Dans sa réinvention perpétuelle, la saga Final Fantasy nous offrait le mois dernier un opus plus sombre, volontairement inspiré de la série Game of Thrones, que les managers avaient demandé à leurs équipes de regarder. Dans cette quête de renouvellement, il semble que Naoki Yoshida (aussi surnommé Yoshi-P), le producteur de Final Fantasy XVI, ait même décidé de s’éloigner du paradigme du JRPG traditionnel.
En mars dernier, il évoquait auprès de nos confrères d’IGN que ce terme pouvait être perçu comme une insulte par nombre de développeurs japonais, tant l’acronyme et ses concepts étaient datés.
« En tant que développeurs au Japon, il y a très, très longtemps […], nous nous souvenons d’avoir vu cette affiche commerciale. Elle disait « ceci est un JRPG » et présentait tous les éléments qui, selon eux, constituaient le genre du JRPG. On y voyait une image de Cloud, et on y mentionnait des choses négatives comme le fait d’avoir trois disques, que le jeu dure une éternité, qu’il y a beaucoup de grinding, beaucoup de leveling, que c’est du tour par tour, et des choses comme c’est juvénile, ça parle d’adolescents qui sauvent le monde. Je pense que le terme est probablement né de cette affiche publicitaire. »
« Il y a beaucoup de développeurs japonais plus âgés qui l’ont perçue comme discriminatoire lorsqu’elle est sortie. Ils avaient l’impression que l’Occident se moquait de ce qu’ils créaient. […] Si vous utilisez le terme JRPG, [ils] se souviendront de cette publicité […]. Il faut donc faire attention quand on utilise ce terme. D’un autre côté, pour moi comme le reste de notre équipe, ça ne nous dérange pas. Nous comprenons ce que vous dites. » – Naoki Yoshida, producteur de Final Fantasy XVI.
Avec le recul permis depuis la sortie du jeu le mois dernier, l’opposition de Final Fantasy XVI aux clichés du JRPG évoqués par Yoshi-P est d’autant plus flagrante : là où FFVII tenait sur plusieurs CD (Remake et Rebirth sont d’ailleurs répartis sur deux blu-ray), FFXVI ne sort que sur un seul disque, et le directeur du jeu, Hiroshi Takai, a mis un point d’honneur à ce que le jeu soit parfaitement fonctionnel tel quel à sa sortie, même sans patch day one – dont il espérait pouvoir se priver initialement, chose assez exceptionnelle pour être soulignée de nos jours ; contrairement à d’habituels héros bloqués à un âge précis dans leur épopée, nos protagonistes passent bien vite de l’enfance à l’âge adulte, malmenés par un destin tragique auquel ils n’auront de cesse de s’opposer, quitte à devoir se dépasser ; enfin il n’y a plus besoin de grinder, le rythme est au cœur du jeu et les événements s’enchaînent de sorte que les joueurs et joueuses ne soient jamais lassés par le récit, tout du moins dans sa quête principale.
Nous l’avons senti, et vous l’avez compris, Final Fantasy XVI veut se détacher des modèles passéistes du JRPG pour devenir le nouvel étalon de l’Action RPG. Enfin ça, c’est ce que nous avions retenu des propos de Yoshida.
Que reste-t-il donc dans Final Fantasy XVI de ce que nous, joueurs français, pouvions concevoir comme les grands principes du JRPG ? Eh bien, plus grand-chose, pour être honnête.
Malgré les paroles de Yoshi-P, qui sous-entendait que ce dernier épisode restait un RPG, mais plus orienté action, le jeu n’a quasiment plus aucune caractéristique du jeu de rôle. Certes, Clive pourra gagner en niveaux et débloquer des compétences au fur et à mesure de notre progression dans l’aventure, mais il ne s’agit là que d’un subterfuge tant le gameplay n’en sera pas impacté. À titre d’exemple, les combos à l’épée accessibles au début du jeu n’évolueront pas, et seules les capacités des primordiaux viendront proposer des nouveautés, à l’intérêt variable pour ne pas dire inexistant pour certaines.
Il nous aura fallu tracer un trait sur des mécaniques habituelles du JRPG permettant l’adaptation du jeu à nos affinités. Adieu jobs, compétences, matérias, fusions, sphériers, gambits, et autres : dans Final Fantasy XVI, la linéarité de la progression (qui se résumera grossièrement à acheter de nouvelles armes pour gagner en attaque, et débloquer le plan d’accessoires pour gagner en défense) s’impose comme une mécanique choisie par ses créateurs pour s’assurer que l’intensité du récit prime sur le reste.
Et pourtant, il est impossible d’y jouer sans ressentir cette patte si prononcée des madeleines vidéoludiques nippones de notre jeunesse. Ce qu’il reste finalement du JRPG à Final Fantasy XVI, c’est la composante qui nous importait le plus : le J, son côté japonais indéniable qui le dépasse, même quand ses équipes de développement s’inspire d’œuvres occidentales.
Cela se perçoit avant toute chose dans sa mise en scène, et ses quelques lourdeurs typiques, dont ces fondus au noir dont FFXVI abuse – comme si les cuts n’existaient pas dans le jeu vidéo –, mais qui viennent finalement stimuler l’imaginaire entre deux scènes, à la façon de projecteurs qui s’éteindraient un bref instant. La raison est simple : ces fondus old school sont un symbole, de véritables rideaux virtuels qui marquent on ne peut mieux le sens théâtral des équipes de Square Enix.
Car oui, Final Fantasy XVI, malgré ses divines cinématiques, tient indubitablement plus du théâtre que du cinéma. Le jeu est divisé en actes, quand bien même ils ne sont pas libellés comme tels, et ses courtes quêtes (qui ne servent qu’à illustrer la vie à Valisthéa) sont autant de saynètes – rarement intéressantes – qui permettent des pauses entre les chapitres les plus marquants. La rigidité des mouvements des personnages dans leurs discours, et l’utilisation à tout-va dans les quêtes secondaires du champ/contre-champ, nous font penser à des dialogues issus d’une pièce de théâtre.
Une pièce dont Clive est le personnage principal, tous les autres n’étant en fait que des rôles secondaires qui viennent partager la scène avec lui l’espace de quelques instants, dans une aventure on ne peut plus dramatique – là encore, une marque du théâtre. Par moments, on a l’impression de deviner des décors en carton, là-bas au loin, et même d’avoir des projecteurs véritablement braqués sur le héros et ses comparses.
Ces techniques sont à la fois des effets visuels inspirés du théâtre et des clichés du JRPG, un genre qui se définit à nos yeux bien plus par ses influences japonaises que par son titre de RPG, et permettent d’y inclure des œuvres très différentes. Au milieu de tout ce que Final Fantasy XVI nous propose en termes de gameplay, c’est ainsi l’indicible qui fait de lui un digne épisode de la saga, et un héritier du JRPG.
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