Partie 2 : Où l’on entrevoit quelques réponses
Disclaimer : avant de vous lancer dans la lecture de cette seconde partie sur la difficulté, nous vous recommandons chaudement d’avoir lu la première partie.
Il est impossible de mesurer objectivement le degré de difficulté d’un jeu. Si on devait la mesurer, nous dirions qu’il s’agit de l’écart entre le niveau du joueur, et le challenge proposé par le jeu. Ce qui signifie que lorsque les créateurs d’un jeu pensent en termes de difficulté, ils pensent le plus souvent à l’écart relatif entre les habilités d’un joueur et ses connaissances des mécaniques du jeu.
De l’aveu même de certains game-designers (nous vous invitons à consulter sur le sujet l’article de Gamasutra intitulé « Difficulty is Difficult: Designing for Hard Modes in Games »), il est très facile de réaliser des jeux extrêmement difficiles qui exigent des réflexes surhumains. Concevoir un platformer hardcore nécessitant un placement au pixel près, avec des pièges surgissant du sol sans crier gare, tout en vous noyant sous des vagues d’ennemis pourrait être très simple.
Le véritable défi pour les développeurs est de créer ce que nous appellerons une « difficulté accessible ». Prenons pour exemple le jeu d’arcade, et le versus fighting en particulier. Une fois votre pièce mise dans la borne, si votre premier adversaire se met à parer chacun de vos coups sans jamais vous offrir la moindre ouverture, et vous terrasse sans ménagement, il y a fort peu de chance pour que vous sortiez une autre pièce de votre poche. Or, si les premiers ennemis sont accessibles et qu’à mesure que vous maîtrisez votre personnage, la difficulté s’accroit, vous aurez toujours plus envie d’aller de l’avant, et de continuer à enrichir le gérant de la salle.
La difficulté d’un jeu n’est pas une fin en soi. La véritable fin en soi, c’est le joueur. Il est au cœur du processus de création d’un jeu. La plupart du temps, les développeurs s’arrangent pour faire en sorte que vous vous en sortiez toujours, quelle que soit l’apparente difficulté du jeu. Après six échecs face à un boss, celui-ci va étonnamment manquer son coup qui vous touchait systématiquement auparavant.
Un ennemi va louper son premier tir, qui vous tuait les fois précédentes. Un adversaire va brandir son katana au-dessus de votre tête un chouïa plus lentement que les fois précédentes. Vous allez trouver un item de soin juste avant un affrontement. Les exemples ne manquent pas. Le but est une fois de plus de permettre au joueur de progresser. La plupart du temps, le jeu travaille pour vous, sans même que vous ne vous en rendiez compte.
Dis-moi quel joueur tu es…
En 1996, Richard Bartle a réalisé ce qu’il a appelé une typologie des joueurs. Il s’agit d’une cartographie des joueurs, au départ conçue pour classifier les amateurs de MMORPG, mais rapidement utilisée dans tous les autres genres de jeu.
Cette cartographie se divise en deux axes : d’Action à Interaction, puis de Joueurs à Univers. En découlera l’apparition de quatre types de joueurs :
- « Killers» : ils aiment interagir avec les autres joueurs, et détruire tout ce qui peut l’être ;
- « Achievers» : ils ont pour but d’accomplir les missions confiées par le jeu ;
- « Explorers» : ils prennent plaisir à explorer les mondes, sans prêter attention aux objectifs fixés ;
- « Socializers» : ils favorisent les aspects interactions sociales des jeux.
Selon Bartle, les joueurs appartiennent à une ou deux de ces catégories, et ils vont développer tout un ensemble de compétences en lien avec ces classes et leurs expériences de jeu. Cela définit également les attentes des joueurs en fonction des jeux, et les sources de fun changeront d’un joueur à l’autre en fonction de cela. Pour un « killer », l’accomplissement sera d’avoir terrassé un boss optionnel secret aux patterns improbables et à la réputation horrible. Alors qu’un « explorer » prendra un plaisir immense à aller atteindre cette petite île cachée au bout de la carte.
En prenant cela en compte, il est beaucoup plus aisé de comprendre que certains jeux incluent des niveaux de difficulté dans leurs options : si vous êtes plutôt « explorer », ou que vous voulez juste profiter de l’histoire, choisissez sans remords le mode « facile ». A contrario, si vous voulez un challenge relevé, vous êtes plutôt « killer », alors mettez tous les curseurs de difficulté au maximum et faites-vous plaisir.
