Passer après un grand succès est un défi redoutable. Alors que nous célébrions récemment les dix ans de Life is Strange, son successeur spirituel s’apprête à écrire sa propre histoire. Enfin, en partie du moins, puisque Lost Records: Bloom & Rage est scindé en deux volets, prévus respectivement pour février et avril 2025.
Le dernier-né de la branche montréalaise de Don’t Nod était attendu avec impatience par les amateurs de jeux narratifs. Entre ceux qui restent nostalgiques des aventures de Max Caulfield et ceux en quête de nouvelles histoires marquantes, l’attente était immense. Comment Lost Records: Bloom & Rage parvient-il à honorer l’héritage de Life is Strange tout en affirmant sa propre identité ?
(Test de Lost Records: Bloom & Rage (Tape 1) sur Steam réalisé via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Le club des 27
Été 95. Swann, Autumn, Kat et Nora vivent le meilleur été de leur vie. Elles ont entre 15 et 17 ans, traînent dans une petite ville paumée des États-Unis, écoutent du punk et mangent des glaces. Réunies par le hasard, amies par le destin, elles deviennent inséparables en l’espace de quelques jours.
Jusqu’à ce qu’un événement vienne tout bouleverser. Un après-midi, elles découvrent une cabane abandonnée dans les bois et en font leur refuge, un sanctuaire loin des adultes, des brutes et des règles. Mais quelque chose s’y est produit, quelque chose de suffisamment traumatisant pour qu’elles se promettent de ne plus jamais se revoir.
Avance rapide jusqu’en 2022. Nous incarnons Swann, de retour dans sa ville natale pour un mystérieux rendez-vous avec ses anciennes amies. La première à la retrouver est Autumn, marquée par les années et rongée par l’inquiétude. C’est elle qui a provoqué ces retrouvailles : elle a reçu un étrange colis portant la mention « Bloom & Rage » (le nom de leur groupe de punkettes) et une référence à l’été 95.
Vingt-sept ans après leur serment, il est temps de faire face aux souvenirs. Mais que s’est-il réellement passé cet été-là ?
Souviens-toi l’été dernier
Swann, grande passionnée de cinéma, filmait tout avec son caméscope dernier cri. Ce sont ces images, mises bout à bout, qui permettront au groupe de reconstituer son passé et de se rappeler ce qu’il aurait préféré oublier.
La mécanique principale repose sur l’exploration et l’interaction avec l’environnement. À travers des objets-clés – VHS, walkmans, téléphones filaires ou même un Furby – le jeu distille une nostalgie palpable pour quiconque a grandi dans les années 90.
Swann dispose aussi d’une liste de souvenirs à filmer (appelés des Mémoires), certains obligatoires pour progresser, d’autres optionnels pour enrichir l’histoire. Mais même si l’on est encouragé à fouiller, la progression reste guidée et linéaire.
Quant au mystère central, il demeure en grande partie opaque dans ce chapitre. On s’attarde davantage sur la naissance de cette amitié fusionnelle et la réunion de 2022 que sur les événements traumatiques de 1995. Frustrant ? Peut-être un peu. Mais quelques scènes aux accents paranormaux viennent semer le doute et nous tenir en haleine jusqu’à la conclusion du récit.
Quatre filles et un spleen
À force de conversations et de flashbacks, on apprend à connaître nos héroïnes. Swann, en tête, est une protagoniste attachante mais convenue, incarnant le stéréotype de l’outsider mal dans sa peau, avec en prime quelques poncifs un peu lourds sur son apparence. Face à l’antagoniste du jeu, les attaques sont presque exclusivement centrées sur son poids – une approche réaliste, certes, mais qui manque de nuances.
Autumn la skateuse, Nora la rebelle et Kat la poète : derrière ces « clichés » que les filles représentent se cachent des blessures profondes, une rage de vivre et une soif de liberté qui traduisent avec justesse les tourments de l’adolescence.
Pour quiconque a déjà connu ce sentiment d’incompréhension, cette envie de briser les barrières et de s’accrocher à une amitié comme à une bouée, Lost Records: Bloom & Rage résonnera profondément. Si Swann peine à convaincre individuellement, la synergie du groupe, elle, fonctionne à merveille.
The Velvet Cove Club
Difficile de ne pas penser à « Ça » de Stephen King et à son Club des Ratés en jouant à Lost Records: Bloom & Rage. Comme Stranger Things, le jeu puise dans cet imaginaire où une petite ville recèle des secrets bien plus sombres qu’il n’y paraît. La ville de Velvet Cove, c’est la légende urbaine racontée entre deux parties de billard, l’entreprise locale tentaculaire qui contrôle l’économie, les tensions latentes entre des habitants qui se connaissent trop bien. Une recette classique, mais efficace.
Là où Lost Records: Bloom & Rage peine à marquer les esprits, c’est sur sa bande-son. Life is Strange doit une grande partie de son identité à son accompagnement musical soigné, et on aurait pu s’attendre ici à une playlist rock 90’s aux accents Riot grrrl. Mais au lieu de ça, le jeu opte pour une ambiance synthwave moderne, immersive mais peu mémorable. Un choix qui contraste avec l’omniprésence de références à des groupes comme Bikini Kill, et qui laisse un goût d’occasion manquée.
Le jeu se rattrape avec son écriture. Le titre excelle à instaurer une atmosphère pesante, à suggérer une menace tapie sous la surface. Que s’est-il passé cette nuit de juillet 95 ? Pourquoi ce serment de silence ? Que contient le mystérieux colis ? Une première partie qui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, mais qui parvient à captiver jusqu’au bout.
Si vous vous dites que plus jamais, vous n’aimeriez revenir à vos quinze ans, il est peut-être temps de changer d’avis. Lost Records: Bloom & Rage (Tape 1) est une lettre d’amour aux amitiés féminines, à l’adolescence et à la pop culture des années 90.
Don’t Nod prouve une fois de plus sa maîtrise de la narration, livrant une expérience immersive qui vaut le détour. Il ne reste plus qu’à attendre avril pour que les pièces du puzzle s’assemblent enfin et que nos héroïnes trouvent la paix.