Pour les 25 ans de la série Persona, Atlus nous aura gâtés avec les rééditions (tant attendues) de certains jeux d’anthologie du studio : Persona 4 Arena Ultimax tout d’abord, puis Persona 3 Portable et Persona 4 Golden. Au milieu des différentes versions de Persona 3, P3P est l’heureux élue qui aura eu le droit à son remaster, dix ans après sa sortie sur PSP (uppercut spatio-temporel dans la tronche de votre rédacteur).
À plus d’un titre, ce jeu fut un tournant pour la série spin-off de Shin Megami Tensei. À l’époque, il fut le premier Persona à avoir le droit à un portage occidental, et sa popularité et ses qualités auront su profiter à ses héritiers, dont Persona 5 aura sublimé les mécaniques. À l’instar de ces mécaniques, qui ont plus mûri que changé avec les années, le plaisir de jouer à Persona 3 aura-t-il su résister à l’épreuve du temps ?
(Test de Persona 3 Portable sur PS5, réalisée via une copie fournie par l’éditeur)
A dark dark night, in a dark dark world
Pour ceux qui ne seraient pas familiers de la série, vous incarnez dans Persona 3 Portable un adolescent fraîchement arrivé dans une ville insulaire japonaise. À peine son cursus lycéen débuté, il découvre que les autres résidents de son pensionnat, tout comme lui, ont une certaine particularité : ils restent conscients durant l’heure sombre, un moment de transition juste après minuit durant lequel des ombres monstrueuses pénètrent notre monde et attaquent l’inconscient des humains, et dont les victimes développent le « Syndrome Apathique ».
Notre avatar intègre donc le SEES (Specialized Extracurricular Execution Squad), ce nouveau groupe de compères dotés de pouvoirs surnaturels et pleinement conscients des dangers de ces ombres. Ensemble, ils se lancent dans une quête pour trouver la cause de ce mal qui ronge leur société en fouillant le Tartare, une version alternative de leur lycée dans laquelle errent les ombres.
Comme toujours dans la série Persona, les relations que vous nouerez sont au cœur du scénario, et impacteront la puissance de vos arcanes et de vos personae. Il vous faudra jongler entre votre exploration nocturne du Tartare, et les rencontres que vous pourrez faire durant vos journées pour progresser de la meilleure façon dans l’année scolaire qui vous est impartie.
Que ce soit dans son esthétique, avec ses nuances de vert et de noir, ou dans les thématiques abordées dans les tranches de vie des différents personnages, l’ambiance pesante de Persona 3 est très aboutie.
Ce sont les coulisses ténébreuses d’un monde déjà sombre qu’il nous est donné de traverser. La mort y est présente littéralement (on peut la croiser dans le Tartare), et le jeu tourne autour de l’acceptation de celle-ci. L’Evoker, ce faux pistolet que nos protagonistes portent à leur tempe pour faire apparaître leur persona, est un symbole de cette acceptation : il faut être prêt à admettre la nature éphémère de notre vie pour pouvoir en découvrir le sens profond, et en profiter pleinement.
Encore plus dans sa dernière partie (et sa sublime conclusion), Persona 3 est une invitation à vivre, à s’accrocher à l’espoir en se confrontant à l’obscurité infinie du monde. Car il n’y a que dans cette confrontation que l’on peut développer sa lumière propre.
Old Man Minato
Le jeu brille dans les thèmes qu’il aborde, mais pas dans sa réalisation. Cette réédition de Persona 3 Portable souffre de défauts notables, dont certains étaient absents de la version PSP.
Certes, l’UI est toujours léchée et efficace, mais l’upscaling n’aura pas sauvé les textures du décor, qui dénotent d’autant plus en 4K que les images des personnages sont, elles, très propres. De leur côté, les sons du jeu sont catastrophiques pour certains, saturant complètement et venant gâcher le plaisir du jeu, surtout si vous jouez au casque. Un défaut déplorable (connu des développeurs), très éloigné des standards de la série et de l’excellente bande-son du jeu.
