Commencer un jeu estampillé FromSoftware est toujours une épreuve. Dès l’écran titre, on sait pertinemment que l’on va souffrir, que l’on va rager, parfois même sombrer dans le désespoir et hurler quelques insultes insignifiantes mais curatives. On sait que le jeu va nous malmener pendant des heures, mettant nos réflexes et notre patience dans leurs derniers retranchements, et que la mort deviendra durant cette période de bras de fer virtuel votre compagnon le plus proche.
On sait tout cela, et pourtant, l’impatience et l’excitation demeurent. Car commencer un titre FromSoftware est surtout la promesse d’une expérience forte et indélébile dans notre parcours de joueur. C’est donc avec un subtil mélange d’appréhension et de joie que nos mains se posent délicatement sur le fourreau Sekiro. Annoncé pour la première fois en 2017, le jeu est décrit comme une suite spirituelle à la saga de ninjas Tenchu (tu nous manques…), également développé par FromSoftware. En réalité, et on le constate dès les premières images du jeu, Sekiro: Shadows Die Twice s’apparente bien plus à un Dark Souls ou à un Bloodborne.
Depuis dix ans (on rappelle que Demon’s Souls est sorti en 2009 au Japon), FromSoftware est en pleine ascension, pavant sa carrière de succès. Sekiro constitue-t-il la dernière pierre à cet étrange édifice, à cette porte propulsant les joueurs dans un sombre monde où la mort est jeu ? On tentera de répondre à cette question.
Encore une histoire de sang
Sekiro: Shadows Die Twice nous plonge dans l’ère Sengoku, époque qui s’étend du milieu du quinzième siècle à la fin du seizième au Japon (également utilisée dans Onimusha: Warlords). Marquées par les conflits de clans et par des guerres sanglantes, ces années de tourmente dans un pays en proie au chaos semblent être le terreau idéal pour édifier un scénario mi-réaliste mi-fantastique dont seul FromSoftware a le secret.
En effet, marque de fabrique du studio, ses scénarios se veulent alambiqués et ne se saisissent pas à la première lecture. Il faudra creuser, analyser et fouiller pour les comprendre pleinement. Sekiro ne respecte pas cette règle. L’histoire se veut bien plus transparente et se défile naturellement au fil des combats. Alors oui, on pourra toujours creuser davantage mais le fil scénaristique principal pourra être compris seulement à travers les dialogues et les cinématiques.
Seuls les joueurs assidus iront jusqu’à lire les descriptifs d’objet à la recherche d’informations complémentaires. Autre règle FromSoftware brisée, nous incarnons un personnage prédéfini, le jeu ne propose pas d’éditeur de personnage à la Dark Souls ou Bloodborne (donc pas de choix de classe et donc de manière d’approcher le titre). Et il parle !
On y incarne Loup, un shinobi ramassé enfant sur le champ de bataille et qui a juré fidélité à l’héritier divin Kuro dont coule dans ses veines le pouvoir de résurrection. Dans sa quête de pouvoir, le seigneur Genichirô Ashina va tenter d’acquérir ce pouvoir d’immortalité tant convoité en récupérant le sang du jeune maître, mais c’est sans compter sur la loyauté de son serviteur. Eh oui, vous l’aurez compris, nous avons encore affaire à une histoire de sang maudit attisant bien des sombres convoitises (en référence à Bloodborne). Doté de plusieurs fins différentes, le scénario de Sekiro est efficace sans briller d’originalité et d’ambitions. Ce dernier manque de profondeur comparé à ses prédécesseurs, mais peut-être est-ce là une volonté d’ouvrir les titres du studio à un plus large public ? Pas sûr quand on s’intéresse à son gameplay.
Une patience à toute épreuve
Oui, Sekiro: Shadows Die Twice est très difficile. Oui, vous allez mourir un nombre incalculable de fois tant son gameplay est exigeant et que le moindre faux pas est fatal. Et non, le titre n’est pas injuste, seule votre dextérité fera pencher la balance de la faucheuse en votre faveur. Pour cela, il faudra observer, apprendre et s’entraîner encore et encore. Vous pouvez oublier votre barre de vie (ou pas) car la plupart des ennemis peuvent vous tuer en un coup. Ici, tout se joue avec la barre d’endurance. Cette dernière sert à attaquer, esquiver et à contrer les attaques ennemies. Tout l’intérêt de Sekiro réside dans les contres. Point fort absolu du jeu, il faudra répondre à un timing presque parfait pour contrer convenablement les assauts.
Comprenez bien, il existe deux sortes de contre. Pour la première, il suffit d’appuyer bêtement sur le bouton de bloque en attendant le mouvement de adversaire, vous allez contrer mais perdre pas mal d’endurance et sans toucher à la barre de l’ennemi. La seconde (et la plus importante) consiste à appuyer au bon moment sur ce bouton, amenuisant les dommages sur votre endurance et endommageant celle de l’adversaire. Une fois la barre d’endurance de l’ennemi consumée, il sera à votre merci et vous pourrez alors lui infliger un coup mortel. Il en est de même pour vous.
