The Last Case of Benedict Fox faisait partie de ces titres pas forcément des plus ambitieux, mais qui avaient su taper dans l’œil de nombreux joueurs lors de sa révélation pendant un événement Xbox. Les premières images de platformer 2D se sont ensuite parées de promesses de combats exigeants « à la Souls » lors des premières vidéos de gameplay partagées par le studio.
Aujourd’hui disponible sur PC et consoles Microsoft, le jeu a la double responsabilité d’assumer les attentes des joueurs à qui il avait fait envie via ses vidéos, mais aussi d’assurer le renouveau du catalogue du Game Pass, voire de lui servir de bouée de sauvetage en cette période où la grosse sortie Redfall semble décevoir. Mais Benedict Fox aura-t-il les épaules suffisantes ?
(Test de The Last Case of Benedict Fox réalisée sur Xbox Series X via une copie commerciale du jeu)
Faux Semblants
The Last Case of Benedict Fox commence par un tutoriel de combat, qui laisserait presque penser à une sorte de Souls-like en 2D, avec l’importance de l’esquive et de la parade, et une jauge qui se charge au fur et à mesure des coups au corps-à-corps, permettant de tirer avec une arme dévastatrice. Un tuto qui se prolonge avec une première phase de jeu aux airs de runner, durant laquelle on fonce droit devant sans se retourner, évitant les balles qui sifflent et éliminant les ennemis qui se dressent sur notre chemin. Runner et inspiration FromSoft, tous ce que le jeu ne sera pas une fois la partie vraiment commencée !
Car étonnamment, le titre nous prendra à revers dès cette introduction achevée. Si finalement, la dimension Souls-like sous-entendue par les premières vidéos de gameplay n’est qu’à peine effleurée (oui, il y a un bouton parade… Est-ce que cela suffit à faire la comparaison avec les jeux de Myazaki ?), le jeu est surtout l’exact inverse d’un runner, puisque c’est un un Metroidvania pur jus (de cervelle), où l’on fera des allers-retours incessants sur une carte tortueuse, pour ne pas dire torturée.
Cadavre exquis
Est-ce que le fait que le jeu se présente sous une forme pour en revêtir immédiatement une autre est une forme de manipulation mentale ? Si oui, c’est alors une excellente mise en place, puisque c’est exactement ce dont il sera question tout au long de l’aventure : jouer avec les esprits.
Jouer avec les esprits des morts, d’abord, puisque l’aventure se passe essentiellement dans le subconscients des victimes de ce Last Case of Benedict Fox, le dernier dossier de notre héros enquêteur. Celui-ci n’est en effet pas tout seul dans sa tête (décidément, le motif de la psyché se répète à l’infini…), et est en permanence accompagné d’une sorte de symbiote lui conférant différents pouvoirs, dont celui de visiter les Limbes des morts. Benedict Fox plonge alors littéralement dans les cadavres pour visiter leurs esprits.
Un setting intéressant, qui permet toutes les fantaisies quant à la construction des cartes, puisque les lois de la topologie n’ont plus lieu d’être… Une excellente explication aussi des monstres à affronter : des démons intérieurs, bien entendu.
Cerbères de la porte et Maître des clés
Jouer avec les esprits des morts, donc, mais aussi ceux des vivants, ceux des joueurs. Dans la grande tradition du Metroidvania, la carte sera truffée de zones inatteignables de prime abord. Il faudra progresser dans l’aventure pour pouvoir progresser dans la carte. Les clés qui nous seront alors fournies au fur et à mesure ne seront pas exactement des clés au sens de celles qui tournent dans une serrure, mais des clés permettant de déjouer des codes.
Il faudra régulièrement venir à bout d’énigmes pour franchir certains obstacles, des énigmes dont on a trouvé l’équilibre simplement parfait. Si certaines sont un peu (trop) évidentes, d’autres sont suffisamment retorses pour nous faire nous triturer les méninges, mais suffisamment accessibles pour qu’on puisse finir par trouver les réponses, avec, dans ce cas, un vrai sentiment de satisfaction. On regrettera cependant que les différentes natures d’énigmes ou de blocages sur la carte ne soient pas clairement identifiées. Ainsi, à chaque fois qu’on met la main sur un nouvel outil, si on imagine rapidement à quoi il pourra servir, on n’a aucun moyen de retrouver les endroits où se dressait tel ou tel obstacle.
