L’hiver approche, avec lui un froid implacable qui affecte les récoltes et la nourriture disponible et se montre fatal pour ceux qui vivent dans des logements insalubres. Au froid succède le Grand Froid, une période atroce pendant laquelle plus rien n’est possible et qu’il faut anticiper en stockant autant de ressources que possible tout en réparant son modeste logement. La situation est catastrophique, mais elle pourrait être pire encore, car contrairement à d’autres vous vivez près du Saint Réacteur qui réchauffe autant votre frêle corps que votre détermination à survivre dans ce monde qui n’a plus grand chose à offrir. Si tout cela vous semble familier, c’est que vous vivez sans doute dans le Grand Nord de la France ou, éventuellement, jouez à Frostpunk 2.
Le premier Frostpunk avait surpris et conquis lors de sa sortie en 2018, juste avant l’ère du Grand Confinement dont on se souvient désormais si peu. Le concept est simple : survivre. Un concept proche des jeux de type Souls à ceci près qu’il ne s’agit pas seulement de votre survie à vous mais aussi de celle de votre communauté. Ce n’est pas un avatar romancé qui souffre, meurt et revient inéluctablement à la vie, mais des civils qui décèdent en faisant tourner la fragile économie de la ville dont vous avez la charge dans un monde mort et glacial. Un jeu de souffrance et de souffrances.
Frostpunk 2 arrive donc six ans plus tard, chargé de la lourde tâche d’être le vénérable successeur d’un titre salué par la critique et les joueurs. Un titre fondateur auquel votre serviteur n’a pas joué, ce qu’il est important de préciser. Nous nous lançons donc ici dans cette aventure tel un vil joueur casual.
(Test de Frostpunk 2 sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
La ville doit survivre
Jouer à Frostpunk 2, c’est avant tout un défi : celui de mener sa ville et son peuple le plus loin possible. Tenir le plus longtemps avant que tout ne s’écroule de l’extérieur ou de l’intérieur. Le jeu a le bon goût d’offrir des solutions après chaque claque infligée au joueur, de sorte qu’il est presque toujours possible de survivre un peu plus longtemps en prenant des décisions difficiles.
Car oui, c’est sans doute là le principal charme des jeux Frostpunk : choisir c’est renoncer, et gouverner c’est choisir qui vivra et qui périra avec en ligne de mire le destin de la ville (ou le bien commun, si vous vivez dans une étrange ville britannique où un département de police traque un cygne).
Gérer une communauté qui tente de survivre dans un monde désolé et glacial n’est pas chose aisée. Il faut tout d’abord trouver une source de chaleur puis de quoi l’alimenter. Pendant qu’une partie de votre fragile population se tue littéralement à la tâche pour que le grand réacteur central rugisse, une autre partie va briser la glace et tenter d’installer des districts alimentaires sur la moindre petite parcelle de terre fertile, des sites d’extraction sur le moindre filon de combustible et piller les matériaux qui peuvent être récupérés sur les vestiges de la l’ancien monde.
Cependant, le Grand Froid approche et les ressources sont insuffisantes pour tenir, alors des décisions radicales doivent être prises. On impose ainsi des conditions de travail effroyables aux ouvriers, qui accroît la létalité de leur activité autant que vos greniers se remplissent. Face à l’urgence et notre incompétence non-assumée, on déclare en public qu’il va falloir se serrer la ceinture. Des sourcils de froncent, des grimaces de haine apparaissent, pendant que les corps des défunts sont rassemblés et que votre gouvernance est déjà silencieusement remise en question. Mais qu’importe, puisque le Grand Froid est là et que la ville tient bon.
Du moins, elle a tenu bon sous le premier d’entre eux, mais des réfugiés sont à vos portes et votre bonté accroît soudainement le nombre de bouches à nourrir tandis qu’une mouvance religieuse vient râler parce que des habitants refusent de les écouter.
La ville s’étend pour son propre bien. Vos recherches technologiques offrent de nouvelles capacités, de nouvelles ressources à récupérer et de nouveaux bonus pour prolonger quelque peu la vie des habitants. Vous aviez promis à une faction de les soutenir dans un projet de recherche mais vos ressources sont subitement indispensables pour réparer le réacteur ou des logements. Par vos décisions, la vie perdure tandis que la rancœur prospère.
