La sortie d’un jeu indé suscite toujours chez les joueurs doutes, attentes et appréhensions. Car même si quelques productions parviennent à se démarquer, à l’image de Kena: Bridge of Spirits ou bien du récent nominé Stray, certains studios ne sont pas parvenus à convaincre les as de la manette qui, par la suite, ne peuvent être que réticents à la sortie d’un nouveau jeu indépendant.
C’est alors que les polonais du studio indé The Parasight débarquent en ce mois de décembre pour la sortie de Blacktail, leur première production inspirée du mythe slave de la sorcière Baba Yaga, révélée pour la première fois lors de l’E3 2021. Et soyez-en sûrs, nous sommes loin de l’univers de Cendrillon.
(Test de Blacktail réalisée sur PS5 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Il était une fois la sorcière
Dans le monde de Blacktail, nous ne manquerons pas d’évoquer la profonde solitude dans laquelle l’héroïne se trouve. Car dans ce monde aux ambiances glauques et mortifères, vous incarnerez Yaga, une jeune paria accusée de malédiction et rejetée de son village en conséquence. Et le jeu insiste bel et bien là-dessus, nous sommes seuls. En effet, ce semi open-world grouille de monstres, mais se trouve paradoxalement mort. On ne parlera qu’à des champignons, des araignées, des insectes ou des plantes carnivores. Aucun humain en vue, donc, seulement leurs esprits.
Ainsi, le joueur se retrouve livré à lui-même dans un monde hostile qu’il ne connaît pas. D’ailleurs, là où The Parasight a voulu mettre l’accent, c’est sur l’exploration de son univers. Le monde de Blacktail se divise en quatre zones différentes, et chacune des zones proposera un biome associé à une saison. D’autant que certaines zones présentent des couleurs vives, là où le jeu adapte un univers slave que l’on attendait sombre et terne dans son intégralité.
Cependant, ce mélange de couleurs n’en devient pas moins plaisant à explorer, d’autant qu’on nous propose une exploration vraiment fluide et dynamique. En effet, on ne peut pas dire que Yaga paresse, puisque pour explorer le monde, notre héroïne va courir à toute allure en quête de réponses. Et cette fonctionnalité est franchement bienvenue tant les déplacements dans l’univers de la paria vont être désagréables.
Car tout sera conditionné par les ressources que vous récolterez dans la nature ou dans les nombreux coffres cachés dans les moindres recoins de la map (bien que ces derniers ne contiennent pour la plupart d’entre eux que des objets inutiles au crafting). Si vous êtes entre la vie et la mort, pas de potion de soins, mais des fleurs bleues à trouver, que l’on ne peut bien sûr pas stocker. Des plumes et des branches pour la confection de nos flèches, ou encore des fleurs rouges que l’on a hésité à nommer fleurs de sauvegarde.
Car le système de sauvegarde dans le jeu réside tantôt dans le scénario, tantôt dans les autels prévus à cet effet. De ce fait, si vous ne déposez pas une fleur dans chacun des autels que vous croiserez, le jeu n’hésitera pas à vous ramener à l’endroit de votre dernière sauvegarde, ce qui vous obligera à traverser à nouveau une zone que vous venez de parcourir, et battre une fois de plus les monstres que vous avez battus dix minutes plus tôt.
Alors même si l’idée de la récolte de ressources est bonne en soi, cela devient vite lassant, et parfois, on oubliera de prendre ces plumes, de récolter ces branches, ou d’ouvrir ce coffre. Le problème de ce système de crafting, c’est qu’il peut vite devenir contraignant dans la mesure où vous n’avez pas les ingrédients nécessaires. Une araignée vous empoisonne, il vous manque des fleurs rouges et des cristaux pour l’antidote, vous pouvez toujours mourir si vous ne trouvez pas vos ingrédients à temps. Et d’un sens, même si tout cela colle avec le fait que vous êtes une paria, il n’en reste pas moins que nous avons affaire à un système dérangeant à la longue.
Et même si vous oubliez de récolter des ressources, de toute manière, le jeu va vous y obliger. Car Yaga peut débloquer un arbre de compétences à la Hutte, base de la jeune fille, et chacune des compétences se déverrouille grâce à un certain nombre de ressources, dont des cristaux, des fleurs ou du miel, ou les trois. Alors même si vous êtes dérangé par la cueillette, vous allez devoir vous y coller. On notera par ailleurs que certaines compétences acquises par Yaga ne lui serviront pas plus que ça. On a alors affaire à des aptitudes assez superficielles, voire inutiles.
C’est dommage, car même l’arsenal de la jeune fille ne se résume qu’à un arc et un gantelet. On aurait peut-être voulu débloquer des compétences nous permettant de déployer nos pouvoirs maléfiques avec ces objets, là où le gantelet ne permet que de lancer le hocus de déflexion pour faire reculer nos ennemis ou déblayer des chemins. Et ce n’est pas le balai inutile de la sorcière qui nous fera dire le contraire. Le personnage est pauvre en possibilités. On notera que le jeu n’aura pas hésité à emprunter des parts de son gameplay à un certain Kena: Bridge of Spirits, où l’héroïne se retrouve seule dans un univers d’une part riche en couleurs, mais d’autre part sans vie humaine, à l’image de Blacktail.
Le conte, axe central du jeu
Un jeu inspiré d’un conte appellera inévitablement la mention d’autres contes bien connus. C’est alors que l’on verra quelques noms revenir, tels que la Belle au bois dormant, Hansel et Gretel ou encore les trois petits cochons. Pourtant, parler à des larves ou à des fourmis ne permettra pas de cacher la part d’ombre des contes de ce jeu, en incarnant un personnage sans cesse observé, sous le regard et les remarques constantes de tout le monde. Seule et prise au piège, Yaga devra faire face aux menaces de mort des champignons, à l’obscurité de la forêt et à ses créatures maléfiques.
