Les premiers trailers de Crime Boss: Rockay City nous ont fait trépigner d’impatience : des plans sur une ville inspirée par Miami dans laquelle on jouerait au gangster… le doux souvenir de Vice City n’était pas loin. Et puis, le casting délicieusement bis mettant sur le devant de la scène des gloires des années 80-90 et des loosers magnifiques était lui aussi un gros argument de séduction. Un projet qui portait d’avance le sceau « qualité VHS » !
Mais n’était-ce pas là aussi la promesse d’attentes décues ? Car même si on aime beaucoup les nanars de la fin du siècle dernier, on sait aussi que ce sont, finalement, de mauvais films…
(Test de Crime Boss: Rockay City réalisée sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
All Star Game
L’argument principal du jeu, c’est son casting. Jugez plutôt. Dans le rôle du héros Travis Baker, on retrouve Michael Madsen, inoubliable Mr. Blonde de Reservoir Dogs (la scène de l’oreille… !) dont la carrière n’aura jamais vraiment décollé (son dernier haut fait sera d’avoir été soupçonné d’être celui par qui la fuite du scénario de Hateful Eight est arrivée…). À ses côtés, Michael Rooker, acteur à la carrière en dents de scie capable du meilleur comme du pire. Vous l’avez certainement vu en tant que frère de Daryl dans la série The Walking Dead. Il joue aussi Yondu, dans les Gardiens de la Galaxy, a affronté Stallone dans Cliffhanger et incarné le serial killer Henry Lee Lucas dans le film culte Henri, Portrait of a Serial Killer. À noter que Madsen joue Travis, et Rooker, Touchdown. Clin d’œil ? Coïncidence ?
Déjà bancal, le casting franchit une étape pour se diriger vers le Z avec dans le rôle du chef du gang d’en face Vanillia Ice, interprète du one hit wonder « Ice Ice Baby » en 1989, et plus tard du plus confidentiel (mais très apprécié des connaisseurs) Ninja Rap (« Go, ninja, go ! ») sur la B.O. du deuxième film Tortues Ninja. Pour compléter le casting, on retrouvera Dany Trejo, vu tout récemment dans Far Cry 6, et qui ouvre le jeu sur un windsurf, d’un air de dire « attention, ça va être n’importe quoi ».
N’importe quoi comme la présence de Chuck Norris, dans le rôle de… Chuck Norris, ou plutôt du personnage (du monstre ?) à son image qu’a créé la démocratisation d’internet dans la seconde partie des années 90, avec les différentes pages « Chuck Norris Facts » (« Chuck Norris a déjà compté jusqu’à l’infini. Deux fois. »). Sheriff de Rockay City, il viendra systématiquement nous narguer à chaque défaite. Déjà qu’on ne l’aimait pas beaucoup à la base…
Et on refermera cette phase de namedropping interminable par la présence de la légende Kim Basinger, et de Danny Glover, célébré sur la planète pop culture pour son interprétation dans Predator II, mais aussi et surtout son rôle de Roger Murtaugh dans L’Arme Fatale. Un succès qu’on peut obtenir dans le jeu s’intitule d’ailleurs « J’ai plus l’âge », probable traduction à la truelle de la réplique culte « too old for this shit ».
Looser shooter
Avec une petite sensibilité aux séries B et aux films fauchés, on entre alors enthousiaste dans un jeu qu’on imagine volontiers dans la lignée de Kane & Lynch II (2010), cover shooter à la réputation injustement mauvaise, qui nous emmenait en balade meurtrière aux côtés de deux sales types, sortes de Trevor et Michael trois ans avant la sortie de GTAV.
Kane & Lynch II adoptait un style cinématographique très inspiré du polar de série B, avec une photo soignée, et énormément de cutscenes qui entrecoupaient des scènes de shoot très arcade. À moins que ce ne soit le contraire.
Alors que Kane & Lynch II était un TPS, Crime Boss se joue lui avec une caméra subjective et, bien qu’adoptant aussi des phases de cover shooter, se comparera plus à un PayDay, avec les mêmes objectifs de cambriolages et mitraillage dans des zones restreintes, mais ouvertes.
Crime Boss: Hoquet City
Alors que les lignes de cette critique défilent, on réalise que finalement, on a encore bien peu parlé du jeu. Ce qui, malheureusement, le représente bien. Car dans Crime Boss: Rockay City, l’oublié semble justement avoir été le gameplay. On peut pardonner l’effet vallée de l’étrange qui plane sur chacune des cinématiques. Le fait d’avoir des comédiens connus à l’écran d’un jeu au budget AA implique que la modélisation ne soit pas toujours des plus fines. D’autant plus quand les comédiens en question sont de vraies « gueules ». Le bouchon sera toutefois poussé un peu loin pour les avatars de Kim Basinger et Danny Glover, qu’on n’aurait peut-être même pas reconnus sans le générique ou la promo du jeu pour nous aiguiller.
On sera moins tolérant avec le gameplay cassé, injuste avec le joueur, qui nous fait régulièrement quitter la partie frustré. Les curseurs sont en effet placés n’importe comment (Dany Trejo nous avait prévenus avec son windsurf), et le jeu hésite en permanence entre le shooter brut et le jeu d’infiltration, sans nous donner les outils pour jouer ni à l’un, ni à l’autre.
On n’a ainsi pas de réticule de visée. Il faut obligatoirement passer par la touche R2 pour pointer son arme avant de tirer en utilisant le guidon de l’arme (le petit truc sur le canon) pour viser. Impossible de tirer à la volée, ou alors complètement à l’aveugle. Ce qui ralentit passablement nos actions, puisqu’il faut en passer systématiquement par la petite animation qui vient placer l’arme au milieu de l’écran avant de tirer. Mais ça passe encore et, finalement, les phases de tirs sont sûrement les plus réussies.
Dans d’autres missions, il faudra se montrer discret. Sauf que le jeu joue contre nous. On peut par exemple intimider les personnages présents sans faire usage de son arme (et donc rester à peu près silencieux), puis les menotter. Sauf qu’une fois qu’on aura quitté la pièce, ils s’enfuiront donner l’alarme et s’en suivra un déluge d’agents de police et autres SWAT. Alors, on peut bien éliminer silencieusement nos prisonniers d’un coup sur la nuque (impossible de les assommer), mais l’IA omnisciente du jeu avertira le reste des forces de sécurité en présence de l’absence de l’un des leurs à peine le coup parti, transformant à nouveau la mission discrétion en pluie de balles…
Paradoxalement, certaines missions sont d’une facilité déconcertante, et faire le tour d’un bâtiment pour éviter les gardes qui sont devant nous permet de rentrer dans un hangar absolument sans aucune surveillance, de se servir, et de repartir les mains dans les poches sans aucune difficulté, mais sans aucun fun non plus…
On n’aura pas parlé de la sympathique B.O. (Stereo MC’s, Bon Jovi…), ni du mode multijoueur, qui n’efface pas les défauts énumérés ci-dessus. On n’aura pas parlé non plus du côté Roguelite du jeu, et pour une bonne raison. L’un des aspects du Rogue est qu’il offre au jeu une vraie rejouabilité.
Or, il y a fort à parier qu’une fois que vous aurez compris que le studio qui signe ce Crime Boss: Rockay City s’est donné tout un tas de priorités autres que celle du gameplay, vous n’aurez pas forcément envie d’y revenir. Dommage.