prise de vue pourrait facilement devenir le fond d’écran de votre ordinateur, tant la beauté est éclatante. Et l’expérience est tout aussi réussie sur le plan sonore : la musique n’est jamais hors de propos et reste discrète, un atout précieux pour un jeu qui ne comporte aucun dialogue.
C’est encore une prouesse ici : Keeper ne contient aucune ligne de dialogue. On pourrait s’imaginer qu’un titre qui n’utilise aucune discussion va très vite nous faire lâcher la manette, et pourtant il n’en est rien. À l’image d’un Flow, l’interaction entre notre protagoniste et son principal interlocuteur se fait de façon fluide grâce à d’habiles mimiques qui laissent transparaître à merveille les différentes émotions.
Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est la facilité déconcertante avec laquelle le jeu nous fait comprendre ce qu’il faut faire sans aucun dialogue. On sait où aller, comment y aller et, surtout, on découvre pourquoi on y va au fil des différentes interactions avec les peuples que l’on rencontre.
L’ampoule qui claque
Malheureusement, la principale critique que l’on peut faire au jeu, c’est de s’imposer un formalisme classique et inintéressant. Quelques surprises ici et là nous donnent l’envie de nous abandonner à l’univers de Keeper, mais ces moments sont ensuite alourdis par des mécanismes de jeu datés qui nous font lâcher la manette.
Le jeu nous pousse à un monologue intérieur, car il a au moins la clairvoyance de ne pas nous donner la solution sur un plateau. Mais une porte qu’il faut ouvrir en résolvant trois énigmes basées sur le même système, ou un espace de jeu fermé par une énigme qui s’ouvre sur un autre espace fermé par une énigme fondamentalement similaire, c’est redondant, abrutissant et, surtout, pas très intéressant.
Ce qui déçoit d’autant plus, c’est que le concept de base de jouer avec la lumière et d’incarner un phare promettait de sortir de la routine d’une aventure lambda qui enchaîne les énigmes sans réelle créativité. La réponse à notre question de départ est donc claire : non, un contrôleur seul ne fait pas un jeu.
Le phare au diesel
Et pourtant, le point est abordé, car (attention spoiler) le contrôleur en question change aux trois quarts de l’aventure, et c’est à ce moment-là que l’aventure prend tout son sens ! Ce changement apporte une fraîcheur bienvenue au titre, qui prend de l’ampleur à mesure que l’on approche de la fin.
C’est là le principal problème de Keeper : il est long à démarrer. Le concept du phare s’essouffle et s’embourbe dans des mécanismes datés. La créativité ne réside que dans l’aspect visuel et la promesse initiale, un pari qui aurait peut-être fonctionné il y a dix ou quinze ans, mais qui, dans un marché aussi exigeant que celui d’aujourd’hui, ne suffit plus à justifier le passage en caisse.
Keeper est à la fois un jeu formidable et une déception. Si le travail artistique est épatant, l’aventure elle-même traîne les pattes et n’apporte pas grand-chose de nouveau. Il serait dommage de le juger trop sévèrement, tant l’aventure passée est formidable.
Mais il serait également fort peu approprié de lui lancer trop de fleurs, car même si l’on y passe de très bons moments, rien dans le game design ne nous a particulièrement bluffés…