On appréciera alors le mariage entre la féerie du monde et la cruauté des bois. Un mélange réussi, une recette efficace, qui nous fait nous rendre compte que dans les contes, tout n’est pas tout beau, tout joli. Le conte de Baba Yaga, conte principal de l’histoire, en est d’ailleurs le parfait exemple. C’est à travers des cinématiques animées (aucune cinématique 3D, ce qui est légitime vis-à-vis du budget réduit du petit studio polonais) que nous verrons le passé de la jeune paria et de ses proches. Mais malheureusement, nous avons affaire à des cinématiques à rallonge, bourrées de dialogues qu’il nous faut lire, ou non, pour comprendre l’histoire.
Parce que de toute manière, même sans prêter attention à ses cinématiques, le jeu nous guidera sans cesse vers ce que l’on doit faire. C’est d’ailleurs de cette manière que The Parasight aura réussi à tuer une dimension énigmatique à certaines quêtes, qu’ils auront pourtant essayé d’instaurer. Ainsi, Yaga parlera seule en se disant elle-même ce qu’elle doit faire, avec des répliques du style « et si je faisais ça, peut-être que j’arriverais à faire tomber cet objet ».
C’est alors avec une grande facilité que se déroule l’histoire, mais un malheureux sentiment de déjà-vu revient à chaque nouvel acte et chaque nouveau boss. Car même si l’on aurait pu imaginer un boss différent à chaque chapitre, afin de varier un temps soit peu les mécaniques en combat, le studio en a décidé autrement, en mettant pour chaque acte un boss similaire, qu’il s’agisse d’un esprit ou d’un diablotin. Tirer sur des statues, des yeux ou des geysers pour remporter le combat. Vous avez là les seules interactions efficaces lors des combats de boss dans Blacktail.
Et lorsque l’on parle de boss, on veut bien sûr parler des créatures battues au sein même du scénario. Car il existe dans le jeu des boss secondaires, qu’il est possible d’affronter autant de fois qu’on le désire. Mais on passera à côté la plupart du temps, tant leur présence est anecdotique. Et à la fin de chaque acte, nous avons le droit, après une longue histoire racontée lors d’une cinématique, de jouer une séquence en 2D, et même si ces niveaux s’avèrent plaisants, nous n’avons pas réellement saisi leur intérêt dans l’histoire.
Ainsi, avec le risque qu’a pris The Parasight en voulant mettre trop de choses et de mécaniques différentes, on se retrouve vite perturbés. D’autant plus qu’il est difficile de discerner la quête principale de la quête annexe, puisque ces dernières se mélangent et s’accumulent dans chacune des zones.
Se morfondre dans l’ombre ou se repentir sous la lumière
Mais malgré tout, le studio polonais a su reproduire fidèlement l’essence même du conte de la sorcière Baba Yaga, tiraillée entre la vilénie et la bonté, entre l’ombre et la lumière. Ainsi, le jeu place le joueur au centre de ce dernier. Dans Blacktail, votre destin vous appartient. Du moins, en ce qui concerne votre image. Même si le monde vous traitera constamment en sorcière en voulant vous enfoncer sans cesse dans l’ombre, il vous sera possible de tendre vers la lumière afin de paraître ne serait-ce qu’un temps plus serviable qu’on ne le croit.
Car dans Blacktail, chaque décision que vous prendrez impactera votre statut. De la pervertie à l’incarnation du bien en passant par la noble, c’est vous, et seulement vous qui déciderez où vous situer. Cependant, les actions menées pour tendre vers le bien ou le mal sont toujours les mêmes, et il sera logique de ne pas tuer le phasme pour tendre vers la lumière, ou de faire tomber la ruche pour rester dans l’obscurité. D’autant que le jeu vous indiquera assez rapidement quoi faire si vous avez des doutes.
Car en aidant la GENTILLE larve ou en mentant à la MÉCHANTE reine des fourmis, vous saurez rapidement où vous positionner. Blacktail, comme évoqué plus tôt, aura cette fâcheuse manie de toujours vouloir donner la réponse, révéler l’énigme, ou mettre en majuscules les mots-clés. Tout vous aidera, et finalement, en voulant être maître de votre destin, vous ne suivrez qu’un fil déjà établi par l’histoire, car même les changements entre la voie de l’ombre et celle de la lumière sont trop subtiles pour impacter cette dernière.
Cependant attention, votre statut pourra varier assez rapidement, car il suffit que vous commettiez une succession de mauvaises actions en étant noble pour redescendre dans l’ombre. Veillez alors à rester sage comme une image si votre choix se tourne vers la lumière, et vice-versa.
Les équipes du studio The Parasight ont réussi leur première production. C’est dans un univers féérique que prend place le célèbre conte slave de la sorcière Baba Yaga, dont le studio va fortement s’inspirer. Et les défauts notables au niveau de l’exploration et de la manière dont le jeu guide constamment le joueur ne viendront pas gâcher notre expérience de jeu pour autant.
Ainsi, Blacktail est la petite surprise indé de cette fin d’année, qui aura su nous transporter dans son conte à la fois féérique et cruel avec des décors riches en couleurs, accompagnés d’un casting voix glaçant, emmenant nos joueurs découvrir la face cachée d’une histoire pour enfants, le tout dans une atmosphère glauque et mortifère.
Alors malgré les quelques reproches que nous devions noter sur le jeu, il n’en est pas moins que Blacktail reste une belle expérience. Si vous aimez la fantaisie, l’action, les contes et la magie, foncez découvrir l’histoire de Baba Yaga. Et ce qui est sûr, c’est qu’elle ne se maria pas et n’eut aucun enfant…