Les premiers trailers rigolos évoquaient un jeu à base de jeux de mots, un peu à l’image des séquences trop peu nombreuses de The Plucky Squire dans lesquelles on pouvait modifier le texte du livre pour changer les environnements. Ajoutez à cela une direction artistique rigolote et colorée, et Great God Grove avait fini de nous convaincre de tenter l’expérience. L’aventure est-elle à la hauteur des promesses ?
(Test de Great God Grove sur PC réalisé via une copie commerciale du jeu)
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit…
Si l’aventure textuelle est l’une des fondations du jeu vidéo (Castle, de Peter Langston, est sorti en 1974), il connait depuis peu une sorte de nouvel-nouvel âge d’or. Après être revenus dans le jeu d’aventure graphique et avoir fait les belles heures du point’n click (« ouvrir » et « porte »…), les mots sont réapparu dans le jeu vidéo de différentes manières, mais toujours (ou au moins souvent) dans des jeux salués : Baba is You, pas loin d’être le boss du genre ; les jeux de Sam Barlow (Telling Lies, Immortality…), où l’on progresse de mot-clef en mot-clef ; ou encore The Case of the Golden Idole (qui vient tout récemment de se voir doter d’une suite).
Des références solides donc, qui à la fois nous ont convaincus de nous laisser tenter par ce Great God Grove, mais qui en même temps, le mettent d’emblée dans une catégorie dans laquelle il n’est pas sûr de pouvoir boxer.
On y incarne une sorte de porte-parole (au sens propre comme au sens figuré) qui reprend une place laissée vacante. On apprendra que le messager qui nous précède a trahi sa fonction et s’est retourné contre son Panthéon, semant la discorde chez les Dieux ; soit une situation à même de provoquer la fin des temps.
Heureusement, par la grâce du Megapon (ça s’écrit comme ça dans le jeu !), l’outil du messager, le héros peut aspirer les mots de certains personnages, pour les faire entendre à d’autres personnages. Une capacité qui sera bien évidemment la mécanique principale des nombreux puzzles de l’aventure.
Ainsi, pour remonter le moral d’un personnage un peu déprimé, on pourra aller « aspirer » des compliments à lui faire entendre afin qu’il retrouve un peu d’estime de soi ; au contraire, à un autre personnage inflexible, on pourra faire entendre les ordres de son supérieur autoritaire afin de le faire plier, quand bien même ceux-ci ne s’adressaient pas à lui en premier lieu…
Tu m’enlèves les mots de la bouche
Nous parlions de puzzle plus haut, et c’est bien la meilleure des façons de décrire les mécaniques de Great God Grove. Car les petites phrases à emprunter ont chacune un rôle bien défini, comme les pièces d’un bon vieux puzzle classique de chez Ravensburger. Et on le regrette.
En effet, cette mécanique consistant à jouer avec les mots pourrait aboutir à des situations drôles, ou absurdes… si nous avions la liberté d’utiliser les paroles des autres comme bon nous semble. Mais hélas, nous sommes très encadrés, et utiliser une expression avec un personnage quand ce couple n’est pas celui prévu par le scénario nous renvoie l’équivalent d’un « Je ne peux pas faire ça » des point’n’click LucasArt (ou le « Vous êtes trop curieux » du Manoir de Mortevielle pour les très vieux), voire un simple point d’interrogation signifiant que ce n’est pas la bonne solution.
C’est un peu le problème qu’on a rencontré dans The Plucky Squire. Le jeu nous propose de « réécrire » certains passages du livre dans lequel se passe le jeu pour en modifier les décors, ouvrir un portail jusque-là fermé en changeant l’adjectif, ou rebâtir un pont effondré en usant du même stratagème (mais avec un adjectif différent, bien entendu !).
Hélas, à part pour quelques vannes prévues d’avance (les fameux « pics en fromage », qui remplacent les « pics en acier »), l’imagination y est vite bridée. Impossible d’imaginer une grille « volante » ou « trop petite », ce qui nous aurait permis de la franchir allègrement : seuls les bons mots (prévus par les scripts) vont dans les bonnes cases. Dans The Plucky Squire, c’est presque un détail, cette mécanique n’apparaissant que ponctuellement. Mais dans Great God Grove, c’est le cœur du jeu, et le manque de liberté que l’on subit peut s’avérer frustrant.
Puis-je prendre la parole ?
Alors le jeu est-il à oublier pour autant ? Pas tout à fait. Ce sont les espoirs que nous avions fondé sur ce que *nous* avions pensé que le jeu serait qui sont déçus, mais le titre n’est pas forcément à mettre en cause.
Au final, et derrière une mécanique qui semble originale, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un bon vieux poin’t click déguisé, dans lequel il faut assembler la corde et le sceau, et dans lequel la corde ne s’assemble qu’avec le sceau. De Maniac Mansion à Thimbleweed Park en passant par The Secret of Monkey Island ou Indiana Jones and the Fate of Atlantis, le genre a toujours été voisin de celui de la comédie, et c’est encore vrai avec Great God Grove.
Le scénario est totalement absurde (parfois à la limite de l’intelligible), la direction artistique est vivante et colorée, avec des encarts full motion video mettant en scène des poupées « chaussettes » aussi cheap que WTF, et l’argot du jeu est un véritable poème (le jeu est uniquement en anglais, mais tout est tellement réécrit phonétiquement qu’on ne saurait dire s’il faut une vraie maîtrise de la langue des One Direction ou si c’est tellement n’importe quoi qu’un « franglish » à la K-Maro suffit…).
Et derrière cette farce, on trouve, mine de rien, des thèmes plutôt durs, et d’une actualité abrupte, avec l’élection de Trump aux États-Unis, abordés avec finesse : l’extrémisme religieux, la censure, le puritanisme… La mécanique de jeu elle même, permettant de littéralement transporter des propos, les redistribuant coupés de leur contexte et de leur intention, permet de dire beaucoup sur la désinformation.
Great God Grove n’est pas le jeu qu’on attendait. Mais est-ce pour autant un mauvais jeu ? Il s’agit d’un point’n click relativement traditionnel dans son gameplay, et dont la folie vient se situer dans la mise en scène et l’écriture. La langue bariolée, les passages full motion video avec des « muppets », les thèmes plus grave abordés sans en avoir l’air, mais aussi les personnages complètement décalés, sont autant d’inattendus qui viennent compenser la petite déception du jeu de mots qu’on aurait pu avoir…
Attention toutefois avant de vous lancer, nous vous conseillons de vous confronter aux trailers pour vérifier que l’anglais argotique du jeu ne sera pas un frein.