Mettre du Zelda: Tears of the Kingdom jusque dans les titres des critiques d’autres jeux, c’est pousser l’exploitation du hit de Nintendo un peu loin, vous dites-vous. Et ce n’est peut-être pas entièrement faux ! Cependant, ce n’est pas complètement injustifié non plus : Zelda propose une liberté totale et part dans tous les sens, tandis que Planet of Lana va, lui, tout droit, de gauche à droite ; Zelda propose une aventure qui s’étale sur une centaine d’heures, voire plus, Planet of Lana se boucle en une ou deux soirées ; Zelda se donne pour mission d’exploser les canons du genre, Planet of Lana respecte les conventions au maximum…
Il n’y a guère que dans les plaines verdoyantes que l’on traverse qu’on pourra comparer les deux jeux, qui s’opposent complètement sur tous les autres points. Mais justement, n’est-ce pas exactement ce qu’il nous faut au sortir des dizaines et dizaines d’heures que l’on a passées en Hyrule ?
(Test de Planet of Lana réalisée sur Xbox Series X via une copie commerciale du jeu)
Chic Planet
Au démarrage de Planet of Lana, ceux qui ont parcouru Somerville verront peut-être un petit lien de parenté entre les deux jeux. Outre leur présence à tous les deux « Day One » au catalogue du Game Pass, l’installation est un peu la même : on joue quelques minutes d’un quotidien heureux avant qu’un élément perturbateur ne vienne nous enlever ceux qu’on aime. Dans Planet of Lana, ce sera la grande sœur de l’héroïne, et sa seule famille, qui sera enlevée par des aliens.
Ce ne sera pas le seul point commun entre les deux jeux : comme Somerville, Planet of Lana est un cinematic platformer, genre héritier des premiers Prince of Persia ou Another World, et dont l’archétype est aujourd’hui le diptyque des studios Playdead, Limbo et Inside. Le jeu sera, comme pour la plupart des représentants du genre (ceux précédemment cités, mais aussi Little Nightmares, Stela, ou Oddworld…) une longue fuite en avant. On court vers la droite, toujours vers la droite (un peu comme le gouvernement actuel).
Notre progression sera régulièrement freinée par diverses énigmes et autres puzzles environnementaux, qui consisteront à utiliser les moyens à l’écran pour le traverser. Une organisation souvent en « tableaux », un peu rétro – on avance quasiment de la longueur d’un écran à la fois – qui vient souligner l’héritage de jeux comme Another World ou sa suite spirituelle, Flashback. D’ailleurs, nombreux seront les moments où l’on pensera à ces deux classiques du début des années 90.
Classique, Planet of Lana l’est aussi. Son déroulement, son scénario et ses énigmes ne seront pas d’une folle inventivité, mais l’ensemble se tient et se parcourt très agréablement. On pense régulièrement à d’autres jeux, comme tous ceux cités jusqu’à présent, mais aussi à d’autres œuvres : les créatures aliens évoquent celles du roman La Guerre des Mondes, d’H.G. Wells, tandis que certains tableaux et la petite créature qui accompagne l’héroïne renvoient aux studios Ghibli. Clins d’œil ou petit manque d’originalité ? On n’est pas tout à fait sûr, mais l’ensemble est très plaisant.
Lana Del Rey Tracing
Au-delà de la blague, pas de ray-tracing dans Planet of Lana, qui est un vrai jeu indépendant, réalisé par une petite équipe avec un budget modéré. Ce qui ne l’empêche pas d’être superbe. On évoquait les plaines d’Hyrule dans notre introduction, et il y a de ça, ramené au niveau d’un jeu en scrolling horizontal. Les hautes herbes vertes balancées par le vent et baignées de soleil sont un vrai plaisir à arpenter.
Les environnements sont variés, tantôt carte postale, tantôt inquiétants, parfois surprenants. La mise en scène, malgré l’unique caméra, est soignée et efficace. On évoquait plus haut les aliens auxquels on est confronté, et nous avons à dessein évité d’utiliser le terme « extra-terrestre » : une grande partie du jeu se passe en effet avec un astre géant à l’horizon qui marque immédiatement le fait que la Planet of Lana n’est pas la Terre…
L’essentiel du scénario nous est ainsi conté via une narration environnementale bien amenée, encore une fois pas toujours originale, voire un peu scolaire (les peintures rupestres, grosse ficelle narrative…), mais qui fonctionne bien. La façon dont on apprend, très rapidement, que les filles sont orphelines, par exemple, est à la fois discrète et touchante. Même constat pour la musique, qui peut être elle aussi très discrète, presque absente, et qui ne viendra s’imposer que pour souligner des phases plus angoissantes ou des niveaux où l’héroïne est en danger. Elle est signée Takeshi Furukawa, connu pour sa composition de la bande originale de The Last Guardian, avec la participation de la chanteuse Siobhan Wilson.
A short hike
Court, le jeu se boucle en trois à quatre heures, et est plus ou moins dépourvu de difficulté. Si de nombreuses énigmes viennent ralentir la progression, on ne sera jamais face à un mur. De même qu’on rencontre de nombreux ennemis, mais qu’il n’y a jamais de combat : les affrontements seront en fait de petits puzzles dont l’objectif sera de sécuriser son itinéraire.
C’est aussi en cela qu’il est un parfait rebond après Tears of the Kingdom. On imagine que les joueurs qui se sont perdus en Hyrule pendant 100 ou 120 heures n’auront pas tout de suite envie de se replonger dans une aventure fleuve. Mais même sans être passé par Zelda, la promenade vaut le détour. La question de la difficulté se pose régulièrement dans l’univers de la critique jeu vidéo. Celle de l’absence de difficulté pourrait tout autant être évoquée : on viendrait alors argumenter avec Planet of Lana, qui est un régal à parcourir bien que ne représentant aucun challenge.
Ravissement pour les yeux et les oreilles, Planet of Lana est une belle aventure à vivre, une histoire triste, mais lumineuse, une course vers l’espoir. Certes, le jeu est très scolaire, jusque dans sa narration, qui reprend très exactement la structure traditionnelle du conte telle qu’elle est enseignée aux collégiens, mais cela ne nuit pas à l’expérience. Et on préférera un jeu qui pèche un peu par son originalité, mais réussit tout le reste, qu’un jeu qui s’égare, comme cela avait pu être le cas avec la petite déception Somerville.
Sa relative facilité en fait une très belle entrée pour les jeunes joueurs ou les personnes les moins familières du média. Les joueurs les plus aguerris pourront, eux, s’amuser à identifier les très nombreuses références égrainées tout au long du périple de l’héroïne !