« Jouer, peindre, collectionner », trois mots qui définissent le Hobby avec un grand H, comme l’appellent ses aficionados, tant cet univers regroupe différentes manières de le vivre. À la base, un wargame créé par la société britannique Games Workshop en 1987, c’est-à-dire une simulation de bataille avec de petites figurines, achetées la plupart du temps sous forme de grappes en plastique, à assembler et à peindre soi-même.
Le monde de Warhammer 40K peut paraître rebutant en raison de sa pratique marginale et de sa communauté de nerds barbus et CSP+ débattant sans cesse sur la nature hérétique des Dark Angels. Eh bien, surprise ! C’est tout le contraire, ou presque.
Un Hobby total
« Au cœur des ténèbres d’un lointain futur, il n’y a que la guerre. »
– Livre de Base, Warhammer 40,000
Si vous êtes déjà entré dans un magasin Games Workshop, implanté dans quelques dizaines de pays, vous voyez de quoi on parle : des rayons entiers de peintures, de petites figurines en plastique au packaging aguicheur regroupant de multiples inspirations et esthétiques différentes, des livres, mais aussi et surtout le roulement des D6 sur les tables de jeu ornées de décors détaillés.
Un vivier de passionnés toujours prêts à partager leur passion et à vous faire entrer dans un univers aussi fascinant que terrifiant, de par sa complexité et sa nature de hobby total, prêt à engloutir aussi bien votre temps que votre porte-monnaie. C’est aussi un univers foisonnant, étendu sur des millénaires, permettant la mise en scène de à peu près n’importe quelle fantaisie. Le lore a même son propre terme dans la communauté : le fluff.
Mais Warhammer reste, pour beaucoup de monde, avant tout un jeu de figurines à peindre. Entre le choix du matériel (pinceaux, palette humide, aérographe, etc.), la théorie des couleurs et de la lumière, c’est déjà un univers gargantuesque à aborder. Nous ne le détaillerons pas ici, mais, juste pour le plaisir des yeux, cet article sera parsemé de figurines peintes et assemblées par des personnes très (trop) talentueuses.
« Jouer, peindre, collectionner » est devenu « jouer, peindre, collectionner, lire, écrire, créer, partager », avec des mots aux multiples sens en prime. L’œuvre de Games Workshop n’a jamais autant brillé qu’aujourd’hui, et ce sous de multiples formes.
Pour comprendre la place qu’occupe Warhammer 40K dans nos cœurs, il est d’abord important de comprendre ce qui caractérise cet univers, ainsi que les fondations du wargame. Nous n’aborderons d’ailleurs que l’Imperium, par souci de simplicité et de clarté, mais aussi parce que cela reste la partie la plus importante et émergée de l’iceberg colossal qu’est la franchise de Games Workshop, et elle est largement assez représentative de tout ce qu’elle a à offrir.
Les origines du wargame et de Games Workshop
« Je me tiens devant toi, Maître des Clés. Nombre des mystères de notre Ordre me sont connus. Nos secrets ne sauraient être dissimulés à mes yeux. C’est moi et moi seul qui accorde l’accès à notre Cercle Intérieur, qui peut distinguer le fort du faible, la vérité du mensonge. Moi seul qui détiens le Livre de la Rédemption, les chroniques sacrées de nos pêchés et du chemin tortueux que nous avons parcouru pour nous en absoudre. Moi seul connais les noms de ces Déchus qui ont rejeté la grâce de l’Empereur et sont revenus à lui, par le repentir de l’âme ou l’absolution de la chair. Moi seul porte ce terrible fardeau, car sur mes épaules pèsent les péchés de la légion des Dark Angels, et je ne saurais trouver le repos tant que ces crimes entachent notre honneur. »
– Ezekiel, Maître Archiviste des Dark Angels
N’oublions pas que Warhammer 40K reste avant tout, un jeu de tactique et de stratégie militaire avec des figurines. Souvent confondu avec le jeu de plateau ou de société à cause de sa définition un peu floue, le wargame, lui, trouve ses origines au XIXe siècle, en Prusse, où les états-majors militaires s’entraînaient et planifiaient des opérations grâce à un jeu de plateau complexe (le Kriegsspiel, littéralement « jeu de guerre »), ensuite adopté par diverses nations au fil du temps, et qui a aussi gagné en popularité chez les civils et les militaires.
C’est l’un des fondateurs de la science-fiction qui donnera naissance au wargame en tant que divertissement, H.G. Wells, père de La Guerre des Mondes et admirateur du Kriegsspiel. À l’aube de la Première Guerre mondiale, il créera des jeux avec des règles et des concepts encore présents aujourd’hui. C’est avec Little Wars qu’il popularise l’utilisation de figurines dans les wargames et nombre de leurs fondamentaux modernes.
