Dans un contexte plombé par l’inflation, il n’est pas surprenant que les joueurs s’inquiètent de voir certains titres franchir la barre symbolique des 80 $. Ainsi, lorsqu’un fan de Borderlands interpelle sur X les responsables du quatrième opus en les exhortant à ne pas céder à cette envolée tarifaire, il s’est vu répondre, sans détour :
« A) Ce n’est pas moi qui décide. B) Si tu es un vrai fan, tu trouveras un moyen d’y arriver. »
Signée Randy Pitchford, patron de Gearbox, cette déclaration a traversé les réseaux sociaux comme une balle de Jakobs en pleine tête : rapide, bruyante, et laissant un goût de métal dans la bouche. Une sortie d’autant plus mal reçue qu’elle est accompagnée d’un souvenir nostalgique :
« Mon magasin de jeux local vendait Starflight sur Sega Genesis à 80 dollars en 1991, quand je venais tout juste de sortir du lycée et que je travaillais au salaire minimum dans un glacier à Pismo Beach, et j’ai trouvé un moyen de me le payer. »
Autrement dit : si j’ai pu le faire, vous aussi. Circulez. Mais à une époque où l’inflation gangrène chaque rayon de supermarché, où les loisirs sont déjà une ligne sacrifiée sur bien des budgets, cette posture a tout du discours de patron déconnecté. Une manière élégante de répondre à l’inquiétude par le mépris.
Le post de Pitchford dépasse largement le cas Borderlands 4, cristallisant un malaise latent : celui d’une industrie qui semble vouloir faire du portefeuille un test de fidélité, une preuve d’amour.
Aujourd’hui, les 80 $ ne sont plus une anomalie. Mario Kart World chez Nintendo ? 89,99 $. Les prochains jeux Xbox ? En hausse. Et Take-Two, maison-mère de Gearbox, avance masquée, préférant évoquer des tarifs « adaptés à chaque jeu », sans jamais rassurer sur la tendance.
Et face à cela, les joueurs font des choix. Ils arbitrent. Ils patientent. Ils scrutent les soldes. Ils jonglent avec les abonnements. Loin du fantasme du fan bouillant qui claque 80 billets les yeux fermés, le joueur de 2025 est avant tout un consommateur avisé, parfois contraint, souvent prudent.
L’arrogance en guise de service après-vente
C’est là que le bât blesse : dans le ton, plus que dans le tarif. Car en déclarant qu’un « vrai fan de Borderlands trouvera un moyen », Pitchford ne parle plus d’argent. Il parle de légitimité et trace une ligne invisible entre ceux qui mériteraient d’en être, et les autres, les « faux fans », les radins, les tièdes. Ceux qui posent des questions, qui rechignent, qui calculent.
Cette manière de brandir la passion comme un passe-droit, c’est l’arme favorite des discours élitistes. Elle exonère l’industrie de toute remise en question, et infantilise le public. Elle transforme une hausse tarifaire en geste de tri : les purs d’un côté, les autres de l’autre. Et dans cette logique, poser une question devient déjà un aveu de faiblesse.
Un discours qui n’est pas sans rappeler, entre autre, les lamentations de Bend Studio, lorsque les développeurs de Days Gone s’étaient publiquement offusqués que les joueurs attendent des promotions ou se tournent vers l’occasion au lieu d’acheter leur jeu plein pot. Comme si l’amour d’une œuvre ne pouvait s’exprimer qu’en passant directement à la caisse, et tant pis pour ceux qui doivent choisir entre passion et fin de mois.
Jusqu’où faudra-t-il « trouver un moyen » ?
Le jeu vidéo se veut encore un art populaire. Une culture accessible. Un espace d’évasion. Mais comment le rester si, demain, seules les bourses les plus pleines peuvent suivre ? Si aimer une licence ne suffit plus, et qu’il faut désormais prouver sa ferveur par carte bleue interposée ? Et dans ce monde-là, quel message envoie-t-on à ceux ayant grandi avec Borderlands, mais qui ne peuvent plus s’offrir sa suite ? Pour qui 80 euros reste avant tout deux semaines de courses ? Que leur dira-t-on ? « Trouve un moyen, ou va jouer ailleurs » ?
Le danger, ce n’est pas forcément que les jeux deviennent chers. C’est plutôt qu’ils deviennent exclusifs, dans tous les sens du terme. Financier, culturel, affectif. Et qu’au lieu d’être un loisir fédérateur, ils se transforment en produit de luxe, réservé à ceux pouvant suivre le rythme sans jamais regarder le ticket de caisse.
Le silence aurait été d’or !
Randy Pitchford aurait donc mieux fait de s’en tenir à sa première phrase : « Je ne décide pas du prix. » C’était factuel, sobre, et suffisant. Une vérité sans arrogance, qui lui aurait évité bien des polémiques. En tentant d’illustrer sa passion par une anecdote bancale sur ses jeunes années à Pismo Beach (récit d’ailleurs démonté, Starflight coûtant 69,95 dollars à l’époque et non 80), il a surtout mis en lumière le gouffre grandissant entre les décideurs et leur public… Tout en faisant ressurgir une réalité bien plus préoccupante : le problème n’est pas seulement que les jeux deviennent chers. C’est qu’on commence à nous les vendre comme un privilège.
Et si demain les fans ne parviennent plus à “trouver un moyen de s’en sortir”, ce ne sera pas forcément par manque de mérite. Peut-être simplement parce qu’ils n’auront plus envie de payer pour se faire mépriser.
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