Somerville est le premier jeu du studio Jumpship, mais on ne l’attendait pas comme un premier jeu. En effet, à l’origine du studio et du projet, on retrouve d’abord une idée originale de Chris Olsen, très vite rejoint par Dino Patti, fondateur du studio Playdead à qui l’on doit les classiques Limbo et Inside. Si Playdead est au travail de son prochain titre, rien n’est sorti du studio depuis… 2016 ! Somerville porte ainsi un peu malgré lui tous les espoirs des fans du studio danois. De quoi presque garantir le déception de ces derniers. Et la nôtre ?
(Test de Somerville réalisée sur Xbox Series X via une copie commerciale du jeu)
Le dernier d’entre nous
C’est une soirée en famille, dans le canapé devant la télé. Le confort rassurant du quotidien, qui sera troublé par un événement inimaginable, forçant la famille à tenter de fuir en urgence. Mais à peine démarrée, la voiture sera détruite par une explosion… Les premières minutes du jeu nous rappelleront fortement The Last of Us. À cela près que Somerville ne sera pas envahie par les zombies (enfin, les Infectés !), mais par les extraterrestres.
Ce ne sera pas la seule référence que le jeu contiendra : une scène reproduira exactement celle de Another World, quand il faut traverser à rebours l’écran au pas de course, pourchassé par la bête du jeu, avant d’être sauvé de justesse par le personnage armé qui sera notre compagnon pour un temps. Une référence qui n’est pas gratuite, puisque Somerville s’inscrit dans un genre bien particulier, dont on considère qu’Another World est le fondateur, le cinematic platformer.
Ainsi, Somerville va exactement là où on l’attend, puisque c’est aussi dans ce genre que s’est illustré Playdead, l’ancien studio de Dino Patti, qui co-signe le jeu. Et comme Limbo ou Inside, le jeu est une longue fuite en avant, ponctuée de puzzles environnementaux. Et comme ses aînés, c’est un jeu sombre, muet, et très élégant.
Dans cinematic platformer, il y a cinéma
La mise en scène est l’une des réussites du jeu : c’est très, très beau. Les jeux de lumière et les plans parfaitement cadrés donnent presque une impression de photoréalisme au jeu, pourtant réalisé dans un style proche du low-poly.
Dès les premières images, on entre dans l’aventure par le prisme du cinéma hollywoodien. Plan d’ouverture classique du cinéma américain, on suit, depuis une caméra en hauteur, une voiture qui sinue dans les routes bordées de forêts d’Amérique du nord (où il existe un Somerville, une petite commune du Massachusetts). On n’est pas à Twin Peaks, mais on y pense. On y repensera d’ailleurs plus tard dans l’aventure quand le scénario deviendra plus cryptique, sa lecture rendue plus difficile encore par l’absence totale de dialogue.
C’est aussi là que le jeu pèche. La première partie, soit les deux tiers du jeu environ, est assez générique. Le héros progresse en ligne droite en résolvant des puzzles environnementaux selon une formule désormais classique. Cependant, une fois sa traversée en solitaire terminée, on voit apparaître des soucis dans l’écriture.
Par exemple, un événement pourtant hautement tragique et qu’on préfèrera ne pas révéler ici est traité en quelques secondes seulement, immédiatement recouvert par d’autres péripéties. Et les dernières dizaines de minutes, malgré un twist habile, à un moment, qui fera son effet, tirent du côté des trips S-F hallucinés des années 70, dans un style presque grand-guignol. La conclusion tranche ainsi un peu trop, et un peu trop vite, avec les premières heures de jeu.
Black album
Et ce ne sera pas les seuls reproches que l’on pourra faire au jeu. On peut passer sur quelques bugs, essentiellement esthétiques (notamment une collision mal gérée quand la maman tient son fils dans ses bras) qui ne gâchent pas exactement le gameplay, mais qu’on regrette vu la mise en scène jusque-là très soignée.
Si le scénario est illisible sur la fin, ce qui est affiché à l’écran peut l’être aussi ! Le jeu est sombre, dans les thèmes qu’il aborde, mais aussi, au premier degré, dans sa colorimétrie. Et si on a pu rester bloqués quelques minutes devant certaines énigmes, c’est surtout parce que des objets à l’écran pouvaient être cachés dans leur propre obscurité. Somerville fait partie de ces jeux que le Game Pass rend accessibles sur téléphone mobile via le cloud gaming, mais c’est une expérience qu’on ne recommande absolument pas. Certains détails clés deviennent alors quasiment invisibles.
On regrettera aussi que les décors soient aussi banals. Le camp occupé par des tentes nous a laissé à un moment croire que le jeu pourrait nous dire quelque chose via une sorte de narration environnementale : les humains réfugiés sur leur propre planète… Mais cet espoir fut vite rabroué après qu’on a enchaîné les niveaux génériques au possible, tels des bois, une mine… De même qu’une grande partie du jeu se déroule à contresens d’un jeu habituel, le héros progresse ainsi souvent de la droite vers la gauche. On a cru, là encore, que cela serait signifiant, mais il semble que non (ou alors, on est passé à côté).
De façon générale, on sort déçu de Somerville. Parce que le jeu doit assumer à son corps défendant un certain héritage des jeux cultes signés Playdead. Mais pas seulement : l’élégance de sa mise en scène, ses références solides, et les pistes qu’il lance, sans hélas jamais les développer, sont autant d’éléments qui nous font y croire, au début.
La conclusion un peu rapide entre Matrix et trip sous LSD ne tiendra aucun compte des enjeux qui semblaient porter l’aventure quand on la lance, et nous laisse plutôt le goût amer d’un titre que ses auteurs n’ont pas su finir. L’interprétation ouverte de Limbo, et de sa fin, était l’une des qualités du jeu. L’écriture cryptique de la fin de Somerville joue, au contraire, contre lui.