Après de nombreux développements intéressants, mais qui ne sont pas le sujet de cet article, c’est en 1975, à Londres, que Games Workshop est né, sous la direction de John Peake, Ian Livingstone et Steve Jackson (à ne pas confondre avec son homonyme, créateur du système de JDR GURPS), ces deux derniers étant également à l’origine de la série de livres Fighting Fantasy, une des séries phares des « livres dont vous êtes le héros ».
Games Workshop a commencé son activité en éditant des jeux de plateau comme le jeu de go ou le backgammon, pour ensuite devenir importateur de jeux de rôle papier américains, notamment Donjons & Dragons et L’Appel de Cthulhu au Royaume-Uni. Il est intéressant de voir comment l’histoire du wargame moderne et du jeu de rôle sont liés, et même au-delà, tous deux intrinsèquement connectés à l’origine du jeu vidéo (aussi bien occidental que japonais). Mais encore une fois, ce n’est pas le sujet, et nous vous recommandons l’excellent livre L’Histoire du RPG : Passés, présents et futurs de Raphaël Lucas sur le sujet du JDR.
Suite au départ de ses fondateurs en 1991, Games Workshop se recentre sur ses produits phares, à savoir ses wargames de figurines (Warhammer Fantasy Battle et Warhammer 40K). C’est en 1993, avec sa deuxième édition, que Warhammer 40K adoptera une forme proche de celle d’aujourd’hui, avec un ton plus sombre et pessimiste, le fameux « grimdark » caractérisant l’univers.
L’invention du grimdark
« Porteurs du Jugement, Anges de la Mort : on les appelle les space marines. »
– White Dwarf 219.
Quand on pense à Warhammer 40K, la première chose qui nous vient à l’esprit est son esthétique, à contre-courant de ses inspirations. Un univers mortifère, dans lequel la mort et le sacrifice sont omniprésents, avec l’architecture gothique de l’Imperium (en gros, l’humanité) et ses vaisseaux-cathédrales, mais surtout son gigantisme exacerbé. Une échelle planétaire à tous les niveaux qui se traduit, par exemple, par des planètes entièrement dédiées à une fonction : les Mondes-Ruches pour l’industrialisation ou encore les Mondes-Forges pour l’armement.
Les simples humains sont réduits à des êtres sans grand intérêt, pourtant plus nombreux que jamais dans les galaxies peuplant Warhammer 40K. Après cinq millénaires de guerres intestines ayant presque mené l’humanité au bord de l’extinction, « La Longue Nuit », un homme s’est levé pour réunifier les civilisations humaines perdues au fil du temps sur différents mondes : l’Empereur de l’Humanité, créant par la même occasion le régime de l’Imperium et des soldats surhumains génétiquement modifiés, les fameux Space Marines, porte-étendards de la licence depuis toujours.
S’ensuit une rébellion contre l’Empereur de la moitié de son armée, ses « fils » comme il les appelle, succombant aux douces susurrations des Dieux du Chaos (vivant dans une dimension alternative, le Warp), donnant naissance aux ennemis emblématiques de l’Imperium : les Space Marines du Chaos. Une guerre civile appelée « l’Hérésie d’Horus », racontée dans de nombreux livres depuis 2006.
Ces deux événements, se déroulant du 25e au 31e millénaire, sont les pierres angulaires de ce qui définit l’univers de Warhammer 40K (40K, 40e millénaire, vous l’avez ?), sa satire dystopique et son esthétique. La quantité massive de morts et de souffrances engendrées façonnera l’idéologie de l’Imperium : une extrême intolérance envers les différences, mais aussi une technophobie viscérale au profit de l’ignorance et de la superstition.
À gauche, Horus / à droite, l’Empereur
La communauté, son inclusion et ses polémiques
« Un esprit vide est comme un sol fraîchement labouré. Si l’on n’y sème pas rapidement les graines de l’amour, du devoir et de l’honneur, la mauvaise herbe qu’est l’hérésie y prendra vite racine. » – Extrait de « Hérésie et Foi : une Introspection ».
La communauté créée autour de Warhammer 40K a une influence considérable sur les évolutions du hobby. Elle vit grâce aux idées de chacun, et Games Workshop aura toujours besoin de ses fans pour continuer à faire vivre son œuvre, qui, d’ailleurs, appartient aujourd’hui autant à elle qu’à ses admirateurs ou encore aux nombreux auteurs ayant écrit pour elle.
Malgré tout, chaque communauté a les mêmes défauts, et comme dans beaucoup de domaines, les femmes sont mises à l’écart et peu représentées, ce qui pose un problème de mixité et d’inclusion. Rappelons qu’au début de 2024, Games Workshop a souhaité inclure des femmes dans une certaine faction, l’Adeptus Custodes (une garde d’élite uniquement composée d’hommes), ce qui a entraîné une levée de boucliers virulente d’une minorité bruyante de fans misogynes et réactionnaires.