Car la musique, de son côté, reste très réussie, et les nombreux morceaux supplémentaires de cette version justifient le choix de remasteriser P3P plutôt que FES. D’autres éléments ont probablement joué en faveur de ce choix, notamment l’impossibilité de se rappuyer sur un code datant de la PS2 et développé sous Renderware (désormais propriété d’EA), mais la traversée des différents lieux en point-and-click laisse un arrière-goût amer de décision guidée par la facilité.
Des nouveautés appréciables sont cependant à souligner : la traduction des dialogues en français tout d’abord, et également la gestion modulaire de la difficulté (expérience, issue des combats, impact des morts…). Des ajouts malheureusement très maigres pour une version PS5, là où il aurait été par exemple possible d’émuler Persona 3 FES en bonus pour satisfaire les fans.
Durant notre partie, nous avons eu ce sentiment désagréable de jouer avant tout à un jeu PSP en 4K, sans les cinématiques de la PS2 (justifiable à l’époque pour le support, mais plus aujourd’hui), et sans aucune modification des mécaniques de jeu, quand bien même des améliorations simples étaient attendues (comme le retrait de l’aspect aléatoire des capacités héritées lors des fusions de personae).
Vous ne trouverez dans cette version de Persona 3 Portable aucun ajout scénaristique, aucune modification dans les histoires – très inégales – des différents personnages secondaires, aucune réflexion sur l’aboutissement uniforme et dépassé des relations du protagoniste masculin (les « romances »), ou la misogynie latente d’un jeu datant d’il y a vingt ans.
Autrement dit, le titre n’aura nullement profité de la maturité que le studio a pu acquérir et démontrer sur ces dernières années.
Les limites de la redite
Cette version de Persona 3 Portable est ainsi le premier faux pas de la part d’Atlus, un studio dont les différentes sorties ne nous avaient pas déçus jusqu’ici, mais elle n’en reste pas moins valable pour donner un second souffle à un matériau original datant de près de vingt ans.
Toutefois, son état actuel souligne l’importance et la nécessité de retravailler les mécaniques d’un jeu, à défaut de son scénario, pour permettre d’amener un regard neuf sur un remaster.
Que l’on s’entende, Persona 3 est un excellent jeu. Mais, plus de dix ans après sa sortie sur PSP, nous étions en droit d’attendre (et d’obtenir) bien plus qu’un lissage et une traduction du jeu : un remake, plutôt qu’un remaster ; l’ajout d’un making-of, ou de vidéos de vulgarisation de la théorie des personae de Carl Jung pour mieux comprendre l’intérêt de la série ; du contenu supplémentaire, à l’image des personnages bonus, ajoutés dans les habituelles versions « complètes » des jeux ; ou plus simplement, des mécaniques s’appuyant sur les capacités des consoles et ordinateurs actuels, plutôt que sur du hardware d’une autre époque.
Persona est une série extrêmement riche, et cette réédition de Persona 3 Portable est une occasion manquée de démystifier ses différents niveaux de lecture, d’introduire plus facilement le sens profond de sa symbolique et de familiariser le joueur aux concepts jungiens sous-jacents, et surtout d’expliquer pourquoi le studio a préféré proposer cette version du jeu plutôt qu’une autre.
En l’état, le message du jeu transparaît (comme souvent dans la série) dans ses dernières heures. Étant donné la durée à rallonge de celui-ci, il aurait été tellement agréable de donner des clefs de compréhension aux joueurs pour mieux apprécier le contenu dans sa globalité, le sens derrière le jeu dès les premiers instants.
Persona 3 Portable reste ce qu’il était déjà il y a dix ans : un diamant brut. La poussière en plus.
Il est toujours bon de (re)découvrir un Persona, mais les ajouts de ce Persona 3 Portable laissent grandement à désirer. Le jeu, porteur de messages forts et d’un regard critique sur la société toujours valable, perd à ne pas avoir eu le droit à une relecture plutôt qu’une redite.
Cette version est sans conteste la plus accessible du jeu original, à défaut d’être la meilleure, et il faudra s’en contenter pour le moment.