Ce 19 avril, Square Enix signait un contrat avec Elixir Games, la première plateforme de distribution de jeux vidéo Web3. De l’aveu de Carlos Roldan, PDG d’Elixir, ce partenariat vise à généraliser les jeux vidéo Web3 grâce à l’influence de Square Enix dans le milieu.
Si Elixir Games n’est pas forcément une entreprise connue du grand public, elle est en revanche le poids lourd des plateformes de diffusion de jeux à NFT, et met en avant sa capacité à gérer tout l’aspect technique requis par la mise en place de la chaîne de blocs dans des jeux, qu’ils soient déjà publiés ou encore en développement.
« Ce partenariat nous rapproche de l’adoption massive des jeux Web3. Notre équipe est très enthousiaste à l’idée de faire fonctionner cette technologie, et nous prévoyons que les utilisateurs d’Elixir Games joueront à des jeux Web2 et Web3 sans distinction. Encore plus de meneurs de l’industrie ont intégré le secteur et proposent des projets importants en 2023, et nous anticipons d’en voir d’autres leur emboîter le pas au cours de l’année. Nous ne ménageons pas nos efforts pour nous assurer d’être prêts à faire face à l’évolution du marché. » – Carlos Roldan
Déjà dans cette annonce, nous retrouvons des termes qui ne sont pas forcément très connus en dehors de la sphère intéressée par les crypto-monnaies. Notamment, les notions de « Web2 » et de « Web3 » sont importantes à prendre en considération si l’on veut s’intéresser aux différences fondamentales dans la manière dont est considérée la toile par les utilisateurs. Il s’agit avant tout d’une distinction imaginée par Gavin Wood, l’un des co-fondateurs d’Ethereum, une chaîne de blocs conçue en 2013, rendue public en 2015.
Les expressions Web1, Web2, et Web3 se réfèrent chacune à une période d’existence d’internet, désignée à travers la manière dont s’expriment les rapports entre les différents utilisateurs. Selon Gavin Wood, le but premier d’internet serait de mettre en relation les utilisateurs sans aucune médiation. Le Web1, daté de 1990 à 2004, présente alors un internet en « lecture seule », où les sites étaient généralement gérés par les entreprises, sans que les utilisateurs n’aient réellement d’espaces d’expression. Cette constitution est remise en question à partir de 2004, avec la fondation des réseaux sociaux comme Facebook ou MySpace. On parle alors d’un web « écriture-lecture », des plateformes dédiées aux interaction entre utilisateurs existent, mais elles sont gérées par de grandes entités, qui ont un grand droit de regard sur le contenu.
Le Web3 vise à se détacher de la médiation de ces grandes entités en mettant en place un contact direct entre les utilisateurs. La chaîne de blocs y est employée comme un moyen de rendre l’utilisateur maître de ses propres données. Les crypto-monnaies sont placées au cœur de ce système, que Gavin Wood appelle « lu-écrit-possédé ».
« Web3 utilise des blockchains, des cryptomonnaies et des NFT pour rendre le pouvoir aux utilisateurs sous forme de propriété. » – Ethereum
Les jeux vidéo Web3 rejoignent cette idée de possession, et c’est notamment dans ces systèmes que prospèrent les jeux à NFT dont nous vous parlions il y a quelque temps. Les jeux Web3 font partie de ces jeux auxquels on joue pour faire un profit, plutôt que comme un simple passe-temps de détente. À travers ce contrat avec Elixir Games, Square Enix fait valoir l’engagement lancé par son président Yosuke Matsuda, qui est d’intégrer Square Enix à cette économie. Hideaki Uehara, directeur du développement commercial chez Square Enix, s’est également exprimé sur cette volonté d’entrer dans le marché des jeux à jouer pour s’enrichir.
« Ce partenariat avec Elixir Games représente une nouvelle étape pour Square Enix dans l’exploration des opportunités ouvertes par les jeux sur le Web3. »
Ce n’est pas la première action menée par Square Enix dans ce sens : en juillet 2022, Square Enix avait annoncé que la première licence à bénéficier de NFTs dédiés serait Final Fantasy VII. À travers un jeu de cartes mettant en avant la licence pour ses 25 ans, les acheteurs recevraient en même temps des NFTs liés aux cartes. Là, il s’agit d’aller plus loin : Elixir Games n’est pas juste un éditeur de jeux, puisque l’entreprise joue un rôle actif dans l’intégration d’économies liées au Web3 dans des titres, nouvellement sortis ou déjà existants. Il est alors facile d’imaginer les opportunités vues par Square Enix dans ce partenariat.
Du point de vue d’Elixir Games, Square Enix est vu comme un moyen de rendre populaire le Web3 à un public n’y étant pas familier. En effet, d’un point de vue pratique, il s’agit là du problème majeur de cet univers tournant autour du Web3, des crypto-monnaies et des NFTs. Il est, en fin de compte, assez hermétique à une majorité du public, qui n’a ni les compétences informatiques ni le temps de s’y investir.
Il s’agit, d’un point de vue extérieur, d’un excellent moyen de présenter le Web3 à un public n’y étant pas réceptif à l’origine. La logique, du côté d’Elixir, est compréhensible. Pour autant, du côté de Square Enix, la logique est moins claire. En effet, déjà les cartes de Final Fantasy VII avec des NFTs étaient un non-sens. Final Fantasy VII, un titre mettant au cœur de son propos l’écologie et les dégâts causés par le capitalisme, se retrouve lié à un projet de NFTs, considérés comme un danger écologique.
En effet, si un argument peut être tenu sur les progrès menés par les NFTs au sujet de leur impact écologique concret, c’est ce qu’ils représentent qui est problématique. Les NFTs sont des objets numériques uniques qui n’ont pour unique but et utilité que d’être possédé. Or, c’est bien cette logique de surconsommation qui est pointée du doigt par les militants et les œuvres traitant de l’écologie. Le fait de choisir Final Fantasy VII comme première licence à être intégrée aux projets NFT de Square Enix semble être une négation totale de tout ce que représente le titre.
De plus, la logique d’Elixir Games, si elle est facile à comprendre, peut laisser dubitatif : vont-ils, grâce à Square Enix, réussir à pousser les joueurs vers un environnement qui ne les a pas intéressés jusqu’à présent ? Les jeux Web3 vont plus loin qu’une simple différence de gameplay ou de plateforme : c’est la raison même de pourquoi on joue qui est différente. Les licences de Square Enix, bien que très appréciées, ne suffiront peut-être pas à attirer les joueurs de manière durable sur la plateforme.
C’est une question d’autant plus importante que Square Enix ne choisit peut-être pas forcément les meilleurs titres pour promouvoir ses ambitions. Cela crée un décalage trop grand entre le jeu, son propos et son public qui adhère à ce propos face à une ambition qui s’y oppose. Cela nous semble être un fondement fragile pour l’importation d’une économie nouvelle, qui n’est même pas forcément en adéquation avec ce que souhaitent les joueurs.
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