Cette ambiance de désespoir permanent qui drape pourtant quelques réussites et quelques vies sauvées font tout le charme de Frostpunk 2. Des dialogues apparaissent de temps à autre dans la ville, reflétant ici le fatalisme de personnes âgées qui se sacrifient pour que les jeunes générations vivent, sublimant là les états d’âme d’ouvriers faisant leur possible pour maintenir en vie la délicate économie de la ville tout en s’estimant lésés par les décisions du joueur.
Je dois survivre
Au-delà de la gestion purement technique de la ville et des ressources, il va falloir également composer avec les différentes factions qui siègent au conseil. Ces factions ne sont pas des entités abstraites donnant une illusion de profondeur comme dans certains jeux de stratégie ; dans Frostpunk 2 les factions reflètent des paradigmes au sein de la population que l’on peut sans peine retrouver dans notre monde réel et se figurer dans un tel scénario.
On retrouve ceux qui proposent que l’on mise tout sur la recherche technologique et l’adaptation au froid, ceux qui aiment bien (beaucoup) l’ordre et les choses figées, ceux qui font de tout et n’importe quoi une religion et une doctrine ou encore des réfugiés à qui vous avez ouvert les portes et ont leurs propres doléances.
Satisfaire tout le monde est peine perdue, tout au mieux peut-on jouer à l’équilibriste en soutenant telle faction sur telle loi, et telle autre en leur offrant des ressources ou en recherchant une technologie spécifique. Chaque technologie se décline ainsi en trois sous-versions, correspondant au point de vue de trois factions sur le sujet, et imposent donc de bien réfléchir à la priorité la plus urgente entre satisfaire votre ville et satisfaire une faction spécifique.
Faut-il opter pour des hôpitaux très performants qui vont freiner, voire stopper, les dizaines de morts hebdomadaires à cause de la maladie, ou opter pour des hôpitaux moins performants, qui agissent modérément sur la propagation de la maladie mais soignent plus vite les victimes, tel que proposé par les religieux ? Religieux dont vous pourriez avoir besoin du soutien pour faire passer une loi par la suite.
Les factions se retrouvent au sein du conseil de la vile où sont délibérées les lois mais aussi votre avenir. Elles ne sont pas forcément d’accord sur la manière dont il faut encadrer le travail des enfants ; elles peuvent être seules dans leur perspective ou bien la partager avec une autre, ce qui offre la possibilité d’améliorer légèrement les relations avec deux factions d’un seul coup si le besoin s’en fait sentir.
Le nombre de partisans et d’opposants pour chaque proposition de loi est présenté au joueur avant qu’il ne prenne une décision, ainsi que le seuil de voix requis pour la faire passer. Cependant, il y a toujours une grande marge d’indécis dont la participation peut produire un résultat aussi surprenant que regrettable. Tout parallèle avec des évènements politiques récents étant purement fortuits, même si, sarcasme à part, on ne peut qu’apprécier la restitution sérieuse de la gouvernance politique dans un jeu situé dans un univers très singulier.
L’ennui quand les gens ne sont pas contents, c’est qu’il y a des conséquences. C’est fâcheux, consternant et regrettable, mais c’est sans doute la principale leçon politique à retenir. Même s’il est possible de condamner certaines factions ou de combattre leur radicalité naissante, cela n’empêchera pas forcément les rassemblements inopinés d’opposants près du Saint Réacteur, poussant peut-être à devoir développer des technologies de contre-émeute.
Ces intrigues et délicatesses représentent une épée de Damoclès se balançant constamment au-dessus du joueur, et les factions peuvent se mettre d’accord pour considérer que vous êtes tout pourri en tant que gouverneur et qu’il vaut mieux vous exiler dans le grand désert de neige où vous et votre incompétence périrez sans ennuyer qui que ce soit. Un sort regrettable contre lequel le jeu s’amuse à vous offrir autant de solutions que de problèmes.
