Lancé en mars 2020 sur Kickstarter, le second projet de Sabotage Studio, déjà à la baguette sur l’excellent The Messenger (un hommage aux jeux d’action/plateforme 2D de l’ère 16/32 bits), a rencontré un vif succès et son financement n’a guère fait de doute avant même le lancement de la campagne (s’achevant même avec dix fois plus de fonds qu’escomptés). Les équipes du studio québécois se sont alors lancées à fond dans leur envie de matérialiser leur idée du RPG d’inspiration japonaise des années 90, piochant au passage chez les cadors du genre. Et ainsi naquit Sea of Stars, paru le 29 août dernier et disponible sans surcoût aussi bien sur le Game Pass que sur le PlayStation Plus Extra (sans oublier la Nintendo Switch et Steam).
Resté pourtant plutôt discret, au point que peu de monde en a vraiment entendu parler à quelques semaines de sa sortie, Sea of Stars est pourtant en train de rencontrer un très joli succès grâce à un bouche-à-oreille particulièrement positif, avec déjà plus de 250 000 unités vendues après une semaine seulement. D’ailleurs, spoilons légèrement notre avis d’emblée, ce succès est amplement mérité, et, au sortir de cette aventure, encore groggy par les événements vécus, on se demande encore par quelle magie Sea of Stars peut à ce point titiller les mastodontes favoris aux Game Awards.
(Test de Sea of Stars réalisée sur PS5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Une impression de déjà-vu, mais en mieux
Mettons directement les points sur les i. Sea of Stars est probablement ce qui se fait de plus beau à ce jour quand on parle de pixel art. Le niveau de détail a été ici poussé à son paroxysme. Que ce soit les décors, les personnages, les cinématiques même, tout est magnifique. Le choix des couleurs, les designs des monstres, boss ou autres protagonistes, leurs différentes mimiques, les jeux de lumière et d’ombres, rien n’a été laissé au hasard, et c’est d’ailleurs probablement la plus grande force du titre pour attirer à lui un public pas forcément féru ou habitué aux vieux RPG des nineties.
Notre relation avec Sea of Stars n’a pourtant pas été si idyllique sur les premières heures. On y découvre le hameau de Bercelune et ses habitants, dont Valere et Zale, deux enfants élus du solstice, respectivement de l’hiver (la lune) et de l’été (le soleil). La mise en place de l’univers commence à se faire, et il faut bien avouer que nous avons pu être assez déroutés par les ficelles utilisées pour mettre en scène les personnages que nous incarnerons des dizaines d’heures durant.
Du classico-classique dans les grandes lignes. Notre jeune duo intrépide, et leur fidèle ami Garl (sans doute l’un des personnages les plus mémorables de ces dernières années) iront, comme vous pouvez l’imaginer, un peu trop loin et mettront une fois de trop leur vie en danger. Ainsi commence leur formation en tant que combattants du Solstice, dont le destin est de combattre les hôtes, des créatures cauchemardesques créées par le redoutable Fleshmancer (un nom que les joueurs de The Messenger ont déjà rencontré). Destin qui sera au centre du récit et qui guidera chacun de leurs pas.
Une entrée en matière familière donc pour quiconque a touché une manette dans les années 90 ou 2000. Pourtant, passée cette longue introduction, on a commencé à se prendre au jeu, notamment grâce à une narration et une écriture remarquable. Une intensité croissante qui ne faiblira quasiment jamais et qui a réussi à nous tenir en haleine jusqu’à son dénouement, sans que nous ne voyions les heures passer. Et, disons-le tout net, si le scénario ne paie pas de mine de prime abord, celui-ci s’est finalement révélé particulièrement réussi et pas si commun que cela.
Mieux encore, rarement un titre ne nous avait fait vivre de telles émotions, nous avons ri, pleuré, exulté, hurlé. Sea of Stars est de ces jeux qui nous laissent croire qu’on va les vivre en charentaise avant de nous asséner un coup de massue émotionnel d’une incroyable intensité. Telle une drogue, une fois qu’on a goûté à cette sève, il nous est impossible de lâcher la manette, à la recherche de notre prochaine dose, et pas une seule fois notre dealer vidéoludique ne nous a fait faux bond.
Difficile de dissocier d’ailleurs une telle intensité des incroyables musiques du jeu. L’OST de Sea of Stars fait partie de ce qui se fait de mieux depuis bien des années. De la première à la dernière minute, nous nous sommes délectés d’une bande-son sans fausse note, dégageant un souffle épique irrésistible et octroyant à chacun des environnements visités une identité propre (bien qu’on reconnaisse çà et là des variations des thèmes autrefois utilisés pour leur précédente production).
On était tous les deux destinés
Lorsque l’on parle de Sea of Stars, on pourrait citer des dizaines de noms tant les inspirations ont été nombreuses. Mais si nous devions nous restreindre, notre choix se porterait sans nul doute sur Grandia, dans son déroulé narratif et son souffle épique, Super Mario RPG (dont un remaster arrive d’ailleurs le 17 novembre prochain) et Chrono Trigger, la référence des références en termes de J-RPG.
