À chaque grosse sortie vidéoludique, c’est le même rituel. La presse et les influenceurs du monde entier reçoivent leur titre, y jouent et lui décernent une note que les joueurs, avides de classement en tous genres, scrutent avec ferveur. Et avec la sortie de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, c’est à nouveau la même rengaine que l’on a entendue vis-à-vis de la note générale attribuée au jeu. Ainsi, comme c’est le cas pour à peu près tous ceux ayant obtenus une note très élevée, des voix s’élèvent pour crier au complot, le titre étant selon eux surnoté.
N’entendons-nous pas régulièrement que tel titre a obtenu une note trop basse, ou que tel journaliste a « reçu son chèque » pour surnoter un jeu, les fanboys d’une marque ou d’une licence s’écharpant sur internet pour le bien supposé de leur poulain ? Mais plutôt que d’être atterré par ces hordes imbéciles, la source du problème ne viendrait-elle pas tout simplement du mode d’évaluation principal de notre média préféré ?
D’autant que l’on se trouve aujourd’hui presque dans une forme de diktat de la note dans le jeu vidéo. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir l’importance qu’ont pris des sites tels que Metacritic qui agrègent les notes de la presse spécialisée mondiale afin d’établir un score censé révéler l’excellence ou la médiocrité d’un titre, et qui ont presque droit de vie ou de mort sur bon nombre de titres. Imaginez donc, dans de nombreux studios, les salariés peuvent obtenir une prime en fonction du score final obtenu sur ces sites, parfois même, le destin de studios entiers est suspendu au résultat de cette évaluation. Pourtant, se baser sur quelque chose d’aussi absurde qu’une note pour juger l’art vidéoludique, fatalement sujet à interprétation et variable selon les préférences et le vécu de chacun, entraîne forcément son lot de problèmes.
Aussi, si aujourd’hui, cela ne choque plus personne de voir la publicité d’un jeu arborer fièrement la note maximale qui lui a été attribuée par tel ou tel média, on est en droit de s’interroger sur la légitimité d’une telle note, au-delà du fait qu’elle ne fasse que refléter l’avis d’un individu à un instant T. Cet étendard est en effet autant un outil de communication pour le studio qui souhaite vendre son produit que pour le site mis en avant par ce macaron. Y voir là un conflit d’intérêt serait sans doute voir tout en noir, néanmoins cette relation entre les éditeurs et la presse entretient aussi la défiance du public envers ces évaluations.
Cette défiance est d’ailleurs sans doute une source solide pour le review bombing, cette pratique de « joueurs » qui consiste à attribuer un zéro à un titre afin de faire chuter sa note globale. On peut constater cette tendance par exemple pour le dernier titre de Nintendo, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Des centaines de personnes qui, alors que beaucoup d’entre elles ne doivent même pas avoir de Switch, estiment que les avis dithyrambiques des médias ne vont pas dans le même sens que leur (supposé) ressenti et se donnent alors pour mission de rabaisser la moyenne des utilisateurs.
Pour la dernière aventure de Link, dont le score Metacritic de la presse atteint des sommets (96/100 actuellement), la note des joueurs qui était descendue sous la barre des 6/10 (même si depuis, un ménage a été effectué de la part du site) n’a pas vraiment eu d’incidences sur ses ventes. En effet, avec 10 millions de copies vendues après seulement trois jours d’exploitation, un record absolu pour Nintendo, on peut dire que le petit artisan de Kyoto ne connaît pas la crise.
Ce phénomène se produit également quand le studio fait des choix qui ne plaisent pas à une frange de la population, que ce soit par exemple le système économique d’un titre (Diablo Immortal notamment) ou pour des raisons moins nobles, comme pour The Last of Us Part II, fustigé à cause de l’homosexualité d’Elie. On a même pu le constater tout récemment avec le pourtant excellent Chained Echoes et l’appel au secours du studio subissant le courroux injustifiable, sans raisons apparentes, de quelques hargneux, d’autant que pour une structure modeste, les conséquences peuvent s’avérer irréparables.
Now it happened to us. @ChainedEchoes has been review bombed on Metacritic. Just plain ratings, no reviews. No reasons. We don't know why, it just happened.
Didn't @metacritic want to stop this nonsense? Guess only for AAA games. #indiedev #metacritic #gamedev pic.twitter.com/Qit6pusT5F
— D13's Michael (@CrashOberbreit) May 9, 2023
Alors finalement, pour quelles raisons l’industrie se complaît tant dans un système de notation qui est la base de conflits entre communautés et dessert l’image même du média ? Tout le paradoxe est là. Les joueurs se plaignent des notes attribuées (quelle que soit la note ou le jeu en question, d’ailleurs), mais ce sont eux-mêmes qui l’exigent, le corps du texte étant souvent réduit à quelques mots aperçus tandis qu’ils défilent l’écran pour atteindre la conclusion le plus vite possible. Alors se pose une véritable question sur le sujet, probablement la même que doivent se poser les dirigeants de studios de développement en début de projet : faut-il offrir au public ce qu’il attend ou ce que l’on estime être le mieux pour lui ? Est-il plus pertinent de suivre le mouvement ou de tracer sa propre voie ?
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