Davey Wreden est un nom important du jeu vidéo, même s’il reste relativement discret aux yeux du grand public. Game designer et développeur de renom, il est à l’origine de The Stanley Parable et The Beginner’s Guide, deux œuvres qui explorent des thématiques liées directement au game design et à la narration interactive. Après ces succès, il a cofondé Ivy Road, un studio qui, soutenu par Annapurna Interactive, a enfin livré son premier jeu : Wanderstop.
Mais alors, Wanderstop s’inscrit-il dans la lignée expérimentale des œuvres précédentes de Wreden, cherchant à repousser les limites de la narration interactive ? Ou bien Ivy Road a-t-il opté pour une approche plus conventionnelle en surfant sur la vague du cozy game, un genre devenu omniprésent ces dernières années ? Tentons de répondre à ces questions.
(Test du jeu Wanderstop effectué sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Chill out dude…
Alta, une combattante hors pair, enchaîne les victoires… jusqu’à ce que tout bascule : après une série d’échecs, elle choisit de partir dans les montagnes pour trouver Maître Winters qui saura l’entraîner à la dure.
L’aventure commence lorsqu’elle s’effondre d’épuisement en traversant une forêt, aux abords d’un petit salon de thé nommé Wanderstop. C’est là qu’elle fait la rencontre de Boro, un personnage immédiatement attachant qui l’accompagnera tout au long de son périple. Manifestement, lui seul est capable de soulever l’épée qu’Alta elle même n’a plus la force de tenir.
Sous son œil d’expert, on apprend à préparer le thé de A à Z : planter des graines, arroser les plantes, infuser les feuilles… Mais l’enseignement de Boro ne s’arrête pas là. Il tente aussi de nous transmettre, à nous joueurs, une leçon essentielle : parfois, il faut savoir s’accorder une pause pour mieux affronter les épreuves à venir.
Wanderfull
Avec sa patte graphique douce et sa musique contemplative composée par C418 (l’artiste allemand à l’origine de la bande originale de Minecraft) , Wanderstop nous invite au vagabondage et nous encourage à nous accorder un moment de répit. Le jeu d’Ivy Road se contente d’être beau et poétique, et c’est bien tout ce qu’on lui demande.
Si le processus de préparation du thé peut sembler répétitif au premier abord, il se révèle étonnamment varié dans son approche. Deux schémas de plantation, deux types de graines… et déjà quatre variétés de thé à expérimenter, que l’on peut ensuite agrémenter avec les ingrédients offerts par les clients. Bien sûr, au fil de la partie, les possibilités s’élargissent, avec de nouvelles graines et de nouvelles combinaisons à découvrir. L’interface de l’inventaire, elle, peut s’avérer questionnable: se rater dans le choix de l’objet peut s’avérer frustrant tant les animations sont longues (comptez 1,5 secondes environ).
Mais Wanderstop ne se limite pas à la préparation des boissons. Les clients ne sont pas de simples commandes à honorer ni de vulgaires chiffres sur une liste. Ce sont des personnes, avec leurs histoires, leurs émotions et leurs petits travers.
Chaque personnage est écrit avec une plume qui force la sympathie. Qu’ils soient un peu ridicules ou timides, désagréables ou admiratifs, ils restent toujours profondément attachants. On apprend à les connaître, à anticiper leurs envies, à voir évoluer leurs interactions. Et c’est là que réside une autre force du jeu : créer du lien avec très peu. Les dialogues, bien que courts, sont d’une efficacité redoutable. En quelques lignes, ils permettent d’identifier immédiatement la personnalité de chaque client. C’est d’autant plus marquant lorsque, au fil des visites, ces personnages évoluent sous nos yeux.
Certains s’ouvrent peu à peu, d’autres révèlent des facettes inattendues, et l’on se surprend à attendre leur retour, à espérer en apprendre un peu plus sur eux. Wanderstop ne cherche pas à inonder le joueur de texte, il préfère miser sur la subtilité et la justesse des interactions, ce qui rend l’attachement encore plus naturel.
I wander how, I wander why…
Tous les clients n’ont pas forcément envie d’un thé, et c’est souvent une invitation à s’occuper autrement : balayer le jardin, couper les mauvaises herbes, partir en promenade pour cueillir des champignons, prendre des photos, ou même… simplement s’accorder un instant de répit en préparant une tasse pour soi.
Là où Wanderstop brille véritablement, c’est dans son approche du game design, parfaitement alignée avec son propos. Ici, aucune pression ni sanction : le thé non utilisé n’est pas gâché, il nourrit l’arbre central qui s’orne d’une nouvelle fleur. Les mauvaises herbes laissées à l’abandon n’étoufferont pas vos plantations. Et si un client attend trop longtemps ? Rien de grave, il patientera sans vous en tenir rigueur.
Ce sont des choix de design marqués qui font même écho au comportement du personnage principal. Alta, en quête de perfectionnisme et de productivité, se heurte à une réalité déstabilisante : aucune des tâches qui lui sont confiées ne représente un véritable challenge.
Cette approche est une véritable déclaration d’intention de la part d’Ivy Road. Wanderstop ne cherche pas à récompenser l’effort ou l’acharnement, mais plutôt à boire un thé. Chaque nouvelle saveur de thé consommée devient une opportunité d’en apprendre plus sur Alta, de partager un instant suspendu avec elle, presque comme une conversation entre le joueur et le personnage. C’est un moment de connexion rare, une pause sincère.
Design, design, design
Là où d’autres jeux encouragent la complétion à travers des défis ou des récompenses, Wanderstop prend le contrepied total en rendant obsolète toute logique d’accumulation. Le hub, censé être un espace personnel et familier, se réinitialise régulièrement, effaçant presque tout ce que le joueur pourrait considérer comme des « acquis ».
Même la liste des succès Steam va dans ce sens : aucun défi à relever, aucun objectif précis à atteindre. Les succès s’obtiennent passivement, simplement en jouant, ou plutôt, en existant dans cet espace. C’est un choix de design radical, qui force à lâcher prise et à accepter que parfois, avancer ne signifie pas forcément accomplir.
Tout encourage le joueur à prendre son temps, à s’écouter, à souffler. Rien n’est obligatoire, et aucune action ne reçoit de retour négatif. Vous êtes là pour vous reposer, vous et Alta. Si le message peut sembler relativement bateau et niais, il résonne fort avec tout ceux qui travaillent en indépendance, ou qui peinent à combattre un burn out naissant. En nous plongeant directement dans la peau d’une combattante elle même à bout de souffle, on se surprend à jouer un rôle.
Le cozy game est un genre souvent associé à la détente, mais rares sont les jeux qui traduisent réellement cette philosophie dans leur design même. Wanderstop, lui, le fait avec une justesse remarquable. Nous en attendions beaucoup d’un jeu estampillé Davey Wreden et, par extension, Ivy Road. Mais nous avons reçu tellement plus.
Wanderstop dépasse le simple cadre du cozy game pour proposer une expérience plus nuancée et plus profonde, portée par un game design en totale adéquation avec son propos. Loin d’être une simple simulation de salon de thé, le jeu interroge notre rapport au repos, au lâcher-prise et à l’acceptation de soi, avec une subtilité qui le distingue de ses pairs.