Des compilations Atari, on en a connu plus qu’à notre tour. Déjà, sur la console 8 bits Master System de SEGA sortait Arcade Smash Hits, une compilation fainéante regroupant trois des plus grands classiques de la marque : Centipede, Breakout et Missile Command. Et puis, les compilations, souvent tout aussi fainéantise, se sont enchaînées : Arcade Classic sur Mega Drive (1996), Arcade Greatest Hits à peu près en même temps sur SNES, PS1 et Saturn, Arcade Greatest Hits 2 à nouveau sur PlayStation en 1998, Atari Anthology sur PC et Xbox en 2003, etc.
Un flot ininterrompu de rééditions de classiques qui nous conduisent à aujourd’hui, 2023. Alors que la marque fête son cinquantième anniversaire (et en jeu vidéo, ce n’est pas rien !), on ne pouvait pas imaginer qu’Atari ferait autre chose que nous ressortir une énième compilation de ses succès du temps jadis. Et c’est ce qu’il a fait. Mais il y a un twist…
(Critique d’Atari 50: The Anniversary Celebration réalisée sur PC via une version commerciale du jeu)
Jeucumentaire
On connaissait le documenteur, un genre cinématographique dont la parenté est souvent attribuée à This is Spinal Tap (Rob Reiner, 1984), et qui consiste à présenter de manière parodique une fiction comme un documentaire. Avec Atari 50: The Anniversary Celebration, on tient une nouvelle variation sur l’exercice du documentaire que l’on pourrait baptiser jeucumentaire !
Car Atari 50 n’est pas simplement une compile, même si le soft renferme bien une centaine de jeux jouables. C’est un document reprenant l’histoire d’Atari, et à travers elle, d’une certaine manière, l’histoire des jeux vidéo. Et, quand il s’agit de jeu vidéo, comment mieux saisir de quoi on parle autrement qu’en jouant ? Le doc est donc illustré d’une centaine de titres, entièrement jouables, qui retracent la chronologie de l’entreprise.
Le titre se présente d’abord comme une frise temporelle qui rappellera nos cours d’histoire au collège (à quand d’ailleurs un programme qui intègrera les jeux vidéo comme il intègre aujourd’hui la littérature et le cinéma ?). Sauf que cette frise-là est particulièrement interactive. On navigue entre les dates clés de l’histoire d’Atari, et pour chaque événement, on trouve des anecdotes, des documents d’époque, des interviews vidéos et surtout des jeux !
CD-I : Centre de Documentation et d’Information
Bon, le CD-I était une machine Phillips (et, fun fact, probablement la seule machine à ne pas être estampillée Nintendo qui ait reçu des jeux Zelda), mais on trouvait le jeu de mots trop beau pour ne pas être utilisé. Car Atari 50 est une vraie mine d’or documentaire.
Atari 50 embarque de très, très nombreux documents d’époque : flyers publicitaires, posters servant de mode d’emploi pour les bornes d’arcade, pages de pub parues dans les magazines, photos de différents objets et machines, dont certains jamais sortis, et bien entendu énormément de boîtes de jeux, de livrets d’instructions, de jaquettes et d’artwork. Les boîtes de certains jeux sont même rendues en 3D, nous permettant d’admirer à la fois l’illustration de face, mais aussi les captures d’écran et la description du jeu apparaissant au dos.
Le jeu propose aussi de très nombreuses interviews des gens qui ont fabriqué Atari, de son fondateur, Nolan Bushnell, aux techniciens et programmeurs des premiers succès, qui se souviennent aussi bien de l’ascension incroyable de la fin des années 70 au début des années 80, jusqu’au crash du jeu vidéo en 83, en passant par le retour au top avec les ordinateurs Atari ST ou la période étrange durant laquelle Atari avait décidé de faire des flippers…
Mais Atari 50, c’est surtout une compilation de luxe, tranchant avec les rééditions à la chaîne de Centipede qu’on connaît depuis presque quarante ans. Une centaine de jeux jouables issus des bornes d’arcade et de toutes les générations de consoles Atari, depuis la toute première machine, l’Atari 2600 (quarante jeux au programme), jusqu’à la dernière, la Jaguar (neuf jeux Jaguar), en passant par la portable Lynx (cinq jeux complets).
Hagiographie
Bien entendu, le document est à la gloire d’Atari, et l’entreprise elle-même n’est que peu questionnée. On entendra ainsi que le crash du jeu vidéo en 1983 est dû à un trop-plein de jeux de mauvaise qualité, ayant mené à un désintérêt général du grand public. Et Atari de faire porter la responsabilité sur les nombreux « petits acteurs » qui auraient publié trop de mauvaises copies de jeux Atari. Et si le cas E.T. est bien évoqué, c’est pour le présenter comme conséquence, voire victime, de ce crash, sans jamais évoquer les qualités du jeu en question (ou du moins l’absence de celles-ci !), ni ses conditions de production, en un temps intenable avec un budget rikiki. Le titre ne fait d’ailleurs pas partie de la liste des jeux jouables.
Le document se termine par un face à face très amical entre le fondateur d’Atari et l’actuel PDG de la marque. Un dialogue un peu étrange, voire malaisant, où le fondateur explique au jeune PDG que la réussite d’Atari et la trace qu’elle laisse dans l’histoire sont dues à un esprit d’innovation qui était au cœur de l’entreprise.
Quand on sait ce qu’elle est devenue aujourd’hui… De même, Nolan Bushnell prend plaisir à raconter une anecdote où il explique que le pouvoir de la marque était tel qu’il pouvait assez facilement faire couler les entreprises qui tentaient de venir lui faire concurrence, ajoutant le souvenir d’être allé déboucher une bouteille de champagne sur la pelouse d’une de ces boîtes qui venait de déposer le bilan… Un cynisme qu’on imagine tout à fait à sa place dans les pires boîtes du jeu vidéo actuel.
Atari 50: The Anniversary Celebration est un programme intéressant en soi déjà pour son format, presque inédit. Une compilation comme Essay on Empathy tutoyait déjà cette mixité entre jeu et documentaire, mais avec une limite puisqu’elle était consacrée à un tout petit studio, et donc plus du côté de l’intime. Avec Atari, c’est l’Histoire qui est convoquée, celle du jeu vidéo, de ses débuts à son explosion populaire.
Au-delà de la forme, le contenu est aussi un régal, avec des pages et des pages de documents dont certains sont rares ou inédits, et surtout, une petite centaine de titres jouables, avec parmi eux quelques formules remixées, mais aussi des prototypes et des inédits. C’est une collection de matériaux précieux pour les amoureux d’histoire, de jeux vidéo, et d’histoire du jeux vidéo !