C’est un séisme dans l’industrie du cinéma et un événement sans précédent pour les fans de James Bond : Amazon MGM Studios a annoncé avoir pris le contrôle créatif de la franchise 007, mettant un terme à l’ère de celui strict exercé par Barbara Broccoli et Michael G. Wilson. Une nouvelle qui bouleverse les traditions établies depuis plus de soixante ans et soulève de nombreuses inquiétudes.
La fin d’une direction historique
Barbara Broccoli et Michael G. Wilson, héritiers du légendaire Albert « Cubby » Broccoli, ont toujours fait de la franchise James Bond un modèle de stabilité et de rigueur artistique. Contrairement à d’autres franchises cinématographiques majeures, 007 n’a jamais été dilué dans des spin-offs à répétition ou des séries télévisées dérivées. Chaque film était un événement, savamment préparé, et toujours encadré par un contrôle qualité rigoureux.

Cependant, il y a de cela quelques mois, Barbara Broccoli, avait déjà fortement exprimé son mécontentement face aux propositions d’Amazon concernant l’avenir de l’agent 007. Selon le Wall Street Journal, elle aurait confié à ses proches à propos des dirigeants d’Amazon qu’ils étaient « des putains de cons. »
Une vive déclaration, inhabituelle de la part de la productrice, symbole d’un désaccord fondamental entre la gardienne historique de la saga et Amazon, nouveau propriétaire du studio MGM. Ces tensions faisaient suite à des divergences sur l’avenir de la franchise, notamment concernant des propositions de séries dérivées centrées sur des personnages secondaires comme Moneypenny, que Broccoli aurait fermement rejetées. En réponse, Jeff Bezos a exprimé sa volonté de se séparer de Broccoli, déclarant sans détour à son équipe :
“Je me fiche de ce que ça coûte, débarrassez-vous d’elle.”
Ainsi, après de nombreux revirements et au grand désarroi des fans, la productrice historique de la franchise et son frère ont fini par céder, laissant Amazon acquérir totalement la franchise, un événement qui change radicalement la donne. Avec le départ des producteurs de la saga, la voie est désormais libre pour une « marvelisation » de James Bond, avec un univers étendu, des spin-offs et des séries destinées à alimenter Prime Video… une situation comparable à l’achat de Lucasfilm par Disney en 2012, et qui comme on le sait, s’est plutôt mal terminé.
Une dilution commerciale inévitable de la franchise ?
Amazon semble déjà planifier plusieurs projets annexes, et ne pas avoir perdu de temps, notamment des séries autour de personnages secondaires donc comme Felix Leiter, Miss Moneypenny ou encore une version féminine de Bond. Si on peut questionner l’intérêt de tels projets et se demander qui aurait envie de voir cela, cette stratégie pourrait surtout éloigner la franchise de son essence initiale de serial cinématographique, transformant 007 en simple produit à consommer sur abonnement, plutôt qu’en un événement sur grand écran incontournable.
De récentes expérimentations malheureuses ont démontré que cette approche pouvait affaiblir n’importe quelles franchises, y compris celles autrefois jugées intouchables. Star Wars, par exemple, en multipliant les multiples séries peu qualitatives et les divers spin-offs, a perdu de son impact. Marvel, de son côté, après une décennie triomphante, souffre désormais d’une saturation du marché et d’un désintérêt croissant du public à la suite de nombreux contenus moyens déversés sur Disney +. James Bond, qui avait jusque-là fièrement résisté à cette tendance, pourrait bien être le prochain à en faire les frais.
Une attente record pour le prochain film (ou « contenu »)
Le changement de direction créative arrive alors que la franchise traverse déjà une période d’incertitude. Depuis la sortie de Mourir peut attendre fin 2021, aucun nouvel acteur n’a été annoncé pour prendre la relève du rôle de l’agent secret, et aucun film n’est officiellement en production.
L’attente actuelle pourrait même battre le record établi entre Permis de tuer (1989) et GoldenEye (1995), où six ans s’étaient écoulés avant le retour de Bond sur grand écran. Cette fois-ci, l’absence prolongée risque de ne pas être synonyme de renouveau, mais plutôt d’un changement de cap radical.