L’extrême droite adore comprendre de travers et s’approprier des univers dépeignant un fascisme exacerbé sous forme de satire (par exemple L’Attaque des Titans, une déconstruction du fascisme souvent brandie en étendard par cette frange politique). Warhammer 40K n’y échappe pas, surtout avec son lien extrêmement fort entre créateurs et fans. L’Imperium est un empire totalitaire, industriel, militariste et théocratique. Inévitablement, quelques polémiques ont éclaté, comme la réappropriation de l’image de « l’Empereur-Dieu de l’humanité » au profit de Donald Trump pendant sa campagne de 2016.
Le fondateur d’un parti américain de suprémacistes blancs (le « Traditionalist Worker Party ») est même allé jusqu’à citer la vision du conflit éternel de l’univers comme l’une de ses inspirations idéologiques. Heureusement, Games Workshop cherche toujours à promouvoir l’inclusivité, à combattre les infiltrations fascistes dans sa communauté et à offrir à chacun des personnages auxquels ils peuvent s’identifier.
Des amateurs de la communauté s’efforcent également d’ouvrir le hobby à tous, avec, par exemple, des miniatures aux couleurs des minorités sexuelles et de genre. Un effort nécessaire et important pour constituer une communauté hétéroclite de passionnés, qui influencera les futures décisions de Games Workshop dans le sens du progressisme, malgré les plaintes minoritaires des réactionnaires.
Crédit : @cerberusxt-figurines
Un univers protéiforme, brillant de mille feux
« Ils auront le coeur pur et le bras puissant, le doute et l’orgueil n’auront nulle d’emprise sur eux. Ils seront les étoiles qui brilleront au firmament des batailles, les Anges de la Mort dont les ailes Immaculées apporteront l’annihilation aux ennemis de l’Humanité. Ainsi en sera-t-il pour cent millénaires, jusqu’à la fin de l’éternité et l’extinction de toute chair mortelle. »
– Roboute Guilliman.
La licence s’est petit à petit étendue à plusieurs médias, avec énormément de fictions écrites pour développer la trame de fond de l’univers, et ce dès les années 90, entraînant même la création d’une division d’édition (Black Library) chez Games Workshop en 1997, ainsi qu’un magazine sur l’actualité du hobby, White Dwarf, publié depuis 1977.
Sa série de roman phare, publiée de 2006 à 2024 et comptant 64 tomes (dont certains ayant atteint les charts des bestsellers du New York Times), L’Hérésie d’Horus, est un monument de la franchise. C’est une odyssée renversante par son ambition et son gigantisme, racontant dans les moindres détails et sous chaque point de vue les événements fondateurs de l’univers que l’on connaît aujourd’hui.
Pour se rendre compte de l’ampleur des ramifications développées, voici un ordre de lecture réalisé par le forum français Black Librarium, disponible ici en haute résolution pour plus de lisibilité.
Nous n’avons pas encore eu droit à une adaptation au cinéma, mais la franchise de Games Workshop prend de plus en plus place sur nos petits écrans. En 2010, un direct-to-DVD, Ultramarines: A Warhammer 40,000 Movie, est sorti, plutôt médiocre. Cependant, depuis 2022 et le lancement du service premium Warhammer +, une série d’animation sur les différentes factions de l’univers est disponible.
Des projets de films et de séries TV sont également en discussion depuis quelques années entre la firme britannique et Amazon, avec, dans un rôle clé, Henry Cavill et son amour bien connu pour Warhammer 40K. Un segment de la toute fraîche série anthologique d’Amazon, Secret Level, y sera aussi consacré.
La licence connaît aussi des déclinaisons en jeu de rôle papier et en jeu de plateau. Space Hulk, par exemple, a connu diverses adaptations en jeu vidéo. Et nous en avons eu, des adaptations vidéoludiques, dans tous les genres, et ce depuis 1992 avec Space Crusade sur les micro-ordinateurs de l’époque.
Nous n’allons pas revenir en détail sur celles-ci, mais certaines ont grandement contribué à populariser la franchise. Citons Dawn of War et ses standalones entre 2004 et 2008 par Relic Entertainment, proposant un STR ambitieux, une grande variété de factions et d’unités, et surtout un équilibrage plus que correct, propulsant le jeu comme l’un des STR phares de son époque.
Autrefois une petite entreprise britannique, Games Workshop nous a livré l’un des mondes de science-fiction les plus marquants de son époque. Warhammer 40K a cette singularité d’appartenir aussi bien à ses créateurs qu’à sa communauté, chacun dépendant l’un de l’autre. Un univers comparable à un bac à sable colossal, pouvant accueillir de nombreuses influences de tous genres, aujourd’hui plus vivant que jamais et qui n’a toujours pas fini de nous faire rêver… ou cauchemarder d’ailleurs, et ce sous de multiples formes.
Évidemment, l’article est rempli de raccourcis, mais si quelques points vous ont intrigué, jetez-vous sur « Dans les méandres de Warhammer 40,000. Sculpter la guerre », un livre analytique paru chez Third Editions et écrit par Thibaut Claudel, animateur du podcast « Land Rider » sur le sujet.
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