Il y a près de huit ans, un certain Sam Prebble alias Wadaholic réalisait seul un petit exploit : créer Total Chaos sur le moteur GZDoom. Ce mod n’était pas seulement ambitieux : il redéfinissait littéralement les limites techniques du moteur, au point de sembler impossible sur sa base d’origine. Total Chaos proposait un gameplay centré sur le corps-à-corps avec des armes improvisées, un usage très restreint des armes à feu ainsi qu’un système de fabrication, de faim, de soif et de santé physique et mentale. L’atmosphère sombre était portée par un level design astucieux : GZDoom ne gérant pas le saut, il a fallu contourner cette contrainte pour concevoir des environnements cohérents et variés.
Le 20 novembre 2025, lors du Xbox Partner Preview, Tigger Happy Interactive annonce et sort par surprise, un remake sous Unity (et non pas Unreal Engine 5 comme prévu initialement). Cette nouvelle version ajoute trois niveaux supplémentaires, un scénario enrichi, un système de craft plus abouti et une bande-son remaniée, à laquelle Akira Yamaoka, compositeur de Silent Hill, a contribué. Ces améliorations d’un matériau déjà excellent font de Total Chaos, l’un des meilleurs jeu de l’année de l’année dans le genre, rien que ça.
(Test de Total Chaos réalisé sur PC à partir d’une version commerciale)
Ah ! Vous êtes enfin réveillé
Total Chaos nous ramène en avril 1972, dans la peau d’un garde-côte envoyé vers l’île minière isolée de Fort Oasis après un signal de détresse. Une voix inconnue filtre à travers un talkie-walkie et décrit la situation… avant qu’une tempête ne vous projette violemment contre le récif. À peine remis sur vos jambes, le jeu vous plonge dans une atmosphère suffocante, évoquant Condemned : Criminal Origins pour son combat rapproché brutal, ainsi que Silent Hill ou Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth pour son esthétique froide, presque monochrome et malsaine.
On commence sans rien, puis l’on tombe rapidement sur une pioche : première arme, premier outil. Elle sert à briser des caisses, récupérer des ressources et assimiler un système de fabrication étonnamment sobre. Le crafting ne s’embarrasse pas d’assemblages labyrinthiques : il se montre accessible, lisible, soutenu par une interface limpide. En revanche, l’inventaire impose ses conditions : trop chargé, on ralentit, un handicap fatal sachant que les duels se font majoritairement en combat rapprochés.
Les affrontements sont rapides et nerveux. Le protagoniste peut esquiver, bloquer ou parer, et même si l’on a parfois l’impression que notre personnage flotte, les échanges de coups ont du poids. L’ensemble reste lisible : on comprend les intentions de l’ennemi, on répond en conséquence… jusqu’à ce que le nombre fasse basculer l’équilibre. Total Chaos multiplie ensuite les configurations d’affrontements ; ce n’est pas le bestiaire qui varie, mais la manière dont il s’impose, et cette variation suffit à maintenir la tension. On regrettera cependant le manque de différences visuelles d’un ennemi à l’autre et des animations relativement sommaires ; une limite technique qui contraste avec une esthétique volontairement dépouillée, laquelle, sert parfaitement l’ambiance oppressante du jeu.
La définition de la folie
Fort heureusement, Total Chaos se rattrape largement grâce à une vraie diversité d’environnements. Comme évoqué plus tôt, l’absence de saut dans le mod d’origine a obligé Sam Prebble à concevoir ses niveaux autrement, et on réalise vite que cette contrainte ne limite en rien la verticalité. Le jeu invite constamment à observer, contourner, comprendre l’espace plutôt que simplement le traverser. Fort Oasis devient alors un enchevêtrement intelligent de couloirs, de passerelles et de zones enfouies dont on fini par comprendre la logique tant le level design se révèle organique et cohérent.
Les documents collectés au fil de la progression et certaines indications visuelles parfois discrètes, parfois un peu trop évidentes, guident l’avancée sans jamais la verrouiller. Total Chaos récompense l’exploration avec une certaine générosité, que ce soit via des accès à des zones cachées, des ressources précieuses, ou l’obtention d’armes à feu rarissimes dont la puissance compense la rareté des munitions. L’île regorge également de raccourcis et de salles secrètes. Certains ne demandent qu’une simple observation ou une énigme assez simple pour s’ouvrir ; d’autres sont verrouillées par une mécanique bien plus spécifique et astucieuse. Sans en dire d’avantage, justifie pleinement le risque pris lorsqu’on la déclenche et incarne parfaitement la manière dont Total Chaos transforme une curiosité malsaine en véritable récompense.
Il faut également souligner le formidable travail de l’équipe audio, qui a doté Total Chaos d’une bande-son discrète, mais absolument terrifiante, capable de vous donner la chair de poule à plusieurs reprises tant elle se marie parfaitement avec les visuels. Les bruits industriels mêlés aux râles ennemis et aux murmures des différents personnages renforcent constamment ce sentiment de solitude et cette tentation de céder à la folie pour en finir une fois pour toutes avec le calvaire vécu par notre garde-côte.
Enfin, sachez que si Total Chaos distille son scénario par petites couches et qu’il s’avère globalement très intéressant à suivre, il faudra vouloir s’accrocher pour en saisir les subtilités. La narration se montre parfois cryptique et le jeu n’étant disponible qu’en anglais avec des sous-titres parfois difficilement lisibles, comprendre pleinement les enjeux demandera un effort supplémentaire. Pourtant, il aborde des thématiques fortes et ouvre de nombreuses interprétations quant aux événements ayant conduit à la chute de Fort Oasis.
Total Chaos est le fruit d’un travail titanesque, réalisé à l’origine par une seule personne qui a parfaitement compris et retranscrit ce que l’on attend d’un survival-horror traditionnel. Certes, quelques défauts subsistent, notamment un manque d’ambition dans les animations ou dans la variété visuelle des ennemis et l’empêchent d’atteindre l’excellence absolue. En revanche, ses qualités sont incontestables : elles témoignent d’une compréhension fine de ce qui rend les jeux dont il s’inspire si mémorables. Son gameplay brutal, sa bande-son glaçante et la manière dont les développeurs font monter la tension tout en instillant des moments de vulnérabilité — sans abuser du jumpscare — construisent une expérience durablement marquante. Au terme de l’aventure, on repose la manette pour reprendre son souffle, après cette descente dans l’enfer de Fort Oasis. Une véritable chute psychologique, qui remémore parfois, les sensations procurées par Silent Hill 2.


