Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. Avec la sortie imminente de Tekken 8, nous vous proposons de découvrir une des figures derrière le jeu, Katsuhiro Harada, et son influence sur l’évolution de la saga.
L’année écoulée a tout d’un nouvel âge d’or du jeu de combat : après les excellents Street Fighter 6, Mortal Kombat 1, ou encore Granblue Fantasy Versus: Rising, Tekken 8 semble parachever une période de faste pour les amateurs du genre, période qui devrait perdurer puisque l’on attend pour bientôt un nouveau Fatal Fury, ainsi qu’un certain Project L de Riot Games.
Plus que la diversité des propositions, c’est surtout la qualité de chacun de ces jeux qui est à saluer : que ce soit pour les itérations de séries déjà établies comme pour les nouvelles licences, les différents studios nous montrent toute la richesse du genre, et parviennent à se distinguer en proposant des gameplay et des univers réussis et très différents.
Chacune des grandes sagas du jeu de baston semble être portée par une figure de proue : Yoshinori Ono pour Street Fighter, Masahiro Sakurai pour Super Smash, et Katsuhiro Harada pour Tekken, auquel nous nous intéresserons dans ces lignes.
Made in Arcade
Katsuhiro Harada est un gamer persévérant. Né à Osaka en 1970, le producteur en chef actuel de Tekken a d’abord réalisé des études de psychologie, ses parents n’appréciant pas son penchant pour le monde vidéoludique. Sa passion pour les jeux d’arcade ne l’empêche toutefois pas d’avoir un certain flair professionnel, et de prévoir l’évolution du média.
Monsieur Tekken commence ainsi par travailler en tant que commercial dans une salle d’arcade de Namco, dans laquelle il organise des événements et des tournois de Street Fighter. Il y met à profit ses connaissances en psychologie pour étudier le comportement des joueurs.
« De par ma formation en psychologie, j’étais fasciné par le comportement humain. J’essayais de déplacer les bornes à certains endroits de la salle d’arcade pour voir si elles étaient plus utilisées en fonction de leur emplacement. À un moment donné, j’étais obsédé par l’idée de savoir si certains types de boissons augmentaient le temps que les gens passaient à jouer, ou influençaient le montant qu’ils dépensaient. » – Katsuhiro Harada, à propos de ses débuts.
Après avoir battu des records de vente deux mois de suite et fort des retours des joueurs, il demande à la direction d’être promu dans le développement de jeux vidéo. Et c’est ainsi qu’il déménage à Tokyo et se retrouve, en 1994, consultant – et doubleur ! – sur Tekken.
Harada devient co-réalisateur sur la saga à partir du troisième épisode, en 1997, et sera considéré comme le visage de la saga à partir de Tekken 6, notamment par sa présence sur les réseaux sociaux (en particulier Twitter), et dans diverses interviews où on le trouve souvent accompagné de Michael Murray, game designer sur la série et son traducteur officiel jusqu’à ce jour.
Il a depuis grimpé les échelons au sein de Bandai Namco. Après avoir occupé des postes variés sur un grand nombre de jeux édités ou développés par l’entreprise (co-réalisateur sur Soul Calibur 4, manager du marketing sur Dark Souls Remastered, producteur sur Pokken Tournament DX…), il devient finalement producteur exécutif de la série Tekken et responsable de la stratégie esport de la société (incluant des jeux comme Dragon Ball FighterZ et Soul Calibur). Un rôle qui lui sied bien vu le rapport qu’il aura su entretenir avec les joueurs.
Un poing de fer dans un gant de velours
Indéniablement, Katsuhiro Harada aura su préserver le sens du relationnel de son premier emploi au sein de Bandai Namco, et de ses études en psychologie.
Très actif sur les réseaux, il est un véritable gamer devenu directeur, et le démontre dans la facilité avec laquelle les joueurs peuvent l’interpeler, et l’humour permanent dont il fait preuve (ce qui ne l’empêche pas de se montrer critique quand il le faut).
On le retrouve souvent avec d’autres grands noms du milieu, que ce soit dans son émission Harada’s Bar, ou bien lors d’événements comme les Game Awards.
#ReactionGuys with Miyazaki-san @thegameawards and Congratulations on winning The Best Game!!!#外人4コマ#EldenRing#FromSoftware#BandaiNamco#ArmoredCore pic.twitter.com/GBWXyiWse9
— Katsuhiro Harada (@Harada_TEKKEN) December 9, 2022
Avec ses lunettes teintées qu’il ne quitte jamais, il s’est construit une véritable identité sur laquelle il joue dans les communications autour de ses différentes créations. Sans revenir sur la débâcle commerciale qu’a pu être le crossover Street Fighter X Tekken, le jeu aura eu le droit à une campagne promotionnelle incroyable, toujours dans la surenchère, mais on ne peut plus drôle (et parfois perturbante).
Le directeur participe notamment aux pools de qualification de l’EVO 2018, dans un combat au cours duquel il ne démérite pas.
Il prend aussi le temps de s’intéresser aux demandes en termes d’accessibilité, et introduit de nouvelles options pour les malvoyants avec Tekken 8.
Enfin, le créateur continue de s’amuser, et nous en même temps, en proposant quelques clins d’œil bien sentis dans les différents jeux de Bandai Namco.
Il double différents personnages de la saga (notamment Yoshimitsu), et apparaît dans plusieurs cameos de Tekken 7, Tekken Tag Tournament 2 et même Soul Calibur.
La performance technologique en toile de fond
Tekken, premier du nom, tenait plus du prototype que du jeu AAA. À l’époque, les développeurs découvrent la 3D, et Bandai Namco souhaite rivaliser avec les équipes de SEGA qui ont pris un train d’avance avec Virtua Fighter. Il s’agit de maîtriser cette nouvelle technologie high-polygones, alors que peu de programmeurs y étaient accoutumés.
