À la question « quel est votre meilleur titre indé ? », il y a de fortes chances que le nom de Gris soit mentionné entre un certain Celeste et un autre dénommé Tunic. Il faut dire que la première production des Espagnols de chez Nomada Studio avait fait forte impression de part sa splendide direction artistique et sa narration efficace. Gris a sensiblement marqué les esprits de nombreux joueurs, en portant le jeu vidéo au rang d’œuvre d’art (loin d’être le seul). Toile de maître, voilà le qualificatif utilisé dans notre test de l’époque, une œuvre interactive aux multiples interprétations.
Six ans plus tard, maintenant que la surprise est digérée, Nomada Studio dégaine son second jeu intitulé Neva. La pression est grande, l’attente est de mise. Quelques secondes suffisent pour s’apercevoir que la formule sera à l’identique. Dès le premier visionnage du trailer, un élan poétique nous envahit, une majestueuse aventure est sur le point de commencer.
(Test du jeu Neva sur PlayStation 5 réalisé via une copie fournie par l’éditeur)
Si Hayao Miyazaki faisait un jeu vidéo
Pardonnez d’évoquer directement le maître de l’animation japonaise, mais tout transpire le Studio Ghibli (et surtout Princesse Mononoké) dans ce Neva. Chaque environnement est d’une beauté saisissante, un tableau à savourer sans aucune retenue. Le style couleurs pastel fait des merveilles, Nomada Studio nous prouve définitivement qu’ils ont de grands artistes dans leur rangs. Il ne sera d’ailleurs pas rare de poser sa manette juste pour contempler (et écouter) le spectacle que l’on nous offre.
Si son prédécesseur jouait la carte de l’abstrait dans son message autour du deuil, Neva se veut beaucoup plus concret (et donc compréhensible), même s’il y aura toujours matière à interprétation. Aucune ligne de dialogue, le jeu déroule son scénario uniquement à travers ses images et sa musique. Tout est soigneusement réfléchi pour servir l’immersion, laissant le joueur avec les bruits de la forêt comme seul compagnon de route.
Neva, c’est le nom de l’imposant loup blanc, faisant équipe avec une vaillante héroïne (que l’on incarne) afin de lutter contre la corruption. Les animaux se meurent, la végétation disparait. Souillé par une sombre matière, le monde tel que l’on connait s’éteint à petit feu. Spectateur de ce funeste spectacle, le duo devra user de sa force pour arrêter la propagation. Le combat pour la survie est certes le thème principal, mais d’autres sujets sont entremêlés : celui de la vengeance, de l’héritage, du cycle éternel… Neva est bien plus profond qu’il n’y parait, et donnera du sens à celui qui veut bien en donner.
Si Miyazaki a son Joe Hisaishi pour enrichir musicalement ses créations, Nomada Studios peut compter sur le compositeur Berlinist. Le jeu n’aurait clairement pas le même impact sans sa bande-son. Celle-ci accompagne parfaitement le conte, aussi bien dans ses moments tragiques que dans la joie. On ne peut que saluer le travail réalisé : quand la musique et le jeu vidéo ne font qu’un.
Un gameplay enrichi, une émotion intacte
Si nous ne tarissons pas d’éloges quant à l’expérience vécue, il est bon de préciser que Neva jouit de mécaniques de gameplay que l’on pourrait qualifier de sommaires. Sauter, rouler, attaquer avec l’épée, envoyer le loup à l’attaque, voilà en tout et pour tout la palette d’actions réalisables en jeu. Même si ici la simplicité rime avec efficacité, l’intérêt réside clairement ailleurs. On note néanmoins un enrichissement par rapport à Gris, là où il était impossible d’attaquer.
Neva est surtout un jeu d’aventure, plates-formes à défilement horizontal 2D parsemées de puzzles (surmontables) dans lequel on prend le temps. On prend le temps d’observer, de contempler, d’écouter et surtout de s’émouvoir (attention, les larmes seront fréquentes) devant la beauté des paysages et des scènes.
Et cette lenteur additionnée à la simplicité précédemment évoquée fait un bien fou. Dans cette frénésie qu’est devenu le jeu vidéo, Neva vous prend par la main le temps d’une poignée d’heures (nullement besoin de plus), le temps de vous conter une belle histoire, terminant son récit de la plus belle des manières. À travers ses créations, Nomada Studio se veut conteur de légende afin de nous délivrer un noble message par l’intermédiaire du prisme de l’émotion.
Parlons peu, parlons émotion. Celle-ci est au cœur de l’expérience mais encore faut-il se montrer réceptif et prendre le temps de l’apprécier. Neva n’est pas à mettre en toutes les mains, certains y verront un jeu trop pauvre, trop creux. Et ne seront pas à même de s’extasier devant ses charmes (sans jugement aucun). On ne discute pas des goûts et des couleurs, mais soyez prévenus que Neva est surtout une expérience avant d’être un jeu vidéo.
Neva a tout d’un grand jeu pour peu que l’on soit un minimum réceptif à l’art. Nomada Studio nous prouve que Gris n’était pas un coup de chance, que le studio possède définitivement des atouts de taille à faire valoir. En empruntant le thème universel de la nature en perdition et en enrichissant brièvement le gameplay au passage, Neva s’ouvre à plus large public et s’ancre davantage dans la réalité (sans pour autant abandonner le terrain de l’onirisme).
On le clame haut et fort : le jeu vidéo est d’abord une expérience, un vecteur d’émotions en tous genres. Et Nomada Studio est passé maître en la matière.