L’ensemble des zones non-visitées ainsi que celles inaccessibles parce que derrière une porte fermée, un obstacle… sont toutes identifiées de la même manière : d’un point d’interrogation. Et la carte ne permet pas les annotations in-game. Ainsi, à chaque nouvelle possibilité qui s’offre à nous, on est bon pour ré-explorer encore et encore toutes les zones marquées d’un « ? » jusqu’à retomber sur celle qu’on peut désormais ouvrir.
Autre inconvénient : le brouillard de guerre disparaît sur la carte de façon assez large autour des zones déjà visitées… Dégageant parfois de petites zones où l’on n’est pas passé, mais qui renferment un objet nécessaire pour la progression. Et encore une fois, cela nous oblige à visiter, revisiter, et re-re-visiter la carte encore et encore. Certes, c’est l’une des composantes de base du Metroidvania, mais Horace disait « Ne charge pas tes épaules d’un fardeau qui excède tes forces » (in « Les Epîtres »), ou autrement dit : « y a des limites ! ».
Et le temps t’accule
Néanmoins, en dehors de ces phases où l’on se retrouvera bloqué, l’exploration de la carte est un vrai plaisir. Véritable personnage principal de l’aventure, elle est aussi tortueuse que l’esprit qu’elle représente est torturé. Si une tonalité plutôt poisseuse s’en dégage de façon générale, les environnements sont variés, et dans une certaine mesure « jolis ».
Les progrès se font par à-coups, avec des phases d’exploration un peu rébarbatives, durant lesquels on tourne un peu en rond, et des phases de déblocage, où d’énormes pans de la carte se découvrent. Une carte qui se révèle à chaque fois bien plus grande que l’on se l’était imaginée. Il faut d’ailleurs relever l’ampleur du jeu, certes, loin d’être « record », mais relativement étonnante au vu du tarif très resserré qui est affiché (un peu moins de 25€ sur Steam, quand la norme est désormais à 70, voire 80€).
Une ampleur scénaristique, aussi, qui se révèlera petit à petit. Commençant sur le ton d’un vieux film d’aventure, l’histoire deviendra de plus en plus grave au fur et à mesure des avancées de l’enquête. Et comme la carte, le scénario est un peu noueux les premières heures, peut-être compliqué à suivre, mais se déroule habilement, se révélant peu à peu.
Une carte qui sera à elle seule une compilation des motifs chers au cœur d’Howard Phillips Lovecraft et de son cercle proche : monstres gigantesques dormant dans les profondeurs, abominations au service des ténèbres, tentacules menaçants, demeures recelant de sombres secrets, cultes morbides et mystérieux… Il ne faudrait pas trop de travail pour transformer The Last Case of Benedict Fox en campagne pour l’Appel de Cthulhu, le jeu de rôle. L’aventure se déroule de plus dans la période historique typique du jdr : l’entre-deux-guerres.
On aperçoit aussi un clin d’œil assez franc à Edgar Allan Poe dès le démarrage du jeu, et le thème de l’encre est présent en permanence tout au long de l’aventure, étant entre autres le fuel des « super pouvoirs » du héros ; l’encre, celle qui permet de raconter des histoires, celle qui fixe les tatouages sur le corps comme autant d’épisodes de notre vie , mais aussi phonétiquement, l’ancre, celle qui retient les fantômes dans les lieux qu’ils hantent…
The Last Case of Benedict Fox ne fera pas l’unanimité. Il nous a parfois (souvent) frustré, sa carte est aussi fascinante à explorer qu’elle est parfois illisible. Le jeu ne nous prend pas par la main, ce qui nous oblige à tâtonner, à se perdre, et à beaucoup tourner en rond.
Cependant, il réserve aussi son lot de bonnes surprises, à commencer par les énigmes savamment dosées, mais aussi sa D.A. lovecraftienne réussie, ou son scénario qui s’enfonce dans des thématiques plus sombres et graves que le scénario de film bis qu’on s’imaginait au départ. Et au final, on aimera s’y perdre la bonne douzaine d’heures qu’exige l’aventure pour être bouclée (une durée qui pourra facilement grimper pour le peu qu’on se tourne en rond un peu plus longtemps que la moyenne…).