À peine un mois après la sortie du premier DLC de Final Fantasy XVI, Naoki Yoshida se projette déjà dans l’avenir. C’est dans une interview donnée à Shuhei Yoshida pour la chaine YouTube de l’Academy of Interactive Art and Sciences qu’il mentionne les projets futurs de la licence. Alors qu’il est questionné sur un potentiel Final Fantasy XVII, le réalisateur explique qu’il ne tient pas à diriger un troisième jeu pour la licence.
« Pour l’instant, rien n’est garanti. […] Cela dit, si j’avais mon mot à dire… j’ai eu la chance de travailler sur ces deux jeux, Final Fantasy XIV et XVI, donc, il est peut-être temps de laisser la place à quelqu’un de nouveau. »
La proposition de Naoki Yoshida, qui n’est pas anodine puisqu’il fait partie du Conseil d’Administration de Square Enix, est logique. Alors que les parents de la licence, Yoshinori Kitase et Hironobu Sakaguchi, sont à des postes à responsabilité qui ne laissent que peu de temps à la création de jeu, faire appel à une nouvelle garde permettrait à la licence de prendre à bras-le-corps les enjeux de l’industrie, qui est en évolution constante.
Une nouvelle garde qui se doit de bien avoir ce problème en tête, puisque selon Naoki Yoshida, la force des Final Fantasy se situe dans leur capacité à bousculer l’ordre établi de différentes manières à chaque itération de la licence. C’est cette philosophie créative qui fait le succès des titres qu’il a dirigés et qui explique leur popularité constante malgré des propositions très différentes.
La place du réalisateur des derniers Final Fantasy facilite également sa prise de recul : bien que sa vision du développement rayonne à travers deux des titres majeurs de la licence, il est arrivé sur le tard. Il commence d’abord chez Square Enix à travailler sur Dragon Quest en 2008 avant de se consacrer à Final Fantasy à partir de 2013. Il est certain que d’autres développeurs du studio, qui suivent la licence de près depuis plus longtemps, auront un autre son de cloche quant à la place que doit prendre la tradition dans les jeux.
En réalité, nous avons pu voir de nombreux acteurs de l’industrie japonaise se projeter dans l’avenir ces dernières semaines, et estimer comment leur propre philosophie affecte les prochains enjeux auxquels les studios concernés devront faire face. Nintendo est particulièrement concerné par la situation : leurs licences phares sont souvent synonymes de leur créateur. Ainsi, difficile de penser Smash Bros. sans Masahiro Sakurai ou Pokémon sans Junichi Masuda.
En soi, ce n’est pas un défaut, c’est même normal que les licences et leurs créateurs conservent un lien fort. La continuité que cela a offert aux licences du studio paye : cela fait dix-neuf ans que Nintendo domine les ventes au Japon avec, en tête des ventes de jeux, des titres de licences qui ont cette continuité créative (Mario, Zelda, Pokémon…) selon un rapport de Famitsu publié ce janvier. Ce n’est pas un résultat surprenant, puisque la régularité de ces licences leur donne un aspect rassurant, voire fidélisant.
Cependant, le revers de la médaille de cette philosophie est lourd : alors que les talents derrière ces licences atteignent progressivement l’âge de la retraite, il devient plus compliqué d’envisager l’avenir à la manière de Naoki Yoshida, pour qui l’intérêt même de la licence pour laquelle il travaille est le pluralisme qu’elle permet. À titre de comparaison, Masahiro Sakurai, bien qu’il s’estime « à moitié retraité », ne peut imaginer Smash Bros. continuer sans lui.
« Je ne peux pas m’imaginer comment on pourrait produire Smash Bros. sans moi. Honnêtement, j’aimerais bien le laisser à quelqu’un d’autre et j’ai essayé, mais ça n’a pas fonctionné. »
Deux causes peuvent se trouver à l’origine du problème : l’absence de successeur ainsi que l’engagement nécessaire pour réaliser une nouvelle itération dans une licence avec tant d’histoire. En effet, là où Junichi Masuda s’est petit à petit effacé au profit de plusieurs réalisateurs, lui permettant de prendre un rôle de superviseur, il n’y a pas forcément de nom qui émerge lorsqu’il est question de faire suite au créateur de Smash Bros. Préparer la place à un successeur n’est pas une tâche aisée et le travail colossal déjà abattu par les développeurs ne laisse pas forcément de place à un sous-rôle de formateur.
Dans le cas de Final Fantasy, il faut se dire que la licence se prête mieux à l’idée d’implémenter des changements radicaux à chaque épisode. Elle se prête bien à l’idée que se fait Naoki Yoshida : une prise de risque à chaque fois, qui permet néanmoins de toucher différents publics à la marge.
Au contraire, une philosophie créative plus ancrée dans la continuité, comme on peut le voir chez Nintendo, se veut rassurante. Elle permet de perfectionner une formule et de fidéliser un public émotionnellement investi. Elle est confortable, mais en même temps repose sur le profil de certains créateurs : un départ mal négocié, ou une évolution qui rendrait fragile leur vision pourrait alors faire grand mal à leur licence.
À notre sens, ces deux philosophies ont leur place dans l’industrie, elles sont même nécessaires. Pour qu’il y ait des titres innovants et risqués, il faut déjà que certains piliers soient établis. Or, une tradition ne s’établit pas en un seul titre. Du point de vue des joueurs, il est inconcevable d’imaginer une industrie qui ne repose que sur la rupture de codes : il faut aussi des titres bien construits, mais moins risqués, confortables, qui ne demandent que peu d’efforts au joueur pour s’y investir
Alors, évidemment, il est prématuré de parler de Final Fantasy XVII. Son temps arrivera bien un jour ou l’autre, mais Final Fantasy XVI vient à peine d’entamer le sien, avec de nouveaux contenus additionnels prévus pour cette année 2024. Cependant, bien qu’il ait encore du pain sur la planche, il est appréciable de pouvoir avoir une idée de la façon dont Naoki Yoshida et Square Enix envisagent l’avenir de leur licence phare.
Final Fantasy XVI – Du JRPG, Naoki Yoshida n’a gardé que le sens théâtral
M⅃K
Final Fantasy XVI – L’épopée en Valisthéa est loin d’être terminée
Drakyng
À quand un Super Smash Bros. sans Masahiro Sakurai ?
M⅃K