Epic Games est assez volubile quand il s’agit de communiquer sur ses règles de partage des revenus, qu’il veut plus généreuses qu’ailleurs. Ainsi, pour les développeurs et éditeurs qui mettent leurs jeux en vente sur l’Epic Games Store, les revenus sont partagés à hauteur de 88% pour l’auteur, et « seulement » 12% pour Epic Games, quand Steam prend, lui, 30% (puis 25%, puis 20%, au fur et à mesure du chiffre réalisé par les ventes du jeu).
Autre proposition mise en avant par Epic : la part réservée aux créateurs de contenus qui mettent en ligne des niveaux de Fortnite réalisés avec le récent outil d’éditeur de niveaux, le nouveau Mode Créatif. Ainsi, Epic Games consacre 40% des revenus qu’il génère avec la boutique Fortnite aux créateurs de contenus, part distribuée à chacun selon « l’engagement » engendré par leurs niveaux.
Cependant, cette image de générosité qu’Epic s’est grassement payée depuis quelques années a pris un petit coup dans l’aile avec les licenciements massifs opérés par la société cet automne, licenciements dus au fait que l’entreprise « ne gagnait plus assez » ; le partage des revenus de Fortnite a d’ailleurs été directement pointé du doigt par la direction de l’entreprise.
Epic s’est ainsi fait beaucoup plus discret que d’habitude sur l’évolution des conditions de partage des revenus : les créateurs seront désormais aussi rémunérés sur leur capacité à pousser les joueurs à la dépense. C’est The Verge qui a repéré la mise à jour suivante sur le blog d’Epic Games :
« Dès le 1er novembre, nous lançons un nouveau mode de calcul de la formule de paiement relatif à l’engagement, qui récompense les créateurs lorsque les joueurs dépensent des V-Bucks dans Fortnite la semaine avant ou la semaine après s’être impliqués dans leur niveau [leur île, « Island », tel que décrit par Epic, NDLR]. Ce nouveau mode de calcul s’ajoutera à la mesure du temps passé et des autres indicateurs permettant d’évaluer la popularité auprès des joueurs et comment les niveaux retiennent leur attention, déjà pris en compte dans le cadre du programme de paiement mis en place plus tôt cette année. »
Les articles vendus dans la boutique de Fortnite n’ayant qu’un effet esthétique, on ne voit pas comment les créateurs de contenu vont pouvoir avoir un poids sur les achats au sein de leurs créations, si ce n’est en proposant des niveaux fun qui donnent envie aux joueurs d’investir une poignée d’Euros dans le jeu. Ce qui ne changerait alors rien aux conditions précédentes.
Sauf que l’inclure dans les règles de rémunération, c’est peut-être inciter les créateurs à pousser activement les joueurs à dépenser des sous ! Autrement dit, il faut s’attendre à ce que certains créateurs de niveaux, qui sont aussi souvent présents sur les réseaux sociaux (il faut présenter sa candidature auprès d’Epic pour devenir un créateur de contenu affilié au programme de rémunération), y aillent régulièrement de leurs incitations à la dépense : « n’hésitez pas à aller acheter une bricole dans la boutique, cela soutient la chaîne et nous permet de continuer à vous proposer des niveaux toujours plus fous… ! ». On connaît la formule qui vient réclamer du « like », du « pouce bleu » et autres « subs ».
Une telle mécanique, beaucoup moins prédatrice, existait déjà, avec les Codes Créateur, un code à entrer au début de la partie pour afficher son soutien (gratuit !) à tel ou tel créateur, et qui permet à Epic de mesurer la popularité de ces derniers. Lesdits créateurs n’avaient aucun scrupule à avoir en demandant aux joueurs d’utiliser leurs codes : c’était gratuit. On ira pas jusqu’à imaginer que les Codes Créateur venaient à dessein préparer la suite, ce qui arrive aujourd’hui, mais si cela avait été le cas, c’eût été sacrément malin !
Les créateurs-streamers auront-ils la même facilité à demander à leurs « abonnés » d’aller dépenser quelques euros dans la boutique Fortnite pour s’assurer que leur part de revenus soit suffisamment importante ? La pratique est déjà bien installée dans le paysage du stream, avec des systèmes de dons et d’abonnements qui rapportent gros à certains, et qui sont devenus une habitude chez les consommateurs les plus réguliers de Twitch, YouTube, etc. Ainsi, à moins de rencontrer une vraie résistance chez les créateurs (ce dont on doute franchement), ces nouvelles conditions pourraient bien réussir à continuer à remplir les caisses d’Epic Games…
Alors que le jeu avait démarré sur des bases plutôt saines, avec une absence totale de pay to win et autres mécanismes de prédation propres au free-to-play (gacha…), l’économie du jeu prend ici un tournant plutôt inquiétant, qui pourrait frôler une forme de manipulation, presque de chantage affectif, visant à faire acheter du contenu in-game aux joueurs, souvent très jeunes en ce qui concerne Fortnite.
Un « chantage », ou en tout cas une incitation à l’achat qui ne viendrait même pas d’Epic Games, même s’il en serait le principal bénéficiaire. Et rien n’est véritablement inscrit noir sur blanc, ces mécanismes n’étant que potentiellement incitatifs, selon l’interprétation de chacun… Ce qui pourrait protéger Epic de règlementations légales sur la monétisation du jeu vidéo comme celles de l’Union Européenne qui se durcissent d’année en année.
Alors qu’il se faisait passer pour le « gentil » face aux ogres capitalistes (l’opération marketing « Free Fortnite »…), on est en train de se demander si Epic Games n’est pas en fait le vrai génie du mal que nous avons nous-mêmes invité à entrer…