Le succès à la fois critique et commercial de NieR: Automata a valu à Yoko Taro, créateur de la licence, le statut d’auteur culte. Après des débuts difficiles, l’univers posthumain de NieR est désormais une franchise déclinée à toutes les sauces, ses personnages apparaissent dans d’autres jeux, et on ne compte plus les ouvrages, artbooks et romans consacrés à 2B et consort.
Nouvelle itération de la marque, NieR Reincarnation (stylisé NieR Re[in]carnation) marque l’arrivée de NieR sur mobile. Si nos téléphones ont aujourd’hui largement les capacités pour proposer de véritables expériences gaming, c’est son économie qui inquiète. NieR Reincarnation ayant choisi de s’inscrire dans le genre du gacha, on avait peur que le jeu ne soit pas à la hauteur de sa franchise…
(Test de NieR Reincarnation réalisé via la version bêta du jeu)
Souve-NieR
Si, en faisant des efforts, on peut établir une chronologie des jeux NieR et les relier à notre propre univers, dans NieR Reincarnation, on est un peu hors de l’espace et du temps. Le jeu commence alors qu’une petite fille se réveille dans « La Cage », une structure de pierres gigantesque et labyrinthique. Elle semble ne savoir ni qui elle est, ni où elle est, ni pourquoi.
Heureusement, elle pourra compter sur Mama, un petit fantôme typique, qui pourrait s’être échappé de Pac-Man, à cela près qu’il possède deux tentacules dépassant de dessous son linceul. Ce dernier sera là pour guider la jeune héroïne et lui donner les informations essentielles sur La Cage.
Assez rapidement, on comprend que la mission de cette jeune héroïne sera de « restaurer des souvenirs », ou tout au moins de libérer des âmes en peine de leurs regrets. Enigmatique et mélancolique, l’univers est bien celui d’un NieR !
Les souvenirs en question représentent le cœur du gameplay. Il s’agit d’histoires plus ou moins courtes, racontées en 2D à la Michel Ocelot, certaines (les premières en tout cas) liées les unes aux autres, et qui mènent à des combats permettant de résoudre ces courts scénarios. Bien vu, ce système de petites nouvelles est particulièrement adapté au jeu mobile, et permet de courtes sessions de jeu.
Des histoires d’androïdes qui se découvrent des sentiments, de créatures mi-hommes, mi-machines… Des choses auxquelles les habitués de la saga s’attendent, et à ce niveau, NieR Reincarnation s’inscrit bien dans la franchise. C’est d’ailleurs là que se trouve le problème.
There is no game
Malgré les apparences, « ceci n’est pas une pipe » peignait Magritte. On aurait pu sous-titrer cet épisode de NieR « ceci n’est pas un jeu ». Si, comme on l’a vu, le scénario reste fidèle à la saga, côté gameplay, malheureusement, on est loin de la maestria d’Automata.
Œuvre incroyablement riche, NieR: Automata interroge la place du joueur, le sens du gameplay et la signification du genre en jeu vidéo (genre au sens type de jeu – shmup, beat’em up, RPG, etc. – et pas « gender studies »). Si NieR Reincarnation donne dans cet exercice, c’est avec beaucoup de sarcasmes.
En effet, le gameplay est tout simplement absent. Il n’y a rien à faire. Du tout. La Cage s’explore en ligne droite, façon couloir, et comme le joueur n’a aucune espèce de poids sur le déroulement de la partie, il y a un bouton « auto » qui permet au personnage de se déplacer tout seul.
Le joueur devient alors spectateur, niant la fonction interactive du jeu vidéo. Faut-il y lire une critique des jeux couloirs ? On aimerait bien, mais on n’y croit pas tellement, même si après tout, NieR peut aussi se lire [nje], comme le verbe signifiant «affirmer que quelque chose n’existe pas ». En l’occurrence ici, le jeu en tant qu’activité.
Les combats, eux aussi, se déroulent de façon autonome. Tout juste le joueur peut-il décider du moment d’envoyer les coups spéciaux, qui ont un temps de charge. En gros, avant de démarrer une histoire, qui se conclura sur un combat, on a un état des forces en présence, et on sait, d’avance, comment ce dernier se résoudra. C’est là qu’interviennent les mécaniques de gacha.
« Shut up and take my money » (non)
« Gacha », passé simple du verbe gâcher ; compromettre quelque chose par un mauvais usage. Et en effet, ces mécaniques dites de « gacha games » abiment de façon générale le gaming mobile, en faisant tout pour que le joueur passe répétitivement à la caisse. Nier Reincarnation ne déroge pas à cette triste règle.
Le jeu fonctionne avec un deck de personnages et leur équipement. La somme de toutes les caractéristiques nous donne une idée de la puissance de notre groupe, qu’on peut comparer avec la puissance attendue pour résoudre l’histoire devant nous. Et au bout de deux ou trois heures de jeu, on ne possède déjà plus que la moitié de la force nécessaire.
La solution pour avancer sera alors de s’offrir des nouvelles armes, peut-être de voir un nouveau personnage suffisamment puissant répondre à une invocation (payante !) ou dépenser des points pour faire progresser nos héros (points qu’on devra là encore payer une fois le maigre stock remporté en jeu épuisé…). Certes, pour les plus courageux (et/ou les plus radins), le jeu propose aussi des modes qui permettent de farmer des éléments pour faire progresser le deck poussivement, mais gratuitement. Encore faut-il avoir le courage d’y passer du temps malgré l’absence de gameplay, et donc de fun…
C’est clairement du pay to win éhonté. Et encore, « to win »… Pour gagner, encore faudrait-il au moins jouer… Ici, on est peut-être plus proche du « pay per view » (pour rester dans les anglicismes) tant on se sent simple spectateur. À la rigueur, et ironiquement, peut-être vaut-il mieux attendre qu’un utilisateur de Twitch ou autre plateforme du genre streame le jeu pour le découvrir. Quitte à être spectateur…
NieR Reincarnation est une grosse déception, à la hauteur de l’amour qu’on porte à la licence. C’est d’autant plus rageant que les décors sont magnifiques, les scénarios sont bien en place et réussis, et la musique, avec toujours Keichi Okabe à la composition, est parfaite. On voit que les moyens ont été mis pour avoir un beau produit.
Hélas, c’est le genre dans lequel il s’inscrit, le gacha, qui vient complètement mutiler l’expérience, annihilant toute forme de gameplay pour s’assurer que le joueur passera bien à la caisse. Ce sera, en ce qui nous concerne, le contraire qui se produira : la désinstallation pure et simple du jeu, dont on ne gardera rien de plus qu’un goût amer dans la bouche.