Moon Studios, connu principalement pour Ori, propose son dernier projet en accès anticipé, No Rest for the Wicked. En Early Access depuis le 18 avril, le jeu avait attiré notre rétine depuis quelques années et nous avons enfin pu mettre la main dessus. Présenté comme un mélange de Souls-like, de hack’n slash et de survival, ce petit bijou graphique aura le mérite de proposer un cocktail de genres original… mais qui n’aura pas forcément réussi à séduire les foules.
Après avoir fini l’Early Access, on peut dire que No Rest for the Wicked était toutefois agréable, mais pourvu de gros défauts qui, on le sait, ne sauront être suffisamment polis, car ce sont les fondations mêmes du jeu qui semblent bancales. Le titre, malgré une véritable claque graphique, possède un noyau de jeu-service et quelques incohérences dans son game design. On peut alors se demander : est-ce que No Rest for the Wicked n’est pas victime du cahier des charges contemporain ?
Quand l’inspiration devient ersatz
Commençons par le plus facile : critiquer le service marketing de Moon Studios. S’enorgueillissant de proposer une véritable « révolution » du RPG, Moon Studios voulait certainement davantage parler d’un tour sur lui-même que d’une véritable avancée pour le genre.
Il est assez difficile de trouver une savante invention en termes de level design ou de game design : un peu de Souls-like ici, un peu de survival/housing là (choisissez : V Rising, Stardew Valley, Valheim, Enshrouded…) et une sauce hack’n slash pour faire passer le tout. Au final, le jeu propose en moins bien ce que les cadors de ces genres respectifs proposaient déjà.
On trouvera donc : des combats inférieurs à un Souls, du housing optionnel, surtout là pour faire de la rétention, et du hack’n slash mal dosé. Alors, oui, le jeu n’est pas encore terminé et les équilibrages ont déjà commencé, mais nous parlons là des fondamentaux. Les ennemis n’ont généralement pas plus de trois attaques différentes et les timings sont toujours les mêmes, l’IA est basique et se faufiler derrière l’ennemi pour délivrer un backstab est trop facile.
Etablissons de suite que No Rest for the Wicked possède trois facettes, trois personnalités. Le genre du Souls-like, le genre du survival et le genre du hack’n slash. Pour parler de la schizophrénie de ce dernier, un très bon exemple nous vient en tête. Après chaque victoire contre un boss, le jeu propose comme récompense (attention, tenez-vous bien) de la place dans l’inventaire.
En ayant fait preuve de votre talent dans un genre, le boss fight, que l’on va ranger dans la catégorie Souls-like, le gain se traduit vers un autre genre, le survival, avec un stock plus facile des ressources, l’amassement de ces dernières rendant la progression beaucoup moins poussive.
No Rest for the Wicked possède aussi un rapport assez ambivalent à l’exploration. Une caméra parfois dynamique qui laisse place à la contemplation, un level design qui incite à parcourir en long, en large et en travers le jeu, mais des angles de caméra parfois très mal gérés qui bloquent l’exploration. Sans parler des séquences de platforming très accessoires… et parfois totalement bugées.
Le côté survival permettra d’amasser plus de ressources donc, ces ressources permettront d’améliorer les marchands qui permettront de renforcer votre stuff pour pouvoir battre les boss. Si un cercle se dessine (Souls-like -> Survival -> Hack’n Slash -> Souls-like), celui-ci est plutôt original.
Le dernier-né de Moon Studios veut faire dialoguer ces genres entre eux et c’est une très bonne chose. L’idée peut séduire, mais il en résulte une progression extrêmement lente, on peut même parler de progression sciemment alourdie.
En effet, pour améliorer les échoppes des différents marchands, il vous faudra accumuler énormément de ressources, vous resterez ainsi beaucoup trop longtemps dans la zone de départ pour pouvoir farmer le bois du tiers 1, car la structure de progression du jeu emprunte la structure d’un RPG des années 2000. Vous devrez d’abord farmer le cuivre, pour pouvoir ensuite farmer l’acier pour ensuite passer à l’argent, etc. World of Warcraft, vous connaissez ?
Le pire est à venir, car pour améliorer l’établissement d’un marchand, il vous faudra patienter un temps délimité : une heure pour passer au T1 et quatre heures pour le T2. Sauf qu’il s’agit du temps passé in-game ! On ne se serait pas douté que Moon Studios nous propose un game design à la Clash of Clans. Combien de temps faudra-t-il jouer pour améliorer la forge au T5 ? Seize heures ?
