Twitch a l’immense pouvoir de créer des hits inattendus, voire improbables. On se souvient de l’incroyable histoire d’Among Us, devenu un classique du jeu vidéo grâce à quelques streamers populaires qui avaient mis le jeu en avant, alors que ce dernier avait été totalement ignoré pendant plus de deux ans. La leçon a été retenue, et aujourd’hui, les gros jeux soignent leur campagne de stream, se trouvent des partenaires rémunérés pour assurer une présence minimum dans les flux Twitch, YouTube, et désormais Kick (le petit poucet qui part à l’assaut).
Mais si les jeux ont besoin des streamers, dernier relai de communication des éditeurs maintenant que la presse JV a plus ou moins disparu (voir notre édito), les streamers ont aussi besoin des jeux pour avoir des choses à montrer. Ainsi, il existe maintenant un genre de jeux tout à fait particulier qui aura pour première qualité non pas ses graphismes, ni son scénario, pas non plus une certaine science du level design, mais le fait d’être « streamable », c’est-à-dire de surtout permettre à l’animateur de la chaîne de se mettre en scène.
Car un bon streamer n’est pas un bon joueur (ou pas forcément), mais est avant tout un bon animateur. Il doit occuper l’espace, être présent, donner à voir et à entendre. Et un jeu idéal pour ça est un jeu qui offre des occasions de « faire le show ». Typiquement, des « moments Sardoche » : quand ce dernier se met à hurler, et à casser son bureau de rage, il est repris dans d’autres vidéos, devient un mème… et soigne une certaine forme de popularité !
On peut trouver ça navrant, mais comme dit l’adage, « de la mauvaise publicité reste de la publicité » (en fait, ce n’est pas vraiment l’adage qui dit ça, mais l’écrivain irlandais Brendan Behan, à qui l’on doit la citation : « There’s no such thing as bad publicity except your own obituary » – ça n’existe pas, la mauvaise publicité, si ce n’est votre propre nécrologie).
Ainsi, aux côtés des grosses machines indubitablement pensées pour le streaming, comme Fall Guys, on a vu récemment éclore des phénomènes propres à Twitch et aux plateformes de diffusion de contenu. Des jeux très populaires sur ces canaux de diffusion, mais absents à la fois des classements des chiffres de ventes ou des colonnes plus classiques de la presse jeu vidéo.
Il y a quelques mois, le jeu Poppy Playtime était particulièrement populaire sur les plateformes de diffusion de contenu. Si, peu consommateur de Twitch et autres, vous ne le connaissez pas, vous en connaissez probablement la mascotte, cette peluche bleue aux dents acérées qu’on voyait sur tous les marchés. Le jeu et son positionnement « horreur », inspiré de Five Nights at Freddy’s, permettait aux animateurs de feindre la terreur en surjouant, et de hurler exagérément lors des jumpscares qui ne manquaient pas d’arriver, le tout pour espérer avoir leur « moment Sardoche », et le pic de popularité qui va avec.
Le mois dernier, c’est Amanda The Adventurer qui s’est illustré. Là encore, un obscur jeu d’horreur, pas particulièrement bon, pas particulièrement beau (au contraire), mais qui permet de renouveler son contenu et ses miniatures YouTube surjouées. Comme dans Poppy Playtime, on mélange le mignon et l’effrayant, comme dans Poppy Playtime, il y est question de VHS dérangeantes à découvrir. Et là encore, le jeu sera l’opportunité d’en faire des tonnes devant la caméra pour divertir son public. Le jeu n’est plus au centre du stream, mais devient un accessoire qui permet le spectacle.
Les tendances sont fugaces et le renouvellement permanent. Le jeu du moment met l’horreur de côté, mais ne change pas le fond pour autant. Phénomène Twitch de ces derniers jours (à l’heure où nous écrivons ces lignes, il a 50% de spectateurs en plus que le AAA du moment Final Fantasy XVI, par exemple, et tutoie le champion Fortnite, avec un nombre de spectateurs au coude à coude…), Only Up! est un jeu d’adresse et d’exploration, sorte de Doodle Jump boosté aux graphismes de consoles de salon (et qui par ailleurs, promeut aussi les NFTs). Le but est d’escalader les niveaux en montant toujours plus haut, au risque qu’un saut mal calculé vous fasse retomber au rez-de-chaussée.
Là encore, même s’il ne s’agit pas d’horreur, les occasions sont nombreuses pour les streamers de jouer le stress avant un saut, et surtout, de « rager » après une chute pour donner autant de « moments » de vidéo, et espérer générer des mèmes, comme d’autres espéraient figurer dans le « Zapping » à la télé il y a une vingtaine d’années. Encore une fois, un indice qui tend à laisser penser que ceux qui revendiquent de mettre la télé au placard ne rêvent finalement que de faire de la télé (mais c’est un sujet pour un autre édito).
La success story d’Among Us a montré comment les jeux pouvaient se servir des plateformes de streaming. Mais l’épée est à double tranchant, et on voit comme ces derniers et les streamers peuvent eux aussi tirer parti de certains titres pour créer du contenu non pas sur les jeux, mais autour d’eux, en s’en servant comme béquille ; des petits jeux éphémères, rarement vraiment réussis, car devant être vite produits, et surtout, ayant conscience qu’ils seront vite remplacés.
Et pourquoi pas ? Une opération « gagnant-gagnant », qui offre de la visibilité à des jeux mineurs dans un environnement devenu beaucoup trop concurrentiel, et qui permet aux animateurs d’assurer sans trop de mal les heures de diffusion nécessaires au maintien de leurs revenus. Rien de grave ici, on est dans la sphère du pur divertissement. Sauf si on se dit que ces mêmes streamers sont ceux à qui on a passé le témoin de la presse JV…
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