Ne pas finir ses jeux vidéo. Voilà ce qu’on pourrait qualifier de maladie du joueur du 21e siècle. Soyons honnêtes, combien de jeux avons-nous commencés, parfois pendant un bon paquet d’heures, avant de les délaisser, presque du jour au lendemain ? Ce n’est même pas parce que nous n’aimons pas le titre en question, mais voilà, nous ne sommes plus vraiment motivés à poursuivre l’aventure. Mais, est-ce vraiment si grave de ne pas aller au bout de nos jeux ? Et surtout, quelles sont les raisons qui provoquent chez nous cette envie d’abandonner le voyage ?
Comme vous vous en doutez, les facteurs sont multiples, et au premier rang d’entre eux, on peut évoquer la profusion gargantuesque des sorties vidéoludiques hebdomadaires. Il ne se passe pas une semaine sans que nous soyons attiré par les sirènes d’un titre que nous avions repéré quelque temps auparavant, ou par un autre que nous n’avions pas vu venir et qui nous fait drôlement envie sur le moment.
Ce n’est par ailleurs pas par hasard que nous employons l’expression « d’envie sur le moment », car on touche là le cœur de notre société de consommation. Nous sommes stimulés de partout, tout le temps, et il est difficile de ne pas se laisser porter par un quelconque engouement, une hype, souvent confectionnée de toutes pièces par les éditeurs, qui nous pousse à lâcher le titre sur lequel nous étions pour nous enivrer de l’euphorie ambiante (l’avènement des influenceurs y étant pour beaucoup).
Et, avant même que l’on s’en rende compte, on découvre que l’on ne parvient plus à finir ses jeux, ou en tout cas une bonne partie. Chaque nouvelle expérience est comme une petite fête, on rencontre un nouvel univers, des personnages, une intrigue, bref, on prend plaisir à découvrir plein de nouveautés qui, par définition, n’en sont plus vraiment après quelques heures. Ainsi, avec ce plaisir qui s’estompe peu à peu, on devient de plus en plus réceptifs aux autres appels vidéoludiques alentour, en quête de notre prochaine dose de dopamine.
C’est d’autant plus vrai que les jeux sont devenus de plus en plus longs, en faisant même un argument commercial qui, paradoxalement, dessert le jeu en lui-même. Le plus est l’ennemi du mieux, c’est bien connu, et cela se vérifie bien souvent dans le jeu vidéo. La logique est simple, plus un jeu est long, plus sa boucle de gameplay se répète et plus elle devient lassante, entraînant alors l’envie de passer à quelque chose de plus palpitant.
Une situation favorisée, en plus, par une accessibilité grandissante à notre loisir préféré. En effet, combien de fois n’avons-nous pas, au gré d’une promotion, acheté un jeu sur un coup de tête pour, au final, bien souvent ne même pas le lancer ? Nos bibliothèques Steam, Epic Game Store ou même consoles en sont remplies.
Alors oui, c’est un petit peu différent du fait de ne pas finir ses jeux, mais cela joue pourtant sur les mêmes mécaniques physiques et psychologiques. D’autant plus qu’avec toutes ces soldes, rabais et jeux offerts, on a beaucoup moins de scrupules à les abandonner en cours de route que ces titres qu’on a achetés au prix fort.
Cependant, résumer le délaissement de nos jeux vidéo avant leurs termes à un simple besoin de nouveautés serait sans doute un peu réducteur, tout comme le fait de schématiser un jeu en aventure allant d’un point introductif A à un autre conclusif B. C’est beaucoup plus que ça, et, inconsciemment ou non, on l’a tous compris depuis longtemps. À ce titre, quel meilleur exemple que The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom pour illustrer notre propos, aventure durant laquelle le voyage importe infiniment plus que la destination.
Alors effectivement, pour les titres dans lequels la narration est centrale, aller au bout du récit fait partie intégrante de l’expérience, et nous sommes souvent moins enclins à nous en détourner, mais pour tous les autres, est-ce vraiment le cas ? De quoi se souvient-on lorsque l’on se remémore nos sessions sur le dernier Zelda, Bayonetta, Bloodborne ou Assassin’s Creed ? Il est bien rare que ce soit la conclusion de ces titres qui soit citée, quand bien même serait-elle soignée.
De fait, à partir du moment où, en tant que joueur, nous avons trouvé ce que nous étions venu chercher dans un jeu, il devient bien plus envisageable de le quitter en cours de route, qu’importe la nature de cette trouvaille (l’adrénaline procurée par un boss, la découverte d’une mythologie, etc.).
Enfin, il y a un dernier point qui, selon nous, pousse à ne pas finir ses jeux, et c’est, à notre grand regret, une tendance qui n’est pas près de s’inverser. Nous parlons bien entendu de ces Game as a Service, terriblement à la mode de nos jours et, par extension, des abonnements de type Game Pass ou PlayStation Plus, l’un comme l’autre étant dans ce qu’on pourrait qualifier le « jeu vidéo snacking ».
Les titres dans la veine des Fortnite, Fall Guys ou autres Genshin Impact sont des productions prônant l’instantanéité du plaisir qu’il sont censés procurer et n’ayant, littéralement, pas de fin. C’est bien sûr dans leur concept, et le leur reprocher serait somme toute assez déplacé, mais le fait est qu’ils habituent les individus à simplement passer d’une partie à l’autre, comme on passe d’une série à l’autre sur Netflix ou Amazon Prime, et comme c’est aussi le cas sur le Game Pass ou le PlayStation Plus.
De fait, ne pas finir ses jeux est quelque chose qui est loin d’être anormal (il n’y a qu’à regarder les taux d’obtention des succès/trophées récompensant la complétion d’un jeu) ou même illogique, le marché étant extrêmement propice à cet état de fait. Et s’il n’y a rien de bien grave, in fine, cela est en train de changer petit à petit les jeux vidéo tels qu’on les connaît.
Les développeurs pourraient être de plus en plus tentés de rendre leurs productions moins vastes, comme pour Assassin’s Creed: Mirage (ce qui n’est sans doute pas un mal), mais aussi, et ce serait beaucoup plus regrettable, de ne se concentrer que sur les débuts de leurs productions. Car à quoi bon dépenser du temps, de l’argent et de l’énergie à proposer une expérience variée et à l’intérêt grandissant quand on constate que les trois-quarts des joueurs n’iront pas au-delà de la première moitié de l’aventure ?
Ainsi, si l’acte de ne pas finir ses jeux avant de passer aux suivants paraît anodin, il représente pourtant un véritable questionnement sur notre mode de consommation individuel, mais aussi sur la forme vers laquelle on souhaite collectivement voir le jeu vidéo évoluer.
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