On a la triste habitude de relayer les licenciements de masse qui sont opérés dans l’industrie du jeu vidéo. Si le COVID a eu l’effet d’une bulle pour le média, l’après-confinement et le retour à la normale sont douloureux. Pourtant, ce n’est par sur les difficultés d’un (ou plusieurs) studio que le magazine en ligne Aftermath fait sa une, mais sur celles de la presse.
En effet, le site évoque une semaine bien compliquée pour le journalisme, avec des changements dans l’organigramme du vétéran de la presse tech Engadget (« changements dans l’organigramme » = licenciements, bien entendu, dont celui de certains responsables éditoriaux). L’objectif de la maison mère Yahoo étant de se concentrer sur des articles avec liens d’affiliation et des papiers à forte valeur SEO. Autrement dit, bye bye le journalisme, et bienvenue au « contenu » et aux articles façon « Amazon écrase le prix de cet accessoire indispensable pour Nintendo Switch » que l’on ne connaît que trop bien.
Dans le même temps, Aftermath relate que les dirigeants de Vice ferment Vice.com, dernier endroit où il restait encore à voir et à lire des productions Vice. La marque est désormais une coquille vide qui compte se concentrer sur le « licencing », soit plus ou moins vendre des autocollants pour des contenus produits par des tiers. Rappelons qu’il y a un peu moins d’un an, Vice fermait déjà Waypoint, son média jeu vidéo. Aftermath continue la nécrologie en évoquant la fermeture du média DCist, et les soucis du journaliste Tim Burke, menacé de perdre son poste pour avoir fait… du journalisme (toute l’histoire est racontée par exemple ici par The Verge). Dure semaine, donc.
Mais l’article prend encore une dimension différente quand on sait qu’Aftermath n’est autre que le média fondé par des anciens de Kotaku, ex-média jeu vidéo de référence, qui ont quitté la rédaction quelque temps après que la marque a été rachetée par le groupe G/O Media. Ainsi, l’article d’Aftermath, pas complètement défaitiste, est titré « Le journalisme des grands groupes est mort, vive les sites indépendants ». Il aurait été difficile pour la rédaction, qui a quitté un grand groupe pour monter un site indépendant, d’écrire autre chose…
Une histoire qui en rappelle furieusement une autre : chez nous, Origami est une rédaction née essentiellement suite à la démission d’une grande partie de l’équipe de Gamekult, ex-média jeu vidéo de référence en France, après que celui-ci a été racheté par un grand groupe. Néanmoins, et contrairement à Aftermath, Origami n’a pas choisi de monter un nouveau site web. Sa profession de foi, quand l’équipe appelait au financement participatif, expliquait qu’il « prendra différentes formes : live, vidéo, podcast ou texte ». À l’arrivée, c’est une chaîne Twitch, et c’est sûrement un problème.
Si, comme l’écrit Aftermath, les journaux détenus par des entreprises sont morts, et que le journalisme est désormais entre les mains d’indépendants, comment allons-nous trier le journaliste de l’influenceur, de l’Instagrammeur ? Un problème qui se pose d’autant plus quand ceux qui sont censés embrasser le rôle de journalistes au sens noble du terme choisissent pour s’exprimer les outils des streamers et autres YouTubeurs.
Loin de nous l’idée ici de décrier ces derniers. Simplement, ils ne font pas le même métier. Et même sans parler de contenus sponsorisés ou d’opérations promotionnelles, qui représentent la majeure partie des revenus de ces influenceurs aujourd’hui, leur existence même tient à leur visibilité. Et de ce fait, les sujets choisis pour leurs contenus, quand ce n’est pas du lol ou du pur divertissement, doivent avoir un fort pouvoir d’attraction, des sujets chocs. D’où les miniatures surjouées devenues la norme sur YouTube. D’où les titres « clickbait ».
En choisissant de sévir sur le même terrain que les influenceurs, un journaliste risque de devoir se soumettre à ces mêmes règles simplement pour être visible. Combien de vues sur YouTube ou sur Twitch pour un contenu qui ne traite pas d’actu brûlante ou du « jeu du moment » ? Y a-t-il une place pour évoquer, par exemple, ce qui faisait de Spec Ops: The Line un très grand jeu, au moment où il disparaît des boutiques en ligne ? (Réponse : à l’heure où nous rédigeons ces lignes, le jeu réunit sur Twitch en tout et pour tout quatre spectateurs sur l’ensemble des diffusions qui lui sont consacrées…).
Alors bien sûr, Origami, comme Aftermath, arrive auréolé de sa réputation, avec une « communauté » prête à les suivre, même (surtout ?) quand ils parlent de Spec Ops, ou de tout autre sujet en dehors de l’actu dictée par le marché. Mais la réputation qui leur donne cette liberté, ils la doivent à leur travail effectué dans des journaux « traditionnels ».
Comment fondera-t-on les prochains Aftermath ou Origami si aucune publication « d’entreprise » n’est là pour installer de nouveaux noms ? On peut, comme Aftermath, se féliciter du succès des initiatives indépendantes, dans le milieu du jeu vidéo, ou ailleurs. Mais dans le même temps, la disparition programmée du journalisme classique n’est absolument pas une bonne nouvelle…
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