N’a-t-on pas déjà surexploité la licence Wonder Boy ? Après le remake de LizardCube et Dotemu sorti en 2017 et qui fait toujours autorité, on a connu un remake complètement dispensable du tout premier épisode (passé sous les radars d’à peu près tout le monde), et un autre remake du dernier titre de la saga, Monster World IV, qui n’a pas su s’imposer non plus.
Alors, un énième portage de ces classiques de l’ère 8 et 16 bits, était-ce vraiment une bonne idée ? Et si on vous disait que la Wonder Boy Collection donnait tout simplement une leçon d’édition à toute l’industrie ?
(Test de Wonder Boy Collection sur Switch réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Un garçon merveilleux
Wonder Boy s’engouffre en 1986 dans la brèche du jeu de plateforme, qui connaît un large essor grâce à l’inévitable Super Mario Bros., sorti l’année précédente sur Nintendo NES (Wonder Boy est lui, un produit SEGA). Reste que s’il n’est pas le premier, c’est un pionnier du genre qui a déjà digéré les mécaniques principales du platformer, mécaniques qui ont toujours cours presque quarante ans plus tard : sauts, armes évolutives à récupérer, plateformes mouvantes, ennemis au comportement varié, véhicules pilotables temporairement… Une richesse de gameplay qui en fait un classique de l’époque.
Un gameplay riche, mais aussi exigeant. Et qui fera voir d’un autre œil les Dark Souls et autres Bloodborne, porte-étendards de la difficulté moderne, auxquels les jeux des années 80 n’auront rien à envier, et en feront même rager plus d’un. Rappelons qu’à l’époque, il n’y avait pas de feu de camp, et qu’un Game Over signifiait tout bonnement de tout reprendre depuis le début.
Heureusement, cette Wonder Boy Collection sait qu’elle s’adresse à des joueurs d’aujourd’hui, et propose une touche de rembobinage arrière particulièrement pratique, située sur la gâchette gauche. Un saut manqué de peu, ou une « boulette » qu’on n’aura pas su éviter ? Il suffira de presser la touche L2 quelques secondes pour voir le temps s’écouler en arrière, et reprendre avant l’erreur comme si de rien n’était. Et ce, autant de fois que nécessaire.
Alors bien sûr, l’usage de cet outil nuit grandement à la difficulté du titre, et à sa durée de vie. Mais rien n’oblige à l’utiliser, et surtout, l’intérêt de la cartouche est ailleurs…
Éditeur : Alors regarde, regarde un peu…
Nous utilisions le terme de masterclass dans notre titre. Non pas que nous ayons cédé à la mode des expressions les plus usitées sur Twitter et autres (comme les « banger », son contraire « claqué au sol », ou les vocables partis trop tôt : « bae » ou « swag »…), mais parce que c’est ce que représente la compilation : une leçon d’édition. La Wonder Boy Collection a d’abord un intérêt culturel, historique. C’est l’équivalent en jeu vidéo de ce que représente un volume de La Pléiade pour la littérature (serait-il temps de lancer les éditions vidéoludiques de La Playade ?), c’est-à-dire une édition définitive et augmentée.
En critique littéraire, il existe une discipline dite de « critique génétique », qui étudie les textes à la lumière de leurs différentes versions, depuis les premiers manuscrits raturés, annotés, corrigés, jusqu’au texte finalement publié. C’est exactement ce que nous propose de faire cette compilation, avec, pour chacun des jeux présents, la possibilité d’y jouer dans ses différentes éditions : en version arcade, et dans ses différents portages sur les consoles de l’époque. Ce sont au final six jeux différents proposés dans plus de vingt versions !
Chacun des jeux est également présenté avec un petit texte le remettant dans son contexte, et possède un sous-menu bourré de documents : des croquis de travail, des décors, les notices d’origine sur différentes machines, les fiches d’instructions des bornes d’arcade ou encore des flyers publicitaires… Une vraie somme documentaire qui devrait être la norme dans ce genre d’édition.
Please touch the artwork
Au milieu de cette médiathèque trône tout de même des jeux. Cependant, on ne critiquera pas la compilation à l’aune des qualités vidéoludiques de chaque titre. LizardCube nous avait déjà montré à quel point Wonder Boy III restait jouable aujourd’hui, tout comme les acquéreurs de la Mega Drive 2 Mini ont pu se régaler avec Monster World IV, même en 2023.
On ne parcourra pas forcément chacun des titres avec l’envie de les traverser du début à la fin (quoique…), mais peut-être par petites touches, pour comprendre aussi l’évolution de la saga et, à travers elle, l’évolution du jeu vidéo.
On voit, en passant du premier épisode à Monster Lair (Wonder Boy II), puis à Monster World, comment les éléments de RPG sont ajoutés progressivement, un élément après l’autre, et comment la linéarité du gameplay est cassée petit à petit. Il est frappant, en retouchant un peu à tous les épisodes, de voir à quel point les jeux Shantae doivent tout à la saga Wonder Boy !
On classe les aventures de la demie génie comme des Metroidvania, mais on comprend à la lumière de cette compilation combien ce sont en fait des Wonder Boy-like, aussi bien en termes de gameplay que d’identité graphique. L’influence de la saga est donc encore bien vivace !
Wonder Boy est aussi probablement la première saga, avant même Final Fantasy, dont les épisodes numérotés ne reprennent ni le personnage, ni l’histoire, du jeu précédent. À tel point que la saga finira même par être rebaptisée Monster World, le dernier épisode ne mettant pas en scène un Wonder Boy, mais une Wonder Girl !
On n’achètera pas Wonder Boy comme une simple compilation. Les jeux restent certes tout à fait jouables, et même encore très fun, mais ce n’est qu’un aspect de la collection. Le véritable intérêt réside dans l’œil d’historien qu’on portera sur l’ensemble de la saga, et sur tous les à-côtés que contient cette édition définitive.
Une évolution de tout un pan du jeu vidéo qu’on (re)découvre et ne réalise réellement que manette en main. C’est aussi ce qui est ici précieux. Le discours que peut porter un tel objet ne sera vraiment intelligible que dans sa forme vidéoludique, plutôt que, par exemple, dans les pages d’un livre.
Le remake de Wonder Boy III: The Dragon’s Trap par LizardCube nous avait montré à quoi devait ressembler un bon remake ; cette Wonder Boy Collection devrait maintenant servir de modèle pour toute réédition de classiques du jeu vidéo.