Dire que Starfield était attendu relève de l’euphémisme. Depuis le 6 septembre 2023, date de sortie du jeu, tous les regards sont braqués sur lui. Bientôt une semaine après sa sortie, les critiques acerbes et les discours apologétiques finissent de noyer tous les repères et plus personne n’arrive à répondre à ces simples questions : Starfield est-il un bon jeu ? Est-ce que Bethesda a relevé le défi spatial ?
On ne s’étendra pas plus sur ce que représente le titre pour son studio et a fortiori pour Microsoft, suffisamment d’encre a coulé sur ce point. Le jeu restait néanmoins une exposition de l’état de santé du studio et beaucoup attendaient le jeu comme un vecteur traduisant la direction artistique du studio.
Nouvelle licence, il est aussi une prise de risque et une bouffée d’air pur pour les développeurs qui doivent certainement déjà fourbir leurs armes pour un certain The Elder Scrolls 6. Si les ventes du jeu rassurent (l’écosystème Microsoft avec son Game Pass rend les données moins viables), Starfield cristallise néanmoins certaines frustrations.
(Test de Starfield réalisée sur PC à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
De parsecs en parsecs
L’espace. Comment retranscrire un univers infini dans un cadre lui bien limité comme le jeu vidéo ? Pour cela, Starfield n’y va pas avec le dos de la cuillère : mille planètes à explorer avec des biomes différents, une gravité plus ou moins permissive et un environnement plus ou moins hostile avec une faune dangereuse et/ou un soleil trop ardent.
Très bien. Sauf que tout cela, c’était les promesses de Bethesda, alors qu’en est-il réellement ? Force est de constater que l’univers est très (trop ?) étendu. Toutes les planètes ne seront certainement pas explorées par les joueurs les plus pressés de finir la quête principale, mais Starfield a le mérite de délivrer une aire de jeu extrêmement vaste, comme promis.
Toutefois, Bethesda semble confondre générosité et remplissage. Les planètes ne possèdent pas de saveurs particulières et s’avèrent pour la plupart extrêmement vides et similaires.
Là où le bât blesse, donc, c’est dans le remplissage de ces planètes. En effet, même s’il s’agit de l’une des signatures du studio, les réutilisations de modèles et de structures (on rappelle ici que les mondes ouverts sont des jeux extrêmement coûteux et réutiliser des éléments permet de faire des économies de développement) sont très visibles d’une planète à l’autre.
Si une grotte dans Skyrim pouvait fortement en rappeler une autre, on gardait en tête qu’il s’agissait de la même région de l’univers, ici, l’argument (déjà généreux) tient moins bien la route. Pire, certaines planètes ne contiennent qu’un ou deux points d’intérêt, et les parcourir suscite très vite l’ennui, ennui aggravé par l’absence de véhicule à la manière d’un Mako à la Mass Effect.
Toutefois, même si ces moments pesants semblent parfois interminables, on est agréablement surpris de voir et bientôt d’entendre un vaisseau se poser au loin, la magie de la science-fiction émergeant pendant quelques brèves secondes et il ne nous reste alors plus qu’à prendre courage pour aller voir de quoi il retourne.
Si quelques moments épars font briller l’expérience de jeu, la carte de ce RPG vient irrémédiablement la ternir. La carte de Starfield apparaît comme une bonne transposition de ce que pourrait être une carte de l' »univers », mais on ne peut que s’interroger sur sa capacité à permettre au joueur une navigation sereine. À moins de retenir le nom du système, arriver ensuite à le situer, pour ensuite trouver la planète, qui ici pourrait retrouver facilement New Atlantis ?
Là où votre rédacteur pointe déjà mentalement du doigt Blancherive sur la carte de Bordeciel, il s’interroge encore sur l’emplacement exact de la ville de Néon. Quel système, quelle planète déjà ? En restant tout à fait honnête, il est évidemment beaucoup plus complexe de faire une navigation simple dans un univers aussi gigantesque que celui de Starfield, mais pour nous, la carte de Starfield montre le plus gros souci du jeu, à savoir l’interface.