Un système de quêtes hebdomadaires et journalières est également à l’ordre du jour. Vous sentez sûrement déjà que ça commence à sentir le roussi, mais vous n’êtes pas au bout de vos peines. Il est impossible de prendre toutes les quêtes d’un coup, vous devrez faire une seule quête à la fois, car les quêtes modifient l’environnement.
En effet, si vous prenez une quête vous demandant de tuer trois loups à tel endroit, il y aura trois loups à cet endroit au lieu des ennemis habituels. Des conflits entre les quêtes pouvant subvenir, le jeu vous force à faire des allers-retours pour faire vos quêtes journalières. Vous avez bien lu, les quêtes et les défis se résument à : tuer trois loups, cueillir quinze champignons, tuer tous les bandits de cette zone ou bien encore bloquer quinze coups !
Un game design peu scrupuleux
Et c’est bien tout le problème de No Rest for the Wicked. Son game design est pensé pour être un jeu-service. Peut-être tombons-nous de haut, car nous ne nous y attendions pas, mais cet aspect du game design est très mal géré. Avec des quêtes qui forcent à faire des allers-retours, du farming de ressources intensif avec un inventaire volontairement restreint ou bien encore les upgrades de bâtiments qui mettent quatre heures à se développer, tout est fait pour ralentir le joueur.
Sans vouloir spoiler, le dernier donjon, véritable enchaînement d’arènes, est aussi fait pour vous faire recommencer le plus de fois possible. Il vous suffira de mourir pour recommencer depuis le début, et ainsi de suite. De plus, il vous faudra un item bien précis pour démarrer la run du donjon. Sans cet item, il vous faudra aller le farmer. Une autre manière de considérer le game design comme ultra-punitif est la mort. Dans un Souls, la mort n’est au final pas bien grave, mais ici, elle est une triple punition.
Votre armure sera abîmée, il vous faudra donc de l’argent ou bien un item pour réparer votre gear. L’autre punition, ce sont les soins. Car votre moyen de récupérer de la vie est principalement lié aux consommables au début de l’aventure. Par la suite, vous débloquerez l’auberge ou des potions de soins, mais le début de l’aventure est vraiment pénible à ce niveau.
Cette décision de game design, en plus de montrer toute l’efficacité d’un jeu FromSoftware dans l’utilisation d’un stock défini de potions qui se recharge après chaque feu de camp, montre bien qu’il y a une véritable volonté de freiner le joueur dans sa progression. À court de soins ? Il ne vous reste plus qu’à farmer pour retenter votre chance. À noter que ce problème est moins présent quand vous débloquez le cuisinier, mais il vous faudra désormais débourser encore plus d’argent.
Si nous voulons nous appesantir sur les consommables, il conviendra là aussi de parler de la cuisine, un des moyens pour fabriquer des consommables de soin. Petit retour en arrière. 2017, Breath of the Wild, on peut expérimenter soi-même des combinaisons d’aliments pour découvrir de nouveaux plats. Au bout d’un moment, on comprend en ajoutant tel ou tel aliment que l’on va obtenir tel ou tel plat (régénération d’endurance, protection contre tel élément, etc.).
Ici, en 2024, si vous n’avez pas débloqué la recette, vous ne saurez que cuisiner le plat de base, la soupe de champignons. Et vous allez en souper de cette soupe aux champignons. Les soins sont tellement importants que durant le loot, gros point noir de la dimension hack’n slash, vous croiserez les doigts pour avoir un consommable de soin (la sacro-sainte soupe aux champignons) plutôt qu’une pièce d’équipement que vous ne pourrez généralement pas équiper, autre point noir. Il nous aura fallu à peu près une dizaine d’heures pour commencer à débloquer d’autres recettes, ce qui est beaucoup trop tard.
Une digestion mal restituée
On l’a déjà dit, No Rest for the Wicked essaye de prendre ici et là des idées de game design, mais certaines incohérences gâchent parfois le tout. Pour exemple, nous allons maintenant parler de la dimension hack’n slash.
Le jeu prend aussi ici quelques idées à de grands noms du hack’n slash, comme Diablo (enchâssement de rune, enchantement d’arme, système d’affixe aléatoire, etc.) Mais là encore, il le fait un peu moins bien. Pourtant, certains jeux récents ont prouvé qu’il était possible de changer la donne. Ainsi, l’artisanat dans Last Epoch permettait de développer, améliorer, retirer des affixes à une pièce d’équipement. Ici, vous jouez au loto et vous espérez avoir un bon lancer.
