Sorti à la fin des années 90 sur la première PlayStation de Sony, uniquement au Japon et aux États-Unis, Chrono Cross: The Radical Dreamers a participé à cet âge d’or du J-RPG. Une époque qui a vu un Squaresoft se placer au firmament des développeurs de jeux vidéo, avec des productions telles que Final Fantasy 8 (sorti quelques mois plus tôt), Xenogears (1998), les deux Parasite Eve (1998 – 1999) ou Vagrant Story (2000). Tant de titres qui ont su marquer profondément les joueurs de l’époque
Il n’est donc pas si surprenant que Square Enix choisisse de faire revenir sur le devant de la scène certaines gloires passées, avec donc notamment Chrono Cross: The Radical Dreamers Edition qui nous intéresse aujourd’hui. Et pour ne rien gâcher, cette édition inclut un épisode inédit hors de l’archipel, sorti à l’époque sur Satellaview (un module à ajouter à sa SNES permettant de télécharger des jeux), The Radical Dreamers: Le Trésor Interdit.
Plus de vingt ans après la sortie initiale, on est en droit de s’interroger sur la pertinence de ce retour du titre culte. Sa présence en 2022 ne serait-elle finalement pas anachronique ou au contraire Chrono Cross: The Radical Dreamers est-il un J-RPG à l’épreuve du temps ?
(Test Chrono Cross: The Radical Dreamers sur Switch réalisée à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Un jeu en avance sur son temps…
La concurrence est forte au sein de Squaresoft. Chaque équipe de développement cherche à faire en permanence mieux que les autres, à proposer une histoire encore plus poignante et immersive (rappelons que deux ans plus tôt, Final Fantasy 7 déferlait sur le monde).
De ce point de vue, le pari est largement réussi. Même aujourd’hui, Chrono Cross: The Radical Dreamer nous happe dans un univers qui n’a pas pris une ride. Bien sûr, techniquement, le jeu a subi les affres du temps, mais la direction artistique, elle, continue de rayonner et nous offre des décors colorés enchanteurs à explorer. Beaucoup de jeux en 3D de cette époque sont difficilement regardables de nos jours. Ce n’est pas le cas de Chrono Cross. Même les cinématiques en images de synthèse ont su nous faire lâcher notre onomatopée d’extase. Il conviendra de prendre un pas de recul, car on a affaire là à une simple remasterisation, mais le jeu n’avait pas besoin de plus pour paraître beau comme au premier jour.
Une direction artistique haute en couleur comme l’est l’aventure. Bien que les débuts soient poussifs, nébuleux même, on embarque aux côtés de Serge et Kid dans une épopée magistrale, intemporelle. Mieux encore, certains retournements dans le récit ont réussi à nous scotcher devant notre écran. Une audace scénaristique rarement vécue, même dans nos jeux récents. Une aventure incroyable portée par les compositions de Yasunori Mitsuda, à qui l’on doit les OST de Xenoblade Chronicles 2 ou Shadow Hearts notamment, qui signe là une des meilleures bandes originales de tous les temps, rien que ça. Il suffit de se laisser porter par les premières notes de l’introduction du jeu pour comprendre qu’on a affaire à un titre à part.
Mais Chrono Cross: The Radical Dreamers a en plus cette seconde grille de lecture, très actuelle. Il évoque, avec plus ou moins de finesse, la place de l’Homme face à la Nature, et son impact sur la planète et les êtres vivants qui la composent. Un discours écologique qui a une résonance particulière à notre époque.
Et puisqu’on en est à évoquer l’aventure avec un grand A, n’oublions pas que, comme son nom l’indique, cette édition inclut le visual novel The Radical Dreamers: Le Trésor Interdit. Il s’agissait à la base d’un spin-off de Chrono Trigger, servant de prologue finalement à Chrono Cross. N’y allons pas par quatre chemins, nous n’avons pas vraiment été convaincus. On en apprend certes un peu plus sur l’univers et ses personnages, mais l’apport, comme l’intérêt du jeu, sont tellement limités qu’il est difficilement recommandable.
