Nous sommes en 1994, l’Europe fait la connaissance d’un jeu sur Super Nintendo tout droit venu du Japon. On y parle d’épée de légende, de magie et de héros. L’aventure sur consoles acquiert alors un nouveau nom : Secret of Mana. Nul doute que Secret of Mana représente une pierre angulaire du J-RPG d’action, le titre de Square a servi d’inspiration à de nombreux projets et a activement participé à l’ouverture de l’Europe sur le marché nippon du jeu vidéo.
Il y a des jeux incontournables, des jeux qu’on élève volontiers au rang de chef-d’oeuvre. Ces jeux sont issus d’une sorte d’accord implicite, d’acte tacite entre les joueurs qui fixent le panthéon du pixel, Secret of Mana en fait naturellement partie. Ne peut se qualifier un joueur chevronné sans que sa route passe par ce titre. Alors quand Square Enix décide de reprendre sa licence pour la mettre au goût du jour, il y a de quoi se réjouir mais surtout de quoi grincer des dents tant les souvenirs avec sont radieux.
Les remakes et autres versions remastérisées ont définitivement le vent en poupe. Secret of Mana n’y échappe pas (Final Fantasy 7 va prochainement suivre, mais quel sera la prochaine victime au pays du RPG d’antan ?). L’étincelant joyau est déterré. Ce nouveau Secret of Mana a la lourde tâche de séduire les anciens admirateurs et le nouveau public peu familier avec le genre.
Voilà ce qu’on appelle une ambition de haut niveau. Alors, ce Secret of Mana version 2018, aussi bon que dans nos souvenirs ? Le grand écart est-il réussi ou le joyau est-il endommagé ? Réponses dans son test.
Nostalgie à faible effet
Reprenons les bases avant de détailler le remake. Secret of Mana nous conte l’histoire de trois héros nommés Randi, Primm et Popoi. Par un malheureux hasard, Randi retire l’épée mana de son socle, brisant ainsi l’équilibre naturel. Le monde est au bord du gouffre, la mana est rompue. Les créatures sortent de l’ombre et attaquent les habitants. Dans ce chaos rappelant le sombre passé, une organisation tente de récupérer les graines de mana pour en tirer toute la magie nécessaire à la conquête du monde. Randi et sa troupe vont alors s’interposer et contrer leurs plans démoniaques. Et c’est tout ce qu’il y a à retenir.
Secret of Mana affiche un scénario purement manichéen sans une once de profondeur, c’est d’autant plus marquant en 2018. Mais parfois, la simplicité est synonyme d’efficacité. Secret of Mana est un J-RPG d’action, à comprendre ici que nous dirigeons des personnages en temps réel en vu de caméra du dessus. Il s’apparente aux premiers Zelda mais y intègre des notions traditionnels de jeu de rôle comme l’expérience, les niveaux d’arme ou la gestion de magie.
Outre son gameplay et son scénario, deux éléments supplémentaires ont permis l’ascension du titre dans le cœur des joueurs : la coopération en mode local (jusqu’à trois joueurs) et sa bande-son signée Hiroki Kikuta. Nous y reviendrons un peu plus tard.
Nostalgie, nous crions ton nom ! Dès les premières minutes, Secret of Mana brille de sa douce nostalgie, écho d’une époque révolue, époque où nos esprits de joueurs étaient encore inexpérimentés de toute grande aventure manette en main. Nous retrouvons nos vieux amis oubliés, une carte et un menu familiers, même les ennemis nous ont l’air sympathiques. Comme à la maison, il fait chaud, il fait bon de parcourir ces terres de couleurs, le sourire est sur nos lèvres.
Toutefois, quelque chose cloche. Et pendant une poignée de minutes, nous n’arrivons pas à mettre le doigt dessus. Pourtant tout est là, les graphismes retravaillés, les musiques réorchestrées, le gameplay inchangé, alors d’où vient cette désagréable confusion ? Pourquoi ne pouvons-nous pas simplement apprécier ce remake ?
Et c’est au bout de trois heures de jeu que la réponse tombe telle le marteau du forgeron, un dur fracas venant briser les espoirs, et même les souvenirs. Secret of Mana version 2018 est un mauvais jeu et par dessus tout un très mauvais remake. La réponse est là, juste devant nos yeux de joueurs adultes, et c’est l’enfant en nous qui pleure à chaudes larmes.
Secret of Mana est en rupture de point de mana
Alors comment en est-on arriver à ce triste constat ? Tout d’abord, Secret of Mana affiche des graphismes douteux. Le style chibi (mot japonais qui définit une petite personne, à prendre dans le sens mignonne) emprunté est loin d’être concluant. Aucun charisme n’en découle. Tout parait enfantin, à la limite du puéril. Que le titre puise dans notre enfance pour exister est une chose, mais gare à l’excès. Les temps changent, et certaines recettes ne prennent plus. Les voix niaises en sont également un parfait exemple. Les voix japonaises (au sous-titres français) surfent maladroitement avec la caricature.
Il faut savoir que des phases de dialogue inédites ont été ajoutées dans cette nouvelle édition. Mais les dialogues sont d’une pauvreté affligeante. Pas de doute, nous sommes bien au balbutiement du genre. Mais ce qui ne pardonne pas dans ce Secret of Mana, c’est la lenteur de son gameplay. Bon dieu, que c’est lent, mou et ennuyeux ! Les phases de combat sont soporifiques, et c’est sans mentionner les menus d’une praticité plus que douteuse. Alors oui, c’était déjà le cas en 1994 mais pourquoi diable les développeurs n’ont-ils pas pris le temps de repenser ces systèmes devenus obsolètes ? Il y a une différence entre remake et portage.
Ici, il est question d’amélioration, d’actualisation aux standards actuels. Secret of Mana est le fruit d’un développement paresseux sans respect de la matière originale. On copie et on colle avec un minimum d’efforts.
Mais dans ce flot de déception, deux critères nous servent de bouées de sauvetage échappant Secret of Mana du désastre. Les années passent mais une chose n’a rien perdu de son éclat. L’OST de Secret of Mana brille encore de mille feux, et sa version réorchestrée est plus que bienvenue. L’aventure nous appelle par ses plus belles mélodies. Deuxième et dernier aspect salvateur : la coopération en local.
Jouer avec un pote sur son canapé, prendre part tous ensemble à une aventure en temps réel, sont devenus choses rares de nos jours. Jouer en ligne a détrôné les soirées « réelles » entre amis, et ça manque terriblement. Quand le jeu est pensé pour de la coopération format local, les amis reviennent, la coopération, la vraie, reprend ses droits et le plaisir est toujours au rendez-vous.
On a mal. On est en colère. Square Enix a déterré l’un de ses plus beaux joyaux pour l’abîmer devant nos yeux d’enfant. Le pari n’est pas réussi, le remake de Secret of Mana est raté. Pire encore, il détériore nos souvenirs d’époque.
L’éditeur a confondu entre remake et portage et nous livre une version peu convaincante de par ses graphismes et son gameplay dépassé. Les temps changent, on s’adapte en conséquence. Oublions vite cette vaine tentative et rebasculons sur nos Super Nintendo.