Quand l’exploration spatiale devient plutôt une exploration de menu et qu’aucune sensation de voyage, aucun sentiment de grandeur n’est véhiculé par les différentes téléportations (toujours via menu), le jeu échoue totalement à faire prendre conscience des échelles de distance.
Houston, we have a problem
Là où Starfield nous a profondément déçus, donc, c’est au niveau de son interface. Si l’on retrouve bien cet affichage circulaire, à l’image de la montre léguée en début de jeu, l’interface des menus est peu intuitive, pour ne pas dire poussive. Les sous-menus à l’intérieur des menus perdent facilement le joueur au début d’aventure.
Même si les menus lourds et volontairement coupés du temps réel de l’action sont une signature de Bethesda, l’austérité de ceux-ci frappe. Sans s’attarder sur cette facette du jeu, l’interface du jeu est à son image : elle est datée.
Starfield est un jeu plus que moyen en 2023. Il apparaît comme déraciné de sa génération. Beaucoup l’ont dit : « C’est Skyrim dans l’espace. » Les similarités avec la quête principale, le gameplay, voire le gamefeel, les ouvertures de portes qui font basculer dans d’autres instances, les dialogues, tout fait penser aux autres jeux Bethesda. En somme, jouer à Starfield, c’est un peu comme enfiler une paire de charentaises.
Mais ce confort a ses limites. À travers la proposition, on voit bien que Bethesda est bloqué entre innovation et respect de son identité. À trop regarder en arrière, le studio n’arrive qu’à proposer une mise en scène pour ses dialogues qui appartient à un autre âge (le champ/contre-champ confine au comique dans certaines situations, Hogwarts Legacy s’en sortait mieux), des combats toujours aussi peu exigeants et une dimension RPG qui s’affaisse au fur et à mesure des sorties du studio.
Pour en revenir à la comparaison avec Skyrim qui, quant à lui, encourageait une certaine curiosité, Starfield n’y réussit que trop rarement.
Si vous êtes un féru de RPG et que vous avez une marotte pour les arbres de talents, vous risquez d’être quelque peu déçu. Autant le dire tout de suite, l’équipement de votre personnage ne sera pas la source de vos fantasmes les plus fous en matière d’optimisation, puisque vous aurez droit à seulement trois pièces d’équipement (un casque, un sac et une combinaison, plus une tenue secondaire, mais quasiment anecdotique au niveau des stats).
Mais là où Starfield est intéressant du côté RPG (car il propose de la nouveauté), mais se loupe magistralement, c’est au niveau de l’arbre de talents.
Bethesda a pour coutume de faire progresser les personnages des joueurs de manière empirique, c’est-à-dire que c’est en faisant une action que vous progresserez. Si le système possède quelques failles (par exemple sauter d’une falaise de 30 mètres pour se briser les chevilles vous fait gagner un point d’athlétisme), il avait le mérite d’être original et d’être une véritable signature du studio.
Dans Starfield, Bethesda a voulu mettre à jour cela en proposant un système de points classique, gagné en montant de niveau, qui, une fois dépensé, enclenche une mission où l’on retrouve cette dimension empirique de progression. Bien que cette idée aurait pu être très bien reçue, lesdites missions sont extrêmement répétitives et peu intéressantes (pour franchir le deuxième palier de la compétence Fusil par exemple, il aura fallu tuer 10 ennemis avec un fusil, et il faudra en tuer 100 pour le dernier palier).
Il aurait pu être très facile de varier les missions qui, rappelons-le, bloquent les perks (vous devez faire votre mission pour débloquer la possibilité de dépenser un point de compétence, ce qui est source de frustration et, par extension, plutôt dommage pour un jeu sandbox), mais Bethesda a clairement manqué d’inspiration sur ce coup et s’apparente de plus en plus à un RPG vieillot qui tire toujours plus sur une corde au bord de la rupture.
