Quand l’industrie du jeu vidéo semble stagner entre les remasters à foison et les AAA toujours plus décevants, on sait qu’on peut toujours se tourner vers la scène indépendante pour trouver quelques pépites cachées. Phoenix Springs pourrait bien être l’un de ces jeux. Après des passages remarqués dans différents showcases et une sortie repoussée de quelques semaines, le premier titre de Calligram Studio est enfin disponible sur PC (Steam).
La bande-annonce nous avait tout de suite séduits par son parti pris esthétique fort et ses images intrigantes. Phoenix Springs promettait de dépoussiérer le point’n’click et de proposer une forme moderne du genre. Qu’en est-il réellement ?L’enquête est-elle à la hauteur des attentes ?
(Test de Phoenix Springs sur PC réalisé à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Un goût de roman noir
Iris Dormer, ancienne reporter, est à la recherche de son frère Leo. Dans le train qui va la mener à la prochaine étape de son enquête, elle se souvient du soir où Leo lui avait dit, dans un état perturbant, de ne pas se rendre à Phoenix Springs. C’est pourtant sa destination.
Commençons par ce qui saute immédiatement aux yeux dès les premières secondes du titre : le jeu est magnifique. Entre la palette de couleur très restreinte, le grain omniprésent sur l’image, les angles de caméra ou le mélange 2D et 3D, Phoenix Springs ressemble est à mi-chemin entre la bande-dessinée et le film expérimental. Calligram Studio se présente d’ailleurs comme un collectif d’artistes sur son site officiel, et on comprend aisément pourquoi quand on voit le soin apporté à l’esthétisme.
L’enquête d’Iris se déroule en deux parties : tout d’abord dans la ville sombre et poisseuse un soir de pluie, puis dans la mystérieuse oasis de Phoenix Springs. Notre protagoniste se retrouve souvent seule, isolée dans de grands espaces abandonnés, mais croisera la route de quelques personnages inquiétants au cours de nos recherches.
L’atmosphère néo-noire du jeu est donc particulièrement réussie ! Ici, point de scène d’exposition ou de lore présenté clairement. L’univers est créé plus subtilement, par petites touches, et, comme Iris, on reconstitue les pièces du puzzle. Il y a comme un parfum de dystopie totalitaire dans l’air, avec des miroirs qui servent à filmer chez vous, des livres interdits et de mystérieuses machines médicales.
Un néo-point’n’click
L’interface, dépouillée au maximum, participe aussi à ce travail sur l’atmosphère. Pas d’inventaire ou de menu à l’écran, et seulement trois interactions possibles avec l’environnement ou les personnages : regarder, parler, utiliser. La voix hypnotique d’Iris (doublée par Alex Anderson Crow) est la seule qu’on entendra tout au long de notre enquête. C’est elle qui narre ses pensées, mais aussi ce que les autres personnages lui disent.
Mais c’est surtout dans son système d’investigation que Phoenix Springs montre son originalité. Au lieu de ramasser des objets sur les différentes scènes comme dans un point’n’click classique, Iris récolte des indices qui apparaitront dans son « inventaire » sous forme de mots. Adresses, noms, événements, titres d’ouvrages… le tout présenté dans une sorte de nuage de mots, qui pourrait rappeler le tableau sur lequel un détective noterait toutes ses pistes pour les relier entre elles.
C’est exactement comme ça qu’on progresse dans l’enquête. On peut interroger les PNJ sur les éléments qu’on a en tête pour récolter de nouvelles informations, ou combiner un mot avec un élément du décor : s’il y a un lien logique, alors on pourra avancer vers le prochain indice. Le jeu nous lance aussi de fausses pistes, avec des indices inutiles qui disparaissent au fur et à mesure, mais qui peuvent aussi revenir s’ils ont finalement une importance. Un système prometteur sur le papier, mais hélas pas toujours intuitif.
Trop (sur)réaliste ?
Phoenix Springs souffre malheureusement de longueurs, surtout dans sa second partie. Le titre prend son temps et propose une expérience contemplative, et ce n’est pas un mal en soi. On pourrait même dire que tout cela participe à l’ambiance oppressante voulu par l’histoire. Mais cette lenteur confine souvent à la frustration. Iris se déplace en marchant, et pas question de changer d’écran instantanément pour aller directement où l’on veut. Ici, on attend patiemment qu’elle traverse les grands décors vides.
Les équipes ont-elles voulu étirer leur jeu artificiellement ? Entre les fausses pistes et les déplacements lents, on a parfois l’impression qu’on passe plus de temps à regarder notre personnage marcher qu’à avancer dans l’enquête. Et le sentiment de frustration est encore plus intense quand on se rend compte qu’on a oublié de connecter deux éléments à trois écrans de là, et qu’on va mettre un temps fou à y arriver.
Si la première partie du jeu nous régale avec on esthétique néo-noire, la deuxième dans l’oasis de Phoenix Springs pourra quant à elle en dérouter plus d’un. Sans dévoiler trop d’éléments de l’intrigue, disons que le jeu prend alors une tournure surréaliste pas loin du trip psychédélique et métaphysique. Les dialogues deviennent plus cryptiques, et les connexions entre les indices moins évidentes. De quoi perdre certains joueurs en cours de route.
Phoenix Springs est un mystère qui se savoure le temps d’un après-midi pluvieux comme on dévorerait un bon roman noir. Difficile de trouver quoi que ce soit à redire à l’ambiance instaurée par le jeu, qui a aussi le mérite d’essayer une idée de gameplay originale. Cependant, même si le titre est particulièrement réussi sur le plan esthétique, ses longueurs (alors qu’il peut se terminer en une paire d’heures) et son parti pris surréaliste ne feront pas l’unanimité.
Finalement, même si on vous encourage à découvrir ce jeu indépendant, on peut dire que Phoenix Springs est une proposition difficilement accessible. Notons enfin que le jeu n’a aucune traduction française à l’heure actuelle, ce qui ne facilitera pas la compréhension de ses mystères auprès d’un public non-anglophone.