Mais les contres ne se limitent pas à un bouton. Oui, ça se complique. Il existe trois types d’attaque : les basiques, les frontales et les balayées. Vous l’aurez deviné, pour les basiques, le bouton mentionné plus haut suffit pour contrer. Pour les attaques frontales, il faudra esquiver vers l’avant. Quant aux coups balayés, il faudra obligatoirement sauter pour les esquiver. Et c’est ce jonglage permanent entre ces mouvements qui fait toute la force de Sekiro: Shadows Die Twice. Ajouté à cela, le fait de devoir apprendre les patterns (mouvements) des ennemis, anticiper leur palette d’attaques, et vous avez là toute la quintessence du studio FromSoftware qui nous pond un jeu au gameplay quasi parfait (oui quasi, nous y reviendrons un peu plus tard).
Amputé d’un bras lors d’un duel (spoiler, ça tourne mal), notre héros remplace son membre perdu pour une prothèse spéciale qui lui permet diverses attaques augmentant drastiquement les possibilités au combat. Ainsi, il pourra utiliser hache, lance ou même lance-flamme. Il ne tient qu’à vous de trouver votre manière de jouer (sachant que vous pouvez transporter trois armes à la fois). Mais ne vous faites pas trop d’illusion, le sabre reste et restera votre meilleur allié tout au long de l’aventure. Surtout que les coups issus de la prothèse sont limités.
Bien sûr, vous pourrez utiliser des objets pour récupérer votre énergie ou pour vous avantager pour un combat un peu trop coriace. Mais consommer un onguent (ou tout autre objet) en plein combat se mérite. En abaissant votre garde, l’adversaire (essentiellement les boss) en profiteront pour vous attaquer. Il faudra donc attendre le bon moment pour sortir votre casse-croûte. Sekiro ne donne aucun répit et demande une patience à toute épreuve, pour notre plus grand plaisir.
Malheureusement, et nous nous devons de le préciser, la caméra peut très vite devenir une plaie. Effectivement, dans les lieux confinés, celle-ci s’emballe et bloque notre vision. On perd le fil du combat, l’adversaire en profite pour nous achever. Et on criera à plusieurs reprises (et à juste titre) injustice. Le seul point noir technique majeur du jeu.
Sekiro, digne de l’empire Souls ?
Comme son nom l’indique, Sekiro: Shadows Die Twice permet de mourir plusieurs fois. Loup possède le pouvoir de résurrection (mais pas à l’infini !). Et même si d’apparence, on peut se dire que le jeu sera plus facile étant donné que l’on peut mourir et ressusciter (parfois même plusieurs fois en fonction de votre avancée), il n’en est rien. Surtout qu’une vraie mort divise par deux votre or et votre expérience, sans la possibilité de les récupérer. Eh oui, la vie est dure. On peut revenir à la vie une fois (avec une moitié de barre de vie) mais une défaite totale est doublement punitive pour le joueur.
Autre divergence avec la saga Souls : la notion d’expérience. Dans Sekiro, l’expérience sert uniquement à acquérir de nouvelles techniques ou compétences passives. Comme par exemple, que les objets de soin vous redonnent plus de vie. Pour augmenter vos caractéristiques de personnage, il faudra vaincre les boss et explorer les lieux pour dénicher des perles de bracelets. Une fois quatre perles récupérées, vous pourrez augmenter votre barre de vie et d’endurance. Un procédé fort intéressant qui force le joueur à prendre le temps d’inspecter les environs, à trouver tous les secrets et à vaincre tous les ennemis.
On le mentionnait en introduction, Sekiro se veut être le digne héritier de la série Tenchu. Et il y a bien un aspect d’infiltration et d’assassinat à la ninja mais de là à le rapprocher de Tenchu, non. Surtout que l’intelligence artificielle sur cet aspect est nulle, l’ennemi est aveugle et met trop de temps à réagir. Dommage. Néanmoins, l’infiltration peut vous donner un net avantage en combat de boss, elle permet de vider directement une barre de vie (les boss en ont parfois deux ou trois).
Parlons bien, parlons boss. En plus de profiter d’un bestiaire fourni et varié, Sekiro: Shadows Die Twice dispose de boss charismatiques promettant bon nombre d’affrontements épiques. Certains diront qu’il y en a trop, mais tout le gameplay du jeu ne se révèle pleinement qu’à ces combats de haute voltige, donc, il n’y en a jamais assez ! Comptez environ 40 heures pour terminer une première fois le jeu, avec une belle expérience de rejouabilité.
Sekiro: Shadows Die Twice est bien un digne héritier des Souls bien qu’il emprunte un chemin différent. Là où le parallèle entre Dark Souls et Bloodborne était plus qu’évident, celui avec Sekiro l’est moins. Scénario limpide, gameplay frénétique basé sur la barre d’endurance, le jeu dispose de pas mal de divergences avec ses aînés, mais il n’a rien à rougir. Sekiro est une expérience forte qui marquera les joueurs par son exigence et son univers de japon féodal (moins pour son scénario).
À la question « faut-il revoir la difficulté coriace du jeu ? », nous répondons que non. Toucher à la difficulté d’un jeu FromSoftware, c’est toucher à l’essence même du jeu et à la volonté d’un studio. Mourir fait partie du périple, souffrir pour réussir est le maître adage. Gardez à l’esprit que donner la possibilité d’ajouter un mode facile détruirait tout l’intérêt du soft, sa communauté et la réputation du studio. De l’élitisme ? De l’arrogance de la part de joueur chevronné ? Non, simplement du bon sens de gens qui ont vécu un moment fort, un moment unique après des heures de défaite. La configuration actuelle effort/récompense ne doit pas être touchée. Point.