Ben Starr et Jennifer English ont tous deux reçu un Game Award pour leur performance de doubleur dans Clair Obscur: Expedition 33. Sans remettre en cause leur travail, on peut se poser la question du poids de ce dernier dans la façon dont les joueurs ont accueilli les personnages de Verso et Maelle.
Charlie Cox lui-même, quand on le félicite pour son travail sur le jeu (dans le rôle de Gustave) insiste sur le fait que son travail ne vaut que parce qu’il repose sur la performance de Maxence Cazorla, l’acteur qui s’est chargé de la « performance capture ». Et Cazorla à son tour renvoie au talent des auteurs et des développeurs pour expliquer la réussite du personnage.
« Finalement, c’est vraiment la combinaison de ces deux performances [la captation des mouvements et le doublage, NDLR], associée à un travail d’écriture incroyable et au travail de développement qui donnent vie au personnage. » – Maxence Cazorla, dans une interview pour Eurogamer (traduit par la rédaction).
Le succès de Clair Obscur: Expedition 33 est-il essentiellement dû à son système de combat, mixant astucieusement tour par tour et temps réel, et enrichi d’une mécanique complexe de bonus ? À son univers original, ce Paris « parallèle » théâtre d’une guerre entre Peintres et Écrivains ? À ses personnages, rendus attachants par le talent des comédiens qui les incarnent ? À ses environnements, magnifiquement réalisés ? À son placement tarifaire, aussi, décidé avec intelligence par l’éditeur, Kepler.
C’est évidemment un mix de tout ça qui fait la réussite du titre. Un jeu vidéo est une œuvre collective, et même le meilleur game designer aura besoin d’artistes pour donner vie à ses personnages et aux environnements, que des musiciens viendront ensuite habiller…
Il y a des exceptions, des « one man games », ou « solodev » comme on aime à les appeler aujourd’hui. Undertale est un jeu de Toby Fox, et de Toby Fox seulement, comme Balatro a été développé de A à Z (game design, D.A.,…) par LocalThunk. Mais ces titres restent des anomalies dans le paysage vidéoludique.
Mais doit-on vraiment parler de The Last of Us comme d’un jeu de Neil Druckman ? De Metal Gear Solid comme d’un jeu d’Hideo Kojima ? De Resident Evil ou de Yakuza comme de jeux signés respectivement Shinji Mikami et Toshihiro Nagoshi ? Ces personnalités ont un rôle central dans la création des jeux cités, mais ces mêmes jeux ont été développés par des équipes constituées de dizaines de personnes, voire de centaines pour certains.
Le design du zombie qui se retourne lentement au début du premier Resident Evil fut une part importante du succès du jeu (ce même zombie se retrouvant d’ailleurs sur la jaquette de certaines éditions du jeu), tout comme l’interprétation des personnages de TLOU ou Yakuza sont aussi une des clés du succès de ces titres ou les dessins de Yoji Shinkawa ont énormément contribué à la légende Metal Gear Solid.
On a déjà la mauvaise habitude d’attribuer la paternité d’un film à son réalisateur, alors que même le meilleur aura besoin d’un bon scénario, d’un bon monteur, de bons acteurs et d’un bon chef opérateur s’il veut faire un bon film (ou un bon acteur aura besoin d’un bon réalisateur, d’un bon scénariste, etc.). Dans le jeu vidéo, c’est la même chose, si ce n’est pire. Et malgré leurs égos généreux, les Hideo Kojima ou David Cage ne feraient absolument pas les mêmes jeux tout seuls devant leurs ordinateurs.
Évidemment, la place de ces stars des studios de développement est centrale, et leurs jeux respectifs leur doivent beaucoup. Mais, plus encore que le cinéma, le jeu vidéo est une œuvre collective. Et on ne parle pas ici de « petites mains », mais de véritables postes de créatifs et de techniciens, complémentaires les uns des autres et essentiels à la réussite et à la cohérence d’une œuvre.
Le succès de Clair Obscur: Expedition 33 met, pour une fois, en lumière ce côté collégial de l’œuvre. Ainsi, pour célébrer le triomphe aux Game Awards, ce sont à la fois François Meurisse (producteur), Guillaume Broche (réalisateur) et Alice Duport-Percier (compositrice) qui ont été invités dans l’émission de télé « Quotidien ». Et plutôt que de s’inspirer de ce qui s’est imposé au cinéma, avec un réalisateur qui prend toute la place, on devrait encourager cette habitude (qu’on observe déjà un peu) d’attribuer la signature d’un jeu à un studio, et non pas à une personnalité. En ne leur offrant pas la lumière dont certains jouissent parfois, peut-être aussi que certaines personnalités toxiques le seraient un peu moins…

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