Pas facile de tester Left Alive. D’abord, il y a un jeu qu’on attend, qui semble taillé comme hit : édité par Square Enix, il est développé par une équipe de superstars dont le background comprend du Metal Gear Solid, du Final Fantasy ou du Kingdom Hearts… Un jeu d’infiltration qui porte la signature de Kojima Productions via Yoji Shinkawa au chara design (Hideo Kojima lui-même n’a rien à voir dans cette histoire), des premières annonces il y a quelques mois qui faisaient part d’un jeu ambitieux…
Et puis il y a les premiers retours venus du Japon. Le jeu, bien que soutenu par le Weekly Famitsu, se plante en termes de ventes (moins de 20 000 exemplaires écoulés en premières semaine quand Kingdom Hearts III s’était vendu à plus de 640 000 copies !), les joueurs qui découvrent le jeu sont en colère et commencent à le faire savoir. Les sessions de streaming se retrouvent bloquées par Square Enix. Aïe ! Nous l’abordons donc avec quelques réticences, mais avec l’envie de passer outre les peut-être quelques défauts, pour essayer de profiter à fond de l’expérience qu’on nous propose. Le naufrage annoncé aura-t-il lieu ?
(test de Left Alive réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
« C’était pas ma guerre ! »
Novo Slava, en Europe de l’Est, année 2127. La ville se retrouve théâtre du conflit des deux pays qui l’entourent, la Ruthénie et la République de Garmoniya. Cette dernière possède une force de frappe extrêmement puissante, et a mis à feu et à sang Novo Slava lors de son invasion.
On pense à la guerre du Viet-Nam, alors que les habitants se sont retrouvés mêlés bien malgré eux au conflit qui opposait les États-Unis et l’URSS. On pense à l’invasion de la Crimée, en Ukraine, par la Russie de Poutine ; on pense au Yemen, victime des tensions entre Iran et Arabie Saoudite… Left Alive, bien que mettant en scène des armes incroyablement dévastatrices, porte bien entendu une critique de la guerre, et est aussi une métaphore de ces conflits « par procuration ». L’introduction du jeu nous le dit : on est en 2127, et pourtant, l’humanité n’a rien retenu de ses erreurs. La scène d’ouverture est d’ailleurs très réussie.
C’est dans ce contexte que nous jouerons donc d’abord avec Mikhail, jeune soldat dont c’est la première fois sur le théâtre des opérations. Les avancées garmoniennes l’ont laissé blessé aux commandes de son wanzer hors d’état de marche. Les wanzers, (pour walking panzers ?) ce sont ces méchas qui servent de tanks nouvelle génération. Son wanzer HS, Mikhaïl va donc tenter de s’éloigner des combats pour survivre. C’est ici qu’intervient l’ingrédient principal du jeu : l’infiltration. En effet, quasiment désarmé, la meilleure stratégie pour ne pas mourir au combat sera de les éviter. D’autant que des méchas de 12 m de haut tiennent lieu de sentinelles…
Parallèlement à l’histoire de Mikhail, Olga, officier de la police ruthénienne, enquête sur la disparition de très jeunes filles quand les manœuvres militaires de la République de Garmoniya démarrent. Coincée sur le champ de bataille, comme Mikhail, elle devra ruser pour survivre. D’autant que sa conscience professionnelle de flic la pousse à venir en aide aux civils, eux-aussi pris dans les feux d’un conflit qui leur échappe.
On jouera donc en alternance l’un des personnages, puis l’autre, au gameplay assez similaire. Un troisième personnage jouable fera son apparition après quelques niveaux, mais nous n’en dirons rien ici pour ne pas trop en dévoiler sur le scénario.
«You can dust it off and try again, try again» (Aaliyah)
On l’a vu, le jeu est donc essentiellement un jeu d’infiltration. C’est peut-être son premier tort. Enfin, pas tout à fait : on adore les jeux d’infiltration, et il n’y en a sûrement pas assez à jouer cette carte à fond. Mais un peu partout, y compris sur le site officiel du jeu, il est décrit comme un jeu de tir. Or, dans Left Alive, essayer d’éliminer un ennemi à l’arme à feu, c’est très (très, très) souvent courir à une mort certaine. Déjà, parce que l’armée garmonienne est suréquipée, et qu’il faudra au moins vider un chargeur dans un soldat pour espérer s’en débarrasser. Et outre le fait que ce dernier risque de répliquer, le bruit alertera les compagnons dudit soldat, les drones armés qui patrouillent dans la zone, et les fameux wanzers hauts comme des immeubles de 6 étages. C’est donc une pluie de plomb diluvienne qui s’abattra sur vous à la moindre tentative d’utilisation de la manière forte.
Voilà qui pourrait être la cause d’une méprise générale, et de l’incompréhension des joueurs. Left Alive serait donc un TPS où on ne peut pas tirer ?! Pourtant, les développeurs ont bien communiqué sur le sujet : il sera impossible d’aller au bout de l’aventure à coup de flingues. Ce qui est encore répété dans les didacticiels du jeu : « D’innombrables ennemis attendent. Essayer de les affronter directement n’aura qu’une conséquence. » Et par « conséquence », il faut entendre « la mort ».
Non, pour sa plus grande partie, Left Alive se joue dans la discrétion et la ruse. Tirer un unique coup de feu sera possible, par exemple pour éliminer un drone un peu embêtant, mais seulement à condition qu’il n’y ait pas d’autres ennemis à proximité immédiate. Cependant, une seule balle ne sera jamais suffisante pour éliminer un soldat. Il faudra donc ruser. Entre alors en jeu l’une des mécaniques principales du titre : les gadgets.
En ramassant des débris tout au long des niveaux, Mikhail et Olga peuvent crafter des gadgets afin de piéger leurs ennemis : mines, bombes à déclenchement télécommandé ou autres câbles piégés venant faire exploser ou s’enflammer quiconque s’y prendrait les pