La sortie de la tant attendue exclusivité Xbox Hellblade II a fait ressortir un débat qui montre régulièrement le bout de son nez : y’a-t-il une quantité de gameplay minimale en dessous de laquelle le jeu vidéo peut voir sa nature même être mise en doute ? Ou, pour l’écrire plus simplement, un titre qui donne plus à voir qu’à jouer peut-il être considéré comme un bon jeu vidéo ? Et même, peut-il être considéré comme un jeu vidéo tout court ?
Hellblade II fait à peu près l’unanimité sur de nombreux points. D’après la presse, c’est une véritable claque graphique, avec une direction artistique et une gestion de la lumière à tomber, des textures les plus photoréalistes jamais vues, une mise en scène maîtrisée. La gestion du sound design, au cœur de la proposition, y serait particulièrement marquante, tout comme l’interprétation des personnages.
De plus, le jeu fait partie de ces titres avec un véritable propos et veut sensibiliser aux problématiques de santé mentale. Sur tous ces points, la presse francophone et internationale est à peu près d’accord. Pourtant, le jeu ne remporte qu’un « petit » 81% sur Metacritic, avec la mention « Generally Favorable ».
Les notes relevées par l’agrégateur vont du parfait 100 chez des médias de référence comme Eurogamer ou GamesRadar+ (mais aussi chez Hardcore Gamer, Twinfinite…) au très moyen 60 accordé par la revue britannique NME ou le site VG247. On avait pourtant commencé ce papier en écrivant que le jeu mettait tout le monde d’accord, mais il y a un point qui joue les pommes de discorde : le gameplay. Les tests ayant accordé les notes le plus basses au jeu lui reprochent plus ou moins tous la même chose :
« De nombreux jeux prouvent que le JV peut être une forme d’art, mais alors que certains studios le font en adoptant les codes d’Hollywood, nous voyons apparaître des jeux qui semblent avoir peur d’être des jeux. Avec une importance trop grande offerte aux cinématiques, et trop faible en ce qui concerne l’engagement envers l’expérience. Senua’s Saga n’atteint pas les sommets de son prédécesseur, même s’il se montre graphiquement stupéfiant en essayant. » – Gamespot
« Senua’s Saga : Hellblade II ferait un film incroyable, mais un jeu vidéo a besoin de plus que simplement être beau à regarder et doté d’une technologie impressionnante » – NME
« Est-ce que c’est seulement un jeu ? Ou est-ce une œuvre d’art interactive ? » – The Gamer
Il est ainsi essentiellement reproché à Hellblade II de donner trop à voir, et pas assez à jouer. Une critique qui, ramenée au caractère d’exclusivité évènement, nous fait beaucoup penser à un jeu de l’écurie d’en face, sur la génération précédente : The Order 1886.
Le titre de Ready at Dawn et Santa Monica devait servir de vitrine visuelle et technologique à la console de Sony, prendre la place du AAA définitif de la génération. Gamekult (canal historique) écrira sur le jeu : « Envisagé comme un jeu et non comme un film interactif, The Order 1886 est donc une sublime coquille vide ». Une critique qui ne jurerait pas dans les articles consacrés à Hellblade II.
C’est aussi une critique qui revient souvent quand David Cage et Quantic Dreams sortent des jeux, des jeux qui n’en seraient pas vraiment, Cage étant régulièrement accusé d’être un cinéaste frustré plus qu’un game designer. (« Avec Farenheit, David Cage, cinéaste raté à l’égo surdimensionné, essaye de faire la passerelle entre le cinéma et le jeu vidéo. », peut-on lire parmi de nombreux autres textes du même acabit sur Sens Critique).
Mais alors quelle quantité de gameplay faudrait-il ajouter pour que ces jeux narratifs soient pleinement considéré comme des jeux ? Et comment la mesurer ? Il est amusant de noter que The Gamer, qui se demande si Hellblade II est bien un jeu, qualifie Firewatch de chef-d’œuvre, et ce malgré le fait qu’il n’y ait pas beaucoup plus de gameplay dans sa proposition. Et The Order 1886 est régulièrement cité parmi les licences que les joueurs voudraient voir revenir.
On peut s’être ennuyé devant Hellblade II, ne pas adhérer à la proposition. Nous sommes quelques uns à nous ennuyer devant un CoD ou un FIFA quand d’autres y passent des centaines d’heures avec toujours autant d’enthousiasme. Pour autant, critiquer négativement le jeu, ou lui attribuer une note plus basse justement sur la base de sa nature, du genre dans le quel il s’inscrit, nous semble hors de propos.
Imaginez : « Forza Horizon 5 est immense, incroyablement photoréaliste et sa proposition de conduite portée vers l’arcade promet de nombreuses heures de fun. Mais c’est un jeu de conduite auto : 55/100 ». Une note qui ne serait portée que parce que c’est un jeu de voiture, et nous aurions décidé arbitrairement qu’un jeu de voiture ne serait pas tout à fait un jeu vidéo.
Hellblade II possède une part importante de walking sim, un genre installé de jeu vidéo, qui a fait ses preuves, et a donné quelques pépites, de Firewatch à What Remains of Edith Finch en passant par Gone Home. On peut ne pas être sensible au genre, mais ce n’est pas là une raison pour décider de lui ôter le droit d’être un jeu vidéo. Qui décide d’ailleurs de ce qu’est un jeu vidéo, ou n’en n’est pas un ?
Le bon sens voudrait que si l’on joue, il faut pourvoir gagner ou perdre. Mais alors les jeux de types bac à sable ou même Animal Crossing ne seraient pas des « vrais » jeux vidéo ? On peut aussi décider que sans une bonne histoire, le jeu vidéo n’en n’est pas vraiment un. Alors, les simulations ou les jeux de sport, et même Tetris, ne seraient pas des jeux vidéo. On peut au contraire se dire que juste une histoire ne fait pas un jeu vidéo, et éjecter les visual novels du champ vidéoludique. Pourtant, les Muv Luv ou Doki Doki Littérature Club n’ont-ils pas marqué l’histoire du gaming ?
Est-ce que finalement ces mauvaises critiques qu’a reçues Hellblade II ne sont pas le résultat d’un certain formatage de l’industrie et de notre façon de consommer le jeu vidéo ? Parce qu’exclu flagship de l’un des trois grands constructeurs, on considère que le titre aurait dû respecter certaines « normes » marketing, se situer plus du côté de l’action-aventure, à la Uncharted ou God of War, alors que le walking sim est plus l’apanage des indés ; qu’il aurait dû proposer au moins 15 heures de jeu, le minimum syndical du AAA à 80€… Et si derrière les défauts attribués à Senua’s Saga c’était notre propre façon de recevoir les jeux qu’il fallait corriger ?
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