« À l’origine, Tekken n’était pas censé être un jeu de combat moderne, mais il avait plutôt pour but d’étudier le contrôle de l’animation des modèles 3D, et le modelage des polygones du corps humain qui seraient nécessaires dans les années à venir, car à l’époque, nous en étions encore à l’aube de l’apparition des polygones. » – Interview de Katsuhiro Harada, pour VG247
Namco a donc débauché des employés de chez ses concurrents pour parvenir à surmonter les épreuves du passage à la 3D, et parvenir à produire un rendu de mouvement optimal.
« Ces problèmes n’existaient tout simplement pas dans les jeux en 2D, où le réalisme n’était qu’une préoccupation secondaire. […] Dans Street Fighter II, chaque personnage est frappé de face ou de dos, jamais de côté. Que se passe-t-il lorsqu’un combattant reçoit un crochet du droit dans un espace 3D à 60 images par seconde ? Les jeux de combat en 2D sont comme des folioscopes, chaque image étant conçue une par une. Ils ressemblent à des images que l’on regarde de côté, mais le jeu de combat en 3D a de l’espace. Il ne s’agissait pas seulement de la beauté de l’animation, mais de la manière dont nous pouvions faire en sorte que le personnage frappe l’adversaire. C’était la partie la plus difficile. » – Interview de Katsuhiro Harada par Edge.
La direction fait donc le choix de préférer le réalisme du combat au spectaculaire des jeux en 2D, et s’y emploie en augmentant la taille des équipes pour pallier la charge de travail induite par ces nouveaux outils.
Avec la 3D arrive également la motion-capture, qui en est encore à ses débuts, et le gros de l’animation reste faite à la main.
« Nous n’avons pratiquement pas eu recours à la captation de mouvements pour Tekken 1 et 2. À l’époque, la captation de mouvements n’en était qu’à ses balbutiements. Nous avons donc utilisé un système magnétique pour capter une partie des mouvements dont nous avions besoin. Il s’agissait d’une méthode où tout devait être enregistré à l’aide de câbles, et qui n’était pas adaptée à l’action intense, de sorte que nous ne pouvions l’utiliser qu’à titre de référence […]. » – Interview du développeur Yutaka Kounoe par RetroGamer
Des rares descriptions que l’on en trouve, l’ambiance de travail sur Tekken 1 et 2 incitait à la compétition en interne : les développeurs avaient le droit d’implémenter leurs idées si elles leur paraissaient viables, quitte à supplanter le travail d’un collègue. Une philosophie qui aura certes permis des merveilles technologiques, mais aura entraîné un grand nombre de départs.
« […] Les deux premiers jeux ont été créés en tant qu’expérience ; même les développeurs ne pouvaient pas prédire ce qu’il adviendrait. C’est ce qui fait l’attrait de Tekken. Le troisième jeu, dont j’étais responsable, était une production plus calculée. Il a été systématiquement planifié et contrôlé. » – Interview du développeur Yutaka Kounoe
D’autre part, Tekken était initialement conçu pour des machines d’arcade plus puissante que la PlayStation à venir. Il fallut aussi œuvrer au bon portage du jeu sur celle-ci une fois son développement pour borne terminé. Un portage dans lequel Namco fut soutenu par Sony, dont le président écrira par la suite que cette collaboration était sans conteste une des raisons du succès de la PlayStation.
Harada aura toujours mis en avant sa volonté d’utiliser les dernières technologies du mieux possible dans les différents opus de la saga. La maîtrise des équipes pour la sortie de Tekken 3, deux ans seulement après Tekken, était double : non seulement elles géraient parfaitement le hardware, mais elles avaient aussi développé et peaufiné un style de combat propre à leur série. Le succès fut au rendez-vous.
Les opus suivants resteront des parangons de modélisation, jusqu’à Tekken 8, dont le rendu de l’Unreal Engine 5 est à couper le souffle. Et on nous assure même que cette fois-ci, les combats en ligne ne devraient pas poser de problèmes.
Tekken 8, le rescapé du 3D Fighting
Force est de constater que dans sa catégorie de 3D Fighting, Tekken fait désormais cavalier seul. Les rumeurs sur Soulcalibur laissent présager un portage plutôt qu’un nouvel opus. De son côté, la Team Ninja n’a pas encore annoncé de nouvel épisode pour Dead or Alive, et le départ du réalisateur Yohei Shimbori n’augure pas forcément du bon.
Quant à Virtua Fighter, le cinquième et dernier épisode est sorti en 2007 sur PlayStation 3… Mais peut-être que la récente animation autour des vieilles licences SEGA ramènera bientôt d’entre les morts la licence qui aura initié le genre.
La présence de Katsuhiro Harada à sa direction, et sa persévérance, est à n’en point douter une des raisons du succès et de la longévité de la série Tekken. Que ce soit pour sa vision technologique ou son sens de la communication, il sera parvenu à améliorer sa recette au fur et à mesure des itérations, n’hésitant pas à tenter çà et là des choses un peu différentes (Tekken Tag Tournament, Street Fighter X Tekken, Super Smash Bros. Ultimate).
Toujours fidèle aux bornes d’arcade, sur lesquelles les jeux Tekken sortent encore et toujours, le monsieur n’a pas oublié ni d’où il venait, ni ses passions étudiantes. Et pour ceux qui souhaiteraient commencer avec Tekken 8, il a même demandé à Brian Cox, le patriarche de la série Succession, de nous faire un résumé de l’histoire de la saga.