Certains titres tels que Mass Effect proposent, avant même de choisir votre niveau de difficulté, de choisir le type d’aventure que vous souhaitez vivre : narrative, équilibrée ou axée sur l’action. De quoi satisfaire tous les profils de joueurs (ou presque).
D’autres ont fait le choix de ne pas proposer de niveaux de difficulté, et d’imposer une aventure savamment dosée aux joueurs. En fonction de votre connaissance de tel ou tel genre, du metroidvania au survival-horror, tous ces jeux ne seront sans doute pas faits pour vous. Et cela n’a rien de grave, bien au contraire. N’ayez aucun regret, ni aucune honte à dire que tel ou tel jeu n’est pas fait pour vous.
…et je te dirai à quoi jouer
L’industrie du jeu vidéo ne cesse de croître. Nous parlons ici autant en termes d’audience que de chiffre d’affaires (139,9 milliards de dollars en 2020 selon les sites économiques, pour 2,70 milliards de joueurs – occasionnels ou réguliers, sur tous types de support). Une audience qui s’agrandit signifie plus de diversité dans les produits proposés.
Pour toucher toutes ces audiences, des producteurs choisissent d’inclure des options d’accessibilité à leurs jeux. Un titre réputé difficile comme Cuphead s’est vu doté d’un mode simple pour s’ouvrir à un nouveau public. Assassin’s Creed Valhalla propose de régler la difficulté des combats, de l’exploration et de la furtivité à n’importe quel moment du jeu.
Ceci est surtout la preuve de la plus grande liberté qu’ont les développeurs aujourd’hui : ils peuvent proposer de multiples options à leur public, pour leur offrir une expérience de jeu personnalisée, allant de l’exploration détente à des affrontements sans pitié.
Cependant, cela ne veut en aucun cas dire que tous les jeux dits « difficiles » doivent offrir un mode facile. Bien au contraire. Un Bloodborne en mode facile se transformerait en une bête immonde : un beat’em’up de six heures avec un lore captivant. Certains jeux ont cette grande difficulté comme mécanique essentielle à leur fonctionnement. Où le manque d’indice est une fin en soi. Où la précision au pixel près de chaque saut est une fin en soi. Où le but ultime est de parvenir à vaincre chaque obstacle pour ressentir un sentiment d’accomplissement incomparable.
La question de la difficulté dans les jeux vidéo est un mirage, une illusion faite uniquement pour tromper les joueurs. C’est une notion relative, qui dépend tellement de votre parcours de joueur, de vos aptitudes (de mémorisation, de réflexes, de coordination main-œil, de placement dans l’espace), et simplement de vos affinités qu’on ne saurait y répondre en un mot. L’important est de se rappeler que même s’ils ne sont que les produits d’imagination de créateurs de jeux, les émotions qu’ils peuvent provoquer en nous sont bien réelles.
Conclusion
N’oubliez pas que quel que soit votre jeu favori, lorsque que vous l’avez lancé la première fois, vous étiez un noob. Quelle que fût sa réputation, de titre horriblement dur, à jeu familial hyper accessible, vous avez un jour commencé comme un débutant. Vous avez progressé, vous avez appris de ce jeu. À vous maintenant d’apprendre à d’autres, sans prosélytisme, ni condescendance. Votre expérience sera d’une grande aide pour celles et ceux qui suivront vos pas dans cette aventure que vous avez vaincue.
Nolan Bushnell, le créateur de Pong, définissait un bon jeu de la manière suivante : « it might be easy to learn, hard to master » (« facile à apprendre, difficile à maîtriser »). Il précisait :
« Les meilleurs jeux sont ceux qui sont faciles à appréhender, mais difficiles à maîtriser. Un tel jeu sait récompenser aussi bien les débutants complets que les experts. »
Le jeu qui ne récompense que l’expert n’est donc pas vraiment un bon jeu, de même que celui qui n’est agréable que pour les débutants. L’important est de trouver chaussure à votre pied, et de l’assumer pleinement. Casual ou hardcore gamer ne sont que des mots. Vous êtes tous des joueurs.
L’auteur de ces lignes tient à remercier tout particulièrement Inoshishi, Noomi et City pour leurs suggestions, ainsi que tous les membres de la rédaction de new-game-plus.fr pour le partage de leurs expériences.