Il existe une chance que votre arme soit enchantée avec des affixes qui ne vous intéressent pas du tout, par exemple des dégâts de parade alors que vous ne savez pas parer, ou bien que votre arme soit maudite, les affixes seront beaucoup plus forts, mais vous aurez un malus tellement handicapant, et parfois carrément dans le sens contraire de votre build, que vous n’aurez aucune alternative si ce n’est jeter votre arme et répéter l’opération.
Il faut savoir que la puissance de l’affixe est aléatoire, le nombre d’affixe aussi et sa nature le sont tout autant. L’aléatoire prend beaucoup trop de place et c’est encore plus vrai dans le loot. Si c’est le loot qui fait la différence entre un bon hack’n slash et un très bon hack’n slash, ici, on ne comprend pas vraiment le choix d’incorporer de la RNG dans un jeu où on ne tue pas cinq ennemis en un seul clic.
Problème d’interface vis-à-vis du loot, impossible de connaître les propriétés de la pièce d’équipement avant de l’avoir ramassée. Même le hack’n slash le plus basique montre bien les affixes d’un item avant le loot et donne quelques informations sur la nature de l’objet. Nul doute que ce souci sera corrigé, mais la bourde est quand même assez inquiétante.
Vous aurez parfois la chance de looter un objet légendaire sur un boss, mais il sera aussi possible de looter un énième consommable que vous avez déjà en quinze exemplaires, pas très satisfaisant, vous en conviendrez.
Autre problème majeur, mais cela peut facilement être corrigé, l’absence de respécialisation. Souhaitant faire un personnage orienté magie, nous avons attendu une arme magique en vain pendant les trois premières heures, nous rabattant par dépit vers un build dextérité, car le jeu avait décidé de nous faire looter des paires de dagues en boucle.
Il est désormais trop tard pour espérer équiper une faux, une masse, un bouclier, un bâton de mage, une épée, un marteau, car nos points de stats ne nous permettent pas d’équiper autre chose qu’une paire de dagues ou un arc. Vous l’aurez compris, l’aléatoire tue totalement le loot et vous n’avez qu’une infime chance de pouvoir équiper ce que les monstres vont drop.
Il serait de mauvaise foi de dire que les marchands ne sont pas d’une grande aide pour cela, car ils vendent presque tous les types d’armes, pour peu que vous ayez pensé à améliorer leurs boutiques ! Enfin, pour terminer sur le sujet des armes, le jeu est d’une grande richesse. Nous avons pu obtenir trois types de dagues différentes, chacune avec des animations différentes et une façon de jouer qui leur est propre.
Il est également possible d’insérer des runes dans les armes, leur conférant alors des capacités actives. Aucune limite à ce niveau, vous pouvez lancer une boule de feu avec vos dagues ou lancer un sort de soin avec votre claymore, le jeu propose une expérience bac à sable très satisfaisante.
Pour terminer sur une note positive, No Rest for the Wicked se dégage après quelques jeux de ses plus gros défauts. La difficulté très artificielle semble s’atténuer drastiquement, les marchands sont d’une grande aide, et les allers-retours, pour le peu qu’on abandonne le système de quêtes, se font de moins en moins fréquents. L’esprit du jeu se tourne résolument vers l’amassement de ressources, vous en arriverez à remplir une maison entière de coffres pour thésauriser vos items et consommables.
Avec une direction artistique saisissante et une réalisation graphique du même niveau, Moon Studios met clairement en avant son savoir-faire visuel. Les cinématiques sont dignes des plus grands studios d’animation, le character design est superbement travaillé, les comportements des personnages sont très bien traduits, bref, le rendu est saisissant. Pourtant, la forme ne fait pas tout. Avec une philosophie de game design particulière, très inspirée par le jeu-service, No Rest for the Wicked peine à satisfaire par son approche.
Avec des combats moins bien réalisés qu’un jeu FromSoftware, un système de loot et d’artisanat moins bien pensé qu’un Last Epoch et du survival alourdissant la sensation de progression, Moon Studios va devoir faire des choix radicaux pour peaufiner sa formule. Le studio semble surtout placer ses billes un peu partout sans faire de vrais choix. En remplissant un cahier des charges, on ne fait pas nécessairement un bon jeu, pourtant No Rest for the Wicked a tout du bon élève. Multijoueur ? Check. Dark Fantasy ? Check. Des combats qui reposent sur la lecture d’animations ? Check. Du survival ? Check. DLC compatible ? Check. Encore faut-il mesurer l’impact de ses décisions en matière de game design et respecter le joueur.
Au final, No Rest of the Wicked avait de quoi convaincre, mais ses choix de game design jouent actuellement contre lui. Reste à voir comment Moon Studios décide de modeler son jeu dans les prochains mois…
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