C’est ici que réside la grande force de Frostpunk 2 : cette dichotomie entre la survie de votre ville et de sa population, et votre survie à vous, au milieu des intrigues politiques où se côtoient des décisions pleines de bon sens à prendre sur des sujets consensuels et essentiels, et le militantisme spécifique à chaque faction qui offre autant de bonus uniques que d’inconvénients. Parmi lesquels une grande poussée sur cette fameuse épée de Damoclès pour voir si elle va tenir encore quelques instants ou vous tomber dessus.
La fin n’est qu’un commencement
Frostpunk 2 est un jeu de gestion qui assume pleinement son côté « die and retry », et ce même jusque dans le prologue de la campagne où nous avons lamentablement échoué à rassembler les ressources nécessaires pour survivre au premier Grand Froid. Un « Game Over » dans le prologue d’un jeu n’est pas forcément atypique, mais il reste surprenant lorsqu’il survient dans un titre qui laisse le joueur prendre son temps pour agir et le laisse contempler tout autant les bien beaux paysages du jeu que ses mauvaises décisions plusieurs minutes avant que les conséquences ne lui explosent à la figure.
Pour autant, le titre reste généreux en mécaniques de survie et moyens de grignoter un peu de temps moyennant quelques vies. Ce qui laisse le joueur bien souvent seul avec son éthique et sa morale. Un aspect qui aurait d’ailleurs pu être davantage poussé par le biais d’animations peut-être plus dramatiques lorsque l’on zoome sur la ville et ses habitants. Chaque partie est donc l’occasion d’apprendre de ses erreurs et de s’améliorer au jonglage permanent des priorités et des besoins.
Il convient de mettre en avant la très bonne direction artistique du jeu, qui offre une esthétique steampunk plutôt immersive et renforcée par le travail sonore qui nous accompagne. Allant des annonces sinistres au haut-parleur au vent glacial qui caresse le paysage déchiqueté et menace constamment la ville et ses habitants. L’immersion et la restitution de cet univers est assurément le véritable point fort de Frospunk 2.
Frostpunk 2 est un jeu qui prend une certaine malice à poser de multiples défis au joueur. Combien de temps sa ville va-t-elle survivre ? Combien de temps va-t-il tenir à la tête de la ville ? Quelles décisions horribles se prépare-t-il à prendre ? De fait, l’on prend un malin plaisir à éviter les écueils posés par le titre et une certaine fierté à progresser en prenant les décisions les plus justes ou les plus consensuelles avant qu’une faction ne se radicalise ou qu’une série de mauvaises décisions ne condamne la ville. On prend tout autant de plaisir à se lier à une faction spécifique et répandre la bonne parole du Saint Réacteur auprès des gens qui n’ont rien demandé mais qui paraissent trop innocents pour l’être vraiment.
La dimension RP est étonnement profonde pour un jeu de gestion, et, associée à la variété des cartes disponibles et la richesse de gameplay conférée par le système de lois, de factions et de recherche technologique, on se retrouve avec un titre qui ne devient pas ennuyant au bout de plusieurs heures et d’une partie à l’autre.
Pour autant, le tableau final est-il tout aussi blanc que les incommensurables étendues de neige que l’on observe incessamment dans le jeu ? Non, on regrette notamment une UI surchargée et peu intuitive (à l’image de celle des jeux Paradox, elle peut rebuter le nouveau joueur) et une absurdité insignifiante mais assez drôle : nos vagabonds ont toutes les peines du monde à se trouver des logements salubres et à alimenter en énergie la réacteur central de la ville, mais par contre aucun problème pour bâtir et faire fonctionner des excavateurs gigantesques pour aller péter de la glace à 15Km de la ville et lui permettre de s’étendre en début de partie.
En somme, au final, en prenant du recul et si l’on prend la peine de bien y réfléchir, Frostpunk 2 est un très bon jeu. Il ne nous appartient pas de l’évaluer vis-à-vis de son prédécesseur, mais l’expérience offerte ici est très solide, immersive, dénuée de bugs ou de problème d’optimisation, et l’on se trouve avec un jeu qui parvient à nous challenger sur le plan de l’éthique et de ce qu’il importe de faire pour survivre, seul et en communauté, le tout servi avec une esthétique steampunk réussie.