Annoncé dans la surprise la plus totale lors du State of Play de Sony en janvier 2024, Silent Hill: The Short Message est une expérience horrifique de deux heures découpées en trois chapitres exclusive à la PlayStation 5 (pour le moment ?) et entièrement gratuite. Développée par le studio Hexa Drive pour Konami, c’est à la fois un joli cadeau pour les vingt-cinq ans de la saga, et une curiosité qui nous pousse à nous questionner sur la façon dont est pensée la licence par Konami depuis le fiasco Silent Hills de Hideo Kojima.
The Short Message porte bien son nom et entend nous interroger sur ce que nous aimerions voir d’un futur épisode Silent Hill inédit. Une chose est sûre : Kojima a laissé une marque indélébile sur la licence.
(Test de Silent Hill: The Short Message réalisé à partir de la version free-to-play PlayStation 5)
Le contexte
Il ne serait pas intelligent de notre part de vous dévoiler tous les tenants et aboutissants du scénario de Silent Hill: The Short Message. Déjà parce que le gros de l’expérience proposé est lié intrinsèquement à l’histoire qui nous est narrée : de la symbolique des lieux visités aux événements mêmes que l’on vit, tout est connecté au scénario et ses enjeux. On ne peut tout simplement comprendre le jeu si l’on ne prête pas une attention toute particulière à ce qui nous est dit et montré, la narration visuelle étant une composante très importante de l’aventure.
Anita, l’héroïne, se retrouve prisonnière d’un vieil immeuble délabré dans lequel elle devait retrouver l’une de ses amies, Maya. Prise au piège dans une boucle temporelle qui la ramène sans arrêt dans ce lieu durant les trois chapitres que dure le périple, elle va devoir affronter ses propres démons pour se sortir de ce mauvais pas et comprendre ce que l’on attend d’elle.
Plus ou moins guidée par Maya et Amélie via des messages qu’elle échange avec ces dernières sur son smartphone, elle sera confrontée à des vérités qu’elle refuse d’accepter sur son passé et sur les conséquences de ses actes.
On retrouve ici des thématiques fortes de différents jeux de la saga au travers d’Anita. La rédemption, la culpabilité ou encore le pardon sont donc au cœur de l’expérience, mais pas seulement, puisque à cela vient se greffer toute une pensée sur différentes problématiques sociétales comme le harcèlement scolaire ou sur les réseaux, la maltraitance infantile, et même la dépression et le suicide. Des sujets forts qui font écho aux meilleurs épisodes de la licence, sans pour autant en atteindre le quart de la maestria d’écriture.
Le message
Hexa Drive a donc un message de sensibilisation à faire passer, et ce en à peine deux heures. Chose importante, d’autant plus que les sujets traités ou ne serait-ce qu’évoqués sont sensibles et souvent cachés le plus possible par une société qui mise sur les apparences pour s’enorgueillir de ses réussites et ainsi masquer ses échecs.
En temps normal, développer de telles thématiques avec toute la complexité que cela comporte est à la fois très osé et très risqué, et il ne suffit pas de parler de quelque chose pour rendre le propos pertinent et c’est là tout le problème de The Short Message.
Certaines séquences entièrement tournées vers la narration fonctionnent. C’est notamment le cas concernant toute la partie visuelle du récit, mêlant habilement narration par l’environnement et cinématiques, avec parfois même des cut-scenes live action. Toutes les notes et les journaux que l’on trouve sont aussi particulièrement intéressants, avec même une explication de ce qui est appelé le « phénomène Silent Hill » qui est une bonne allégorie de ce que représente la ville symboliquement.
Reste que tout ceci s’embourbe à cause d’une contrainte de temps qui ne laisse pas suffisamment d’amplitude aux développeurs pour étayer convenablement leur propos sur les différents traumatismes soulevés, laissant un arrière-goût assez amer en bouche. D’autre part, on regrette aussi que certains dialogues soient eux noyés dans un torrent de niaiseries qui tranchent singulièrement avec la gravité de ton de l’expérience.
Aussi, par pitié, il serait temps d’arrêter avec la narration absurde qui consiste en notre personnage qui se tape des monologues on ne sait trop pourquoi dès qu’elle voit un objet intéressant ou qu’une porte s’ouvre sur quelque chose d’inattendu. Cela brise totalement l’immersion et l’ambiance, qui en plus sont des grosses satisfactions de The Short Message, tout comme sa direction artistique qui ne souffre d’aucune fausse note et qui est bien accompagnée par une bande sonore digne de la licence. Par contre, techniquement, il va falloir revoir les modèles de personnages, parce que les animations faciales sont d’un autre temps.
Néanmoins, modérons un peu. Car il est clair que de véritables recherches ont été effectuées par les équipes d’Hexa Drive sur les violences morales et physiques, ainsi que leurs implications psychiques. Des choses creusées presque essentiellement via des journaux que l’on trouve ici et là et qui nous aident à reconstituer une histoire de base assez obscure.
