Initialement sorti en 2014 sur PlayStation 3 et 4, Like a Dragon: Ishin! n’était jusqu’ici pas sorti en dehors du Japon. Poussé par les demandes répétées des fans, mais aussi par le succès critique et public de Yakuza 7: Like a Dragon, ainsi que, probablement, par celui de Ghost of Tsushima, SEGA a décidé de nous offrir un remake de ce spin-off de la série Yakuza inédit en Occident. Mais même en ayant bénéficié d’un lifting graphique, le jeu, sorti il y a neuf ans jour pour jour, tiendra-t-il encore la route alors que le public est désormais habitué aux open worlds de la dernière génération de consoles ?
(Test de Like a Dragon: Ishin! réalisée sur Xbox Series X via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Serious Game
Avant qu’on ne puisse mettre les pads dessus, Like a Dragon: Ishin! était une sorte de fantasme de joueur. On aime la série des jeux Yakuza aussi (mais pas que !) parce qu’on a un peu d’appétence pour la culture japonaise. Alors pouvoir jouer à Yakuza au temps des samouraïs (insérer ici le mème « Shut up and take my money ! ») ? De plus, même si Ichiban Kasuga a fait un excellent job dans Like a Dragon, on était quand même très heureux de pouvoir incarner de nouveau Kiryu Kazuma. Ou tout du moins son ancêtre, Ryoma Sakamoto, qui possède le même modèle 3D, mais surtout les mêmes qualités que le Dragon de Dojima : classe, charisme, honneur et force brutale.
Le personnage a par ailleurs véritablement existé, comme la majeure partie du casting du jeu. Ce dernier raconte ainsi les événements historiques qui ont secoué le Japon dans les années 1860, à la fin de l’ère du shogunat Tokugawa, alors que le Japon se déchirait entre conservatisme et modernisme, ultra-nationalisme et ouverture sur le monde.
Le Shinsengumi, cette milice du shogunat que va infiltrer Kiryu Ryoma Sakamoto, a ainsi elle aussi réellement existé. Il est d’ailleurs assez frappant de réaliser que les objectifs et la violence de ses membres rappellent l’actualité la plus sombre, et la milice russe Wagner, qui se bat pour les intérêts du Kremlin comme le Shinsengumi protège le shogunat. D’autres nombreux événements racontés dans le jeu seront eux aussi historiques, comme ceux qui porteront Isami Kondo à la tête du Shinsengumi, ou encore l’épisode auquel le joueur prendra part et durant lequel la police parallèle du shogunat tendra une embuscade au clan Chosu, qui prévoyait une action « terroriste » contre le pouvoir. Like a Dragon: Ishin! est donc assez scrupuleusement basé sur des réalités historiques, ce qui donne à l’aventure une couleur particulière et d’autant plus passionnante.
Classic Yakuza
Le gameplay ne surprendra pas les habitués de la saga : il s’agit d’un jeu Yakuza classique, dans lequel on retrouvera un peu tout ce qu’on aime habituellement dans la série. Sorti originellement entre Yakuza 5 et Yakuza 0, il n’était pas encore question du système de tour par tour que nous avons découvert avec le soft reboot de 2020. On est ici sur le système classique de beat’em all, avec des combats aléatoires qui se déclenchent au gré de nos promenades en ville, ou contre des ennemis de plus en plus résistants au fur et à mesure de notre progression dans le scénario. Ryoma va lui aussi progresser en gagnant des points d’expérience tout au long de l’histoire, développant ses différents styles de combat et acquérant des combos de plus en plus dévastateurs. Un système hérité des jeux précédents qui ne surprendra personne, mais qui a fait ses preuves.
Par ailleurs, Yakuza, c’est aussi des quêtes secondaires allant du ton le plus grave à l’histoire la plus absurde, et d’innombrables activités annexes. Like a Dragon: Ishin! n’échappera pas à cette tradition. Contexte oblige, on n’aura pas – pour la première fois dans la série – accès aux classiques de l’arcade SEGA disséminés dans les salles de jeu de la ville. Cependant, les mini-jeux sont bien au rendez-vous : casinos, shogi, mah-jong, pêche, karaoké et même Nihon Buyo, un mini-jeu de rythme mettant la danse japonaise traditionnelle à l’honneur.