Pour l’anecdote, avant de se retirer de l’avenir de la franchise, Barbara Broccoli exerçait un contrôle créatif strict sur les films de la série, ce qui l’amenait parfois à prendre des décisions controversées. En 2020, après la sortie de Tenet, le réalisateur acclamé Christopher Nolan a exprimé son désir de diriger un film James Bond. Des rencontres ont eu lieu, mais Broccoli a clairement fait savoir qu’aucun réalisateur, même de sa stature, ne pourrait jamais bénéficier du “final cut” tant qu’elle serait à la tête de la franchise.
Cette position a donc malheureusement conduit Nolan à se retirer du projet, un choix mettant en lumière l’importance qu’elle accordait à l’intégrité artistique de la série, quitte à laisser passer une collaboration qui aurait pu être mémorable. Elle a cependant laissé échapper, en cédant le contrôle créatif, sa dernière chance de choisir le réalisateur qui aurait tracé la nouvelle direction de la franchise pour les dix prochaines années.
Vers une banalisation morose de l’agent 007 ?
Si l’histoire de James Bond nous a appris quelque chose, c’est que l’espion britannique sait toujours renaître de ses cendres. La franchise a su se renouveler à chaque époque, en passant du charisme brutal de Sean Connery à l’humour et à l’obsession des gadgets de Roger Moore, pour ensuite revenir aux origines avec un Bond plus humain et tout aussi impitoyable sous les traits de Timothy Dalton. Puis, elle a su retrouver sa classe anglaise avec Pierce Brosnan, avant de totalement réinventer et déconstruire le mythe avec un Daniel Craig plus terre-à-terre, marqué par des failles émotionnelles et une vulnérabilité nouvelle bienvenue.
Mais le bouleversement en interne marque la fin d’une ère où la qualité primait sur la quantité. Jusqu’à présent, chaque sortie d’un opus de l’agent double 07 était un événement. Demain, la franchise risque de devenir une simple marque parmi tant d’autres, usée jusqu’à la corde.
Les fans devront désormais s’adapter à une nouvelle ère, où l’avenir de Bond ne sera plus décidé par des producteurs passionnés, garants de son identité, mais par des hommes en costume, accros aux algorithmes et experts en stratégies de contenu calibrées pour le streaming.
Quel avenir pour le jeu vidéo d’IO interactive ?
Reste donc une question en suspens, pour nous gamers : qu’adviendra-t-il du très attendu projet de jeu vidéo développé par IO Interactive ? Conçu comme un retour flamboyant de la licence sous format vidéoludique, le jeu semblait porté par une ambition sincère de redonner à James Bond ses lettres de noblesse dans un médium qui lui a rarement rendu justice durant ce 21ème siècle. Mais avec ce rachat par Amazon, difficile de ne pas craindre le pire. Sera-t-il victime des nouvelles priorités de la firme ? Parasité par des exigences marketing, transformé en simple vitrine promotionnelle pour d’éventuelles séries sur Prime Video ? Ou, pire encore, tout bonnement annulé au profit de projets plus rentables à court terme ?
Pour l’instant, rien n’est certain, et l’on ne peut qu’espérer que ce jeu survivra à cette transition brutale et à ce changement de direction artistique. James Bond a toujours su se réinventer, certes… mais encore faut-il qu’on lui en laisse l’opportunité. On croise les doigts pour éviter un destin similaire à celui du Wonder Woman de Monolith Productions, un projet lancé plusieurs mois avant un changement de direction tout aussi brutal chez Warner Bros., et qui a récemment payé le prix fort avec une annulation prématurée.
Un dernier hommage funeste
Aux Oscars 2025 a eu lieu un moment marquant et sublime qui a profondément touché le public : un hommage sincère et bouleversant à James Bond s’est produit, sous les yeux de Barbara Broccoli et de Michael G. Wilson, présents dans le public. Des chansons emblématiques ont été reprises, accompagnées de scènes de danse mimant les célèbres génériques cultes de la saga. Cet hommage est d’autant plus puissant et émouvant qu’il est survenu quelques jours après l’annonce de la reprise du contrôle créatif de la franchise par Amazon. Ce numéro a donc tout de suite pris des airs de véritable adieu à Bond.
Un adieu déchirant, comme un dernier souffle avant l’inévitable “nécromancie” qu’effectuera Amazon, afin de réécrire le mythe à sa manière. Il n’était ici, aux Oscars, plus question de célébrer la franchise, mais de pleurer ce qu’elle a été, à l’aube de sa transformation en un contenu commercial aseptisé. La saga James Bond, telle qu’on l’a connue, semble bien être entrée dans une nouvelle ère, bien loin de son héritage, et cela semble irréversible.
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