Les personnages, surtout Anita, sont aussi plus complexes qu’il n’y paraît et notre protagoniste est même fascinée par son amie Maya au point de développer une jalousie maladive envers elle qui est accentuée par ses traumatismes d’enfance. Tout ceci est fort prenant, il manque juste la qualité narrative qui va avec et le temps pour bien développer tout cela.
La boucle
Silent Hill: The Short Message ne fait pas peur. Son ambition est ailleurs, et si certaines petites choses peuvent faire sursauter ici et là, voire mettre la pression, il est bien plus proche d’un Silent Hill 2 que du troisième épisode par exemple. Il entend déstabiliser psychologiquement son audience via son histoire, mais aussi son décorum complexe et évolutif. Néanmoins, et comme déjà mentionné, seule une partie de ce pari est réussie, tant le scénario nous a semblé un brin expéditif, voire surfait par moment.
On revit une sorte de boucle nous propulsant au début de chaque chapitre dans le même immeuble qui, au contraire de P.T., sait évoluer de manière plus exponentielle, nous envoyant parfois dans des lieux autres. Le level design est assez bien senti et proche des labyrinthes de couloirs que nous a déjà proposés à maintes reprises la licence dans le passé. En cela, Hexa Drive a su prendre le meilleur de l’essai de Kojima, capturer l’essence de ce que fait Silent Hill dans les lieux clos, et nous proposer une exploration à la fois dérangeante et intrigante.
Cependant, tout ceci montre très vite ses limites. Tout d’abord, le gameplay est proche du néant. On ne peut ni se défendre, ni courir lorsqu’on le souhaite, ni interagir avec notre environnement lorsque cela n’est pas dicté par les scripts. Si bien que l’on a l’impression tout du long d’être spectateur et non acteur, ce qui crée un décalage malvenu entre nous et l’héroïne que l’on incarne. On ne se sent jamais réellement impliqué de ce fait et cela participe au détachement que l’on peut ressentir vis-à-vis des sujets soulevés par le jeu.
Il y a bien, pour clore chaque chapitre, des séquences de courses-poursuites avec une entité cauchemardesque (hommage plus que visible à P.T., encore une fois) dans des labyrinthes visuellement glauques et grotesques, semblant parfois même vivants, mais qui là encore souffrent d’une mécanique de jeu trop basique pour captiver pleinement.
Heureusement alors que la séquence finale vaut le coup, car elle nous plonge dans un enfer proche de l’other world de Silent Hill. Quant à ce que l’on y fait, c’est-à-dire devoir récolter des objets pour s’ouvrir un passage tout en courant à toute berzingue, ce n’est malheureusement pas très intéressant.
Finalement, si partir de P.T. n’est pas une mauvaise idée en soi, après tout nombre de walking simulators horrifiques font le café, on ressent tout de même que le passage de Kojima a laissé des traces. La démo du créateur de Metal Gear était à but uniquement expérimental, et là, ce n’est pas forcément le cas, ou pas uniquement le cas.
Puisque Hexa Drive a voulu voir plus loin, en proposant une véritable histoire au fond aussi noir qu’une nuit sans lune, on était alors forcément en droit d’en attendre un peu plus qu’un simple ersatz sous testostérone d’un concept maintes fois réutilisé par d’autres depuis, et pas souvent avec réussite en plus. Silent Hill vaut mieux que ça.
Inutile d’en dire plus, Silent Hill: The Short Message n’est ni réussi, ni raté. Il est ce qu’il est, une expérience de deux heures plutôt sympathique qui tente maladroitement des choses. Est-ce décevant ? Oui et non. Car si l’on ne voit cela que comme un cadeau pour les fans afin de fêter les vingt-cinq ans de la licence, pourquoi pas. Mais si l’on voit ça comme ce que pourrait être un futur jeu complet de cette même saga, alors on dit « non merci ».
Reste de bonnes idées de level design, quelques séquences assez folles artistiquement, une histoire qui ose soulever des questions sensibles et surtout une ambiance vraiment réussie. Mais ce n’est pas suffisant pour en faire autre chose que ce qu’il est, c’est-à-dire une simple expérience gratuite qui ravira les fans, sans pour autant marquer les esprits. On attend maintenant de voir ce que vont donner le remake de Silent Hill 2 et Silent Hill F, car après Ascension et ce que l’on juge ici, on est un peu inquiet.
Il serait temps que Konami tourne la page Kojima et Silent Hills définitivement, car selon nous, l’éditeur souffre d’un syndrome post-traumatique sur ce sujet, ne sachant que faire vraiment de sa licence et à qui la confier. La bonne direction n’est clairement pas celle proposée par The Short Message, car ce concept, en l’état, étiré sur une dizaine d’heures serait juste malvenu, trop limité et soporifique.