De l’esthétique au vide intersidéral
Starfield n’est pourtant pas dénué d’intérêt. On l’a dit, quelques fulgurances font fonctionner l’imagination : des quêtes annexes bien écrites qui donnent une impression d’univers organique, des planètes à l’atmosphère réussie, des découvertes pendant les fastidieuses sessions d’exploration qui donnent espoir, un système d’avant-poste engageant…
Mais toutes ces promesses se retrouvent bien souvent balayées par un inventaire insupportable, des combats en boucle dans un bestiaire très minimaliste (on combattra principalement des pirates de l’espace), un système de loot archaïque et un manque de dynamisme flagrant.
Si Starfield semble être avant tout une mise à jour graphique d’un énième jeu Bethesda, il souligne encore plus maladroitement le vide derrière la proposition du studio américain. Les thématiques du scénario sont pauvres (on parle ici de la quête principale) et relèvent de l’esbroufe si vous avez déjà vu Interstellar (2014) et quelques épisodes de Rick & Morty, et pire, si vous avez déjà lu du Liu Cixin ou du Charles Wilson, vous rirez jaune.
On sait bien évidemment que la cible de Bethesda est, et a toujours été, le joueur casual. Il n’empêche que proposer un jeu de cette envergure avec un scénario si convenu et si peu inspirant surprend. D’aucuns parleront du NG+ et de son twist magistral. Il est apparu à nos yeux comme une pirouette scénaristique même s’il justifie narrativement le recommencement perpétuel du jeu. Malin, mais pas d’envergure.
Un jeu dans l’espace avec (presque) aucune race extraterrestre, pourquoi pas ? Mais proposer un univers aux allures très étasuniennes montre le peu d’inspiration là encore et peut-être aussi le nombrilisme du studio (il est toujours, encore en 2023, aussi compliqué de bind un clavier français sur un jeu Bethesda).
Quand une des factions sont les Marines et l’autre les Rangers, lorsque l’on visite une planète Terre désolée et qu’il s’agit avant tout de voir les vestiges de la NASA, on comprend que Starfield n’embrasse que légèrement l’ambition de tout récit SF : la création d’un univers original. Quelques facilités très convenues inquiétaient pourtant dès le début de l’aventure : vous êtes l’élu, vous obtenez un vaisseau sans rien avoir demandé, bref, les rails étaient posés.
Libre à vous cependant, comme toujours, de passer cette quête principale assez fastidieuse et de vous fixer vos propres objectifs.
Il est douloureux pour votre fidèle rédacteur, bercé par les jeux Bethesda depuis son enfance, de ne plus avoir envie de passer de temps dans l’espace après 40 heures de jeu, mais c’est ainsi. On déplore que Starfield sera certainement retenu pour son chiffre ronflant de 1 000 planètes et son enjeu marketing plus que pour sa proposition artistique et la renaissance ratée d’un studio qui se fait vieux.
On se questionne déjà beaucoup sur l’avenir du jeu et les possibles DLC à venir. Est-ce que la communauté de moddeurs pourra « réparer » ces planètes vides, etc. En tout cas, il est clair que Bethesda éprouve de réelles difficultés à se réinventer et que des éléments de plus en plus datés font littéralement tache sur un jeu de 2023. Starfield n’est pas un mauvais jeu, mais il n’est clairement pas à la hauteur des attentes.
Si 2023 est une année où beaucoup de licences cultes reviennent, on constate que peu d’attentes sont assouvies. La créativité serait-elle touchée par les sommes astronomiques injectées désormais dans l’industrie ? Un fan serait-il toujours plus susceptible d’acheter même si on l’avertit de la très possible déception ? Autant de questions qui n’ont jamais autant été d’actualité.
On regarde toutefois l’horizon avec dépit : oui, les moddeurs ont meublé le jeu. Oui, les nombreuses mises à jour ont sublimé le jeu. Oui, l’édition anniversaire dans 10 ans avec de nouvelles features serait intéressante… Mais souhaite-t-on cet avenir au jeu vidéo ?