On pensait en avoir fini avec la licence Dragon Age, qu’on la laisserait tranquille un temps, sous assistance respiratoire et loin des polémiques nauséabondes. C’était sans compter Andrew Wilson, PDG d’Electronic Arts, qui devait éclairer les investisseurs sur les raisons pour lesquelles The Veilguard n’avait pas atteint les sommets escomptés.
Loin de pointer un développement mouvementé, des changements de cap incessants en forme de mea-culpa ou bien en profiter pour évoquer une campagne marketing transformée en champ de mines anti-woke, Wilson et son staff estiment que le véritable problème réside ailleurs : Dragon Age: The Veilguard aurait dû être un jeu service !
« Pour dépasser le public cible, les jeux doivent se connecter directement à la demande évolutive des joueurs qui recherchent de plus en plus de fonctionnalités de monde partagé et un engagement plus profond aux côtés de récits de haute qualité. »
Le mot est suggéré, mais déjà des corps sont pris de troubles du stress post-traumatique, la toile s’emballe, même d’anciennes têtes pensantes du studio BioWare sortent les haches sur les réseaux sociaux, et c’est reparti pour un tour de piste. Tous en scène !
Andrew Wilson, pressenti pour devenir le nouveau dirigeant de Disney, déjà un peu dans Le Monde de Dory, vient de rouvrir la boîte de Pandore qui a pourtant mis à mal son studio BioWare depuis une dizaine d’année.
En résumé, The Veilguard n’a pas su captiver une audience suffisamment large, faute de « fonctionnalités connectées et d’un engagement plus profond » qui auraient pu étendre son attrait au-delà des fans de RPG solo (et leur porte-monnaie). L’argument pourrait presque tenir si EA ne s’était pas déjà aventuré sur de tels projets à la trajectoire de météorites.
Rappelons qu’Anthem, censé incarner l’avenir du jeu service chez BioWare, a non seulement échoué commercialement, mais aussi terni la réputation du studio. Et pourtant, l’idée de transformer Dragon Age en une expérience jeu service était bel et bien envisagée à une époque, avant qu’EA ne décide de revenir à un format plus traditionnel, probablement échaudé par l’échec d’Anthem puis galvanisé par le succès de Star Wars Jedi: Fallen Order de Respawn, une autre écurie de l’éditeur.
Alors pourquoi, quelques années plus tard, prétendre que le problème vient justement d’un retour au modèle solo ? Cette nouvelle contradiction reflète bien l’état d’esprit de certains décideurs, réticents à reconnaître – et à faire comprendre à leurs actionnaires – les attentes d’un public pourtant déjà conquis.
Un modèle au GaaS aurait-il vraiment fait carburer la licence ? Bien sûr, on peut imaginer que The Veilguard aurait pu générer davantage de revenus, du moins à court terme. Un Dragon Age en mode multijoueur avec des mises à jour régulières, des skins payants et surtout des campagnes additionnelles monnayées, aurait peut-être mieux captivé l’attention du marché… ou pas. La concurrence est rude et le marché saturé. Non, transformer Dragon Age en jeu service n’aurait pas garanti son succès, bien au contraire.
Les attentes des joueurs de RPG narratifs ne sont pas les mêmes que celles du public des jeux service. Ce qui fait la force d’un Dragon Age ou d’un Mass Effect, c’est avant tout son écriture, ses personnages et son univers profond, sa narration, ses dialogues et ses choix crève-cœur. Des éléments sur lesquels The Veilguard n’a pas convaincu.
Les récentes déclarations de Wilson et de son directeur financier, Stuart Canfield, laissent planer une question : Mass Effect 5 connaîtra-t-il le même sort ? Avec un BioWare d’ores et déjà démantelé, qui a déjà vu son effectif réduit de moitié et ses ressources redistribuées, risque-t-il de voir son prochain projet recalibré pour correspondre aux nouvelles ambitions d’EA en matière de jeux service ? Mass Effect 5 pourrait être tenté d’y céder, sous la pression d’un éditeur cherchant à maximiser la rentabilité d’une de ses licences les plus populaires.
Au fond, encore une fois, la véritable leçon de cette affaire n’est pas l’échec de Dragon Age: The Veilguard, mais l’écart grandissant entre les visions de certains éditeurs et celle des joueurs. Une distorsion où Andrew Wilson et son équipe continuent de penser que l’avenir du jeu vidéo repose uniquement sur des expériences connectées et des services monétisés, ignorant qu’une part importante du public recherche encore des expériences solo, immersives et complètes. Qui peut laisser prétendre un instant le contraire après les immenses succès critiques et commerciaux d’un Elden Ring ou d’un Baldur’s Gate 3 ?
Mass Effect 5 pourrait donc être le prochain test grandeur nature de cette stratégie/tragédie (rayez la mention inutile). Pour l’instant, BioWare n’a donné aucune indication mais ces nouveaux commentaires soulèvent inévitablement la question de savoir si le groupe va bien vouloir financer un autre jeu solo BioWare une fois de plus. Un vent glacial souffle à présent dans les couloirs du Normandy, tout le monde reste prostré dans sa cabine en position fœtale. Signe évident de schizophrénie.
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