Ainsi, comme dans le jeu de rôle Mario (ou les Paper Mario, ses successeurs), nous sommes constamment impliqués dans les affrontements. En apparence, nous avons l’impression d’être face à des combats au tour par tour tout ce qu’il y a de plus traditionnel (quoique la montée en niveau soit bien plus singulière, avec un choix de statistiques parmi quatre, un peu comme dans un Roguelite). Pourtant, autant en attaque qu’en défense, il nous est primordial de rester concentré pour être en osmose avec nos personnages afin de, grâce à une pression de touche bien timée, gagner en puissance ou en résistance selon la situation, bonus essentiels pour passer les affrontements sereinement.
De plus, durant les combats, nous ne sommes jamais pris au dépourvu, le tour de l’adversaire étant clairement indiqué afin de nous permettre d’anticiper les assauts, voire de les annuler en utilisant les attaques appropriées (elles aussi indiquées au-dessus de l’ennemi et faisant un peu office de puzzle à résoudre). Une formule si simple, et pourtant redoutablement efficace et addictive, d’autant que le nombre d’affrontement est particulièrement équilibré, tout comme leur difficulté.
C’est même assez incroyable à quel point le niveau des batailles a été minutieusement calculé. À aucun moment nous n’avons eu l’impression de nous retrouver face à un mur, y compris face aux plus redoutables des boss, et pourtant, aucune bataille n’est vraiment gagnée d’avance. Bien des RPG devraient en prendre de la graine.
Toutefois, si le système de combat est d’une rare perfection, il est à noter que cet équilibre ne s’est pas fait sans heurts. En effet, et cela a probablement été notre plus grand regret, Sea of Stars est d’une linéarité qui tend vers l’absurde. On veut nous raconter une histoire, et il ne faudrait surtout pas que l’on dévie un peu trop de notre quête, certes, mais il reste dommage que chaque zone ne soit qu’un couloir déguisé, que chaque énigme ait sa solution deux mètres plus loin, que chaque puzzle ne nécessite pas plus de trois neurones fonctionnels (et encore).
Nous aurions tellement aimé un peu plus de liberté, pouvoir réellement explorer des zones un peu plus alambiquées et vastes ou résoudre des énigmes plus retorses. Mais hélas, l’aventure n’en est pas vraiment une. Nous sommes là pour suivre une histoire comme on veut qu’elle soit suivie, et tant pis si vous voulez souffler un peu (même si on peut rapidement évoquer la Roulette, un exceptionnel mini-jeu, savant équilibre entre stratégie et chance). Heureusement, tant ludiquement que scénaristiquement, le titre offre suffisamment de surprises, notamment sur sa dernière partie, pour que l’on repense à notre quête avec un doux sourire.
Valere et Zale, nos deux héros, sont bringuebalés par le fil du destin, spectateurs d’une force invisible qui décide pour eux de leur futur, de leur vie, sans qu’ils ne puissent y faire grand-chose. Ils suivent leur voie pour accomplir des prophéties. Et finalement, en tant que joueur, c’est un peu la même chose que nous avons vécue, le destin de notre partie étant immuable, déjà écrit dans la grande histoire par ces facétieux développeurs. Rien de rédhibitoire en soi, même si nous pouvons sembler un peu durs, mais c’est un choix que nous avons eu un peu de mal à accepter sur la première moitié de notre épopée.
S’il est question de savoir si Sea of Stars est le J-RPG ultime des années 90 (bien qu’il ne soit ni japonais, ni même du vingtième siècle), notre réponse tendrait très certainement vers le oui. Et pourtant, quand on y regarde de plus près, son cœur n’a rien d’exceptionnel. On y vit une épopée que nous avons déjà vécue et bataillons comme nous l’avons maintes fois fait. Alors, à quoi peut être bien due cette fantastique alchimie ?
Alors oui, sa plastique est remarquable et, surtout de nos jours où, à grands renforts d’Unreal Engine 5, on est poussé vers le photoréalisme, se faire une place dans les plus beaux jeux de l’année avec des pixels colorés n’est pas donné à tous, mais cela ne suffit pas à l’expliquer. À moins que ce ne soit les fantastiques musiques d’Eric W. Brown qui ont permis au titre de Sabotage Studio de prendre une tout autre dimension ?
Toujours est-il que le résultat est là. Sea of Stars est une pépite, un chef-d’œuvre qui est aujourd’hui l’un des mètres-étalons du RPG d’inspiration japonaise à son âge d’or. Pour peu que l’on accepte d’être pris par la main et de n’être finalement qu’un spectateur du destin des héros, le titre pourra vous faire atteindre le nirvana vidéoludique, vers ce rêve étoilé dont nous ne voulions plus nous réveiller. Jouez à Sea of Stars, vous ne le regretterez pas !