… Malgré quelques ridules à cacher
Mais Chrono Cross: The Radical Dreamer n’est pas parfait, loin de là. On a beau vivre une histoire épique, particulièrement bien écrite, force est de constater que ses protagonistes n’ont pas bénéficié du même soin. Avec plus d’une quarantaine de personnages jouables, à recruter tout au long du jeu, on pourrait se dire que c’est normal. Pourtant, on ne peut s’empêcher de regretter que seule une (petite) poignée d’entre eux soit vraiment intéressante.
Alors évidemment, en étant curieux, on a pu découvrir quelques menus détails sur la vie de nos partenaires, mais in fine, seuls Kid et Arle sortent véritablement du lot. D’autres guerriers bénéficient aussi de leurs moments, mais beaucoup ne sont que des coquilles vides qui intègrent notre groupe sans raison particulière et ne quitteront jamais les tréfonds de notre réserve de combattants.
C’est un peu le même souci que l’on a eu avec le système de combat, d’ailleurs. D’un côté, les mécaniques de jeu ne manquent pas d’originalité et nous laissent très librement choisir nos stratégies. On est invité à nous adapter aux forces et faiblesses élémentaires de nos alliés comme de nos ennemis via une barre d’éléments (magie ou objets) entièrement personnalisable. À chaque bataille, nous devons faire le choix entre attaquer rapidement, mais faiblement, ou prendre le temps d’accéder à nos meilleurs sorts, au prix de quelques HP grappillés par notre adversaire.
D’un autre côté, ce système de combat poussé a malheureusement impacté notre expérience. Le challenge étant plutôt réduit, on se retrouve fatalement à ne pas utiliser les possibilités offertes et à simplement spammer nos attaques physiques pour pouvoir enchaîner nos éléments les plus puissants. Une stratégie payante à quelques pics de difficulté près.
Mais surtout, les combats s’avèrent souvent très longs pour pas grand-chose, le jeu ne se reposant pas sur un système de level up traditionnel. Nos statistiques n’augmentent en effet qu’après les combats de boss et pendant les quelques affrontements qui suivent. De fait, la plupart des batailles nous sont apparues régulièrement comme des interruptions inutiles et frustrantes, que l’on enchaîne sans réel plaisir.
C’est là qu’interviennent les options de conforts auxquelles Square Enix nous a habitués. Dans Chrono Cross: The Radical Dreamers Edition, on peut accélérer l’action, bloquer les affrontements sur la carte, et surtout fixer la barre d’action au maximum. Des possibilités que nous avons particulièrement appréciées, car elles permettent d’éviter un épuisement face à un manque de tempo entre deux boss ou moments scénaristiques forts.
Les fans ayant connu Chrono Cross: The Radical Dreamers à la fin des années 90 retrouveront avec délectation un des plus grands J-RPG de son époque, voire de l’histoire. Même les nouveaux venus pourront apprécier un scénario audacieux, une bande-son magistrale et une direction artistique de toute beauté.
Néanmoins, on ne peut ignorer des soucis qui, s’ils étaient tolérés à l’époque, passent beaucoup moins bien aujourd’hui. Chrono Cross: The Radical Dreamers est une œuvre anachronique, à la fois très contemporaine sur bien des points, mais qui accuse aussi le poids de nombreuses années, notamment en termes de rythme.
Heureusement, les développeurs ont pensé à intégrer dans cette remasterisation de nombreux ajouts bien utiles pour supporter ces écueils d’un autre temps. On passera sur le choix des résolutions (le jeu se doit d’être fait en 4:3 pour éviter un étirement de l’image inélégant), car ce sont surtout les options de confort qui sont très appréciables.
Même si on aurait pu espérer un meilleur lifting technique pour cette sortie en France après près d’un quart de siècle d’attente, ne boudons pas trop notre plaisir, et croisons à présent les doigts pour que Square Enix se souvienne de ses autres grandes licences qui prennent la poussière dans sa cave.