Une autre activité très prenante nous sera aussi proposée : prendre soin d’une petite ferme. On rencontrera une Haruka (la nièce de Kiryu Kazuma dans la série principale) des années 1860, héritière d’une petite exploitation dont il faudra s’occuper : cultures, récoltes, mais aussi préparations culinaires dans un mini-jeu de rythme ou encore gestion d’un carnet de commandes sont autant d’activités qui nous y attendent… Au-delà du scénario principal, il y a donc des heures et des heures de jeu, entre mini-jeux et quêtes secondaires, qui nous feront chacun découvrir par petites touches des aspects de la vie au Japon au milieu du XIXe siècle.
Emotion Engine
Malgré de nombreuses qualités et notre amour indéfectible pour la licence, il faut quand même se montrer honnête : le jeu reste un titre venu du passé, presque rétro. Certes, il bénéficie d’une surcouche graphique qui l’aide à se faufiler entre les productions actuelles, et les visages des protagonistes sont – comme d’habitude – assez réussis. Néanmoins, la modélisation reste souvent anguleuse, et malgré le « Smart Delivery Service » qui doit faire passer le jeu en mouture current gen, on ne se débarrasse pas de la sensation de jouer à un beau jeu de la génération précédente.
Il en va de même pour la réalisation. Si, grâce à ses décors et aux costumes des personnages, notamment, le titre est plutôt élégant, sa mise en scène reste très marquée « old gen ». C’est particulièrement visible lors des phases cinématiques réalisées avec le moteur du jeu : on a l’impression de voir les scripts qui lancent les mouvements de caméra ou les déplacements des personnages… Heureusement, la réalisation des cutscenes, très cinématographiques, est, elle, irréprochable, servie de plus par un doublage quasi-intégral (seules les quêtes secondaires sont privées de voix) et une traduction française (sous-titres seulement) particulièrement soignée : punchlines drôles et efficaces, termes japonais essentiels conservés en japonais pour une plus grande immersion dans l’histoire…
Enfin, si le jeu est parfois décrit comme un open world, les habitués des grands espaces de cette génération de machines seront vite à l’étroit compte tenu de la taille plutôt réduite de la carte, en comparaison avec les standards actuels. Heureusement, cette taille modeste est compensée par la foultitude d’activités proposées en plus du scénario.
The medium is the message
Yakuza, premier du nom, avait été pensé pour le public japonais. Jamais ses concepteurs, Toshihiro Nagoshi en tête, n’auraient imaginé à l’époque l’accueil international qui est aujourd’hui réservé à la série. Un positionnement qui avait même failli tuer le projet dans l’œuf…
L’histoire racontée dans Like a Dragon: Ishin! est celle d’une période troublée du pays, faisant écho à des comportements qui, certes, ne sont pas ceux de tous les Japonais, mais néanmoins encore très vivaces dans le pays aujourd’hui : manque d’ouverture, racisme, ultra-nationalisme… C’était déjà plutôt courageux de la part du studio de s’attaquer à cette facette de l’histoire de l’Archipel à l’époque de la sortie du jeu, ça l’est encore plus quand il s’agit d’exposer cette période aux yeux du monde entier avec la sortie internationale de ce remake.
Une histoire qui fait écho à celle d’Ichiban Kasuga, qui, après avoir passé quelques années en prison, a raté les révolutions du smartphone et d’internet, et ne reconnaît plus le monde dans lequel il vit. Dans Like a Dragon: Ishin!, on croise des japonais qui s’accrochent à un mode féodal à l’agonie ; des étrangers curieux et enthousiastes qui viennent découvrir les merveilles culturelles que le Japon a à offrir, mais qui sont aussi accueillis par des groupuscules xénophobes effrayés par les changements qui se profilent ; des personnages qui n’hésitent pas à regarder du côté des propositions de l’Occident, au risque de passer pour des traîtres… Le tout dans un jeu techniquement d’une autre époque, pensé pour un public restreint, mais au propos résolument actuel et qui aura su séduire aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est.
Like a Dragon: Ishin! est un jeu à plusieurs couches. On ne peut pas évacuer son côté un peu rétro, ses limitations techniques visibles autant graphiquement que dans les dimensions de la carte. Mais c’est aussi un jeu généreux, proposant une foule d’activités prenantes, à la mise en scène élégante, et au propos qui, s’il sait se montrer burlesque, est aussi une vraie escapade culturelle, passionnante, parfois grave ou poétique.
C’est un jeu maîtrisé comme peu savent le faire, et quand on pense qu’il a déjà presque dix ans, on se prend à rêver de ce que pourront nous proposer les studios Ryu ga Gotoku avec le prochain jeu « canon » qui marquera le retour aux affaires de Kiryu Kazuma !