(Test de Sea of Solitude effectué via un code PC fourni par l’éditeur)
Sea of Solitude est le dernier né du projet EA Originals, une initiative d’Electronic Arts pour soutenir des studios indépendants et leurs jeux. EA promeut et distribue ainsi des titres qu’il a repérés, tout en laissant l’intégralité des bénéfices aux studios en question. Les indés profitent ainsi d’un joli coup de projecteur, et peuvent continuer à faire des jeux, tandis que le géant américain s’offre lui une belle image. Ce programme a vu naître des titres comme l’excellent platformer tout public Unravel, ou l’expérience collaborative A Way Out. Dernier né de EA Originals, Sea of Solitude est signé des studios allemands Jo-Mei. Est-il aussi intéressant que ses prédécesseurs ?
La créature noire du lagon
Inquiétant avant d’être intrigant, Sea Of Solitude s’ouvre sur le portrait en très gros plan d’une petite fille monstrueuse, à la peau d’un noir corbeau et aux yeux rouges. « Corbeau », un adjectif qui sied particulièrement à cette drôle d’héroïne, qui possède aussi ce qui ressemble à un plumage…
On rencontre cette dernière dans une petite barque de fortune, perdue au milieu des flots noyant une sorte de cité engloutie. D’ailleurs, les plus perspicaces d’entre vous auront noté que le titre, Sea Of Solitude, forme un SOS, annonçant la situation de son personnage principal. Et comme si cette situation désespérée ne suffisait pas, une créature monstrueuse du même noir profond rode autour de la barque, prête à dévorer quiconque se présenterait à portée de gosier.
On comprendra rapidement (dès le titre, si on y pense un peu), que l’environnement inamical où nous nous trouvons représente la psyché de Kay, la petite fille corbeau-monstre qu’on contrôle. La narration représentant une grande partie de l’intérêt du jeu, on ne s’étendra pas sur le sujet. Disons simplement que Kay devra surtout se faire face à elle-même, à ses propres souvenirs, à son histoire. « Comme dans Gris », vous dites-vous ? En effet.
Ça, surmoi, et caetera
Et c’est un des problèmes du jeu (et pas le seul, hélas). Cet aspect « aventure intérieure », cet univers comme une métaphore de la psychologie du personnage principal, ça fait un moment qu’on le rencontre dans le jeu vidéo. Pour citer trois ou quatre titres récents qui jouent de cela, on pourrait évoquer Gris, donc, Path To Mnemosyne, ou, plus grand public, Hellblade – Senua’s Sacrifice, et bien entendu Celeste. C’est d’ailleurs avec ce dernier que la comparaison est la plus évidente, même si les gameplay des deux titres sont à des kilomètres l’un de l’autre : quand Celeste doit gravir une montagne, Kay doit traverser un océan. On a saisi l’idée… Dommage, c’était le point central du jeu.
Côté gameplay justement, Sea Of Solitude nous propose un jeu de plateforme en 3D, en monde semi-ouvert. On alternera entre les phases maritimes, en barque (où il n’y aura pas grand-chose d’autre à faire que de rejoindre un point indiqué), et les phases terrestres. Au fur et à mesure du jeu, le niveau de l’eau va monter et descendre, en écho à la santé mentale/morale de Kay. Une bonne idée qui permet de recycler le même décor pendant plusieurs niveaux, tout en renouvelant l’expérience pour le joueur.
On l’a dit, la narration est l’argument principal du titre. Car sous des allures de jeu de plateforme, celui-ci ne présente aucune espèce de défi. Le chemin à emprunter est évident, les ennemis très peu nombreux et assez inoffensifs. Il s’agit d’ailleurs de les éviter, jamais (à une ou deux rares exception(s) près) de les vaincre. Et quand bien même si, par accident, il vous arrivait de mourir, le jeu vous renvoie aux quelques secondes précédentes. On va donc aller presque d’une traite du début à la fin de l’aventure, en 4 à 6 heures seulement. Sea Of Solitude propose tout de même quelques collectibles cachés ça et là qui peuvent allonger un tout petit peu la faible durée de vie, mais la majorité d’entre eux seront situés en plein milieu du chemin de l’aventure principale.
« Comment tu m’as fait je suis pas beau» (Alain Souchon)
Côté graphisme, on est quelques années en retard. Certes, c’est un jeu indépendant ne bénéficiant pas des moyens de Naughty Dog. Mais on a vu avec Gris (encore !) ou même tout récemment avec A Plague Tale: Innocence que même sans une débauche de moyens, on pouvait arriver à des résultats magnifiques. Sea Of Solitude use d’une direction artistique assez particulière qui devait lui permettre de dissimuler l’étroitesse de son budget, mais cela ne fonctionne pas totalement. On est sur une 3D sans texture, tout en aplats de couleurs, qui pourrait faire penser au design de Gravity Rush – le cel shading et le talent en moins. On l’a dit : on est quelques années en arrière…
Tout n’est pas raté néanmoins, et il faut saluer l’ambiance du titre, inquiétante, angoissante. Une ambiance qui tient aussi au design des monstres, lui, très réussi, réalisant de plus le tour de force de devenir « mignons » quand le scénario l’exige, sans pour autant changer leur modélisation d’un iota. Des monstres flippants, qui provoquent la peur de rater alors même qu’on sait que le jeu est très facile ! Une ambiance qui aurait pu être encore plus réussie sans la voix off, qui vient tout expliciter, tout le temps. On aurait surement apprécié un jeu qui aurait laissé plus de place à l’interprétation, à l’instar de Gris (toujours), ou de Journey.
Sea Of Solitude ne sera peut-être qu’un coup d’épée dans l’eau (!). Ambitieux dès son générique, annonçant carrément que le jeu ne saurait remplacer le conseil de professionnels (comme si…), il n’est jamais à la hauteur de ce qu’il annonce. Son design daté et le gameplay sans aucun défi ne seront jamais compensés par l’ambiance aussi réussie qu’angoissante qui se dégage du titre. Pour un jeu indé qui se veut « jeu d’auteur », Sea Of Solitude manque cruellement de proposition, et on ne peut éviter de le comparer à d’autres jeux qui tiennent le même discours symbolique, mais avec de vraies idées de gamedesign.
À 20 € pour quelques heures de jeu seulement, difficile de le conseiller. Cependant, le jeu figure au catalogue de jeu « à volonté » Origin / EA Access sur PC et Xbox One. Si vous étiez par hasard déjà abonné au service, alors il ne vous coûterait rien d’aller quand même voir Sea Of Solitude et qui sait, peut-être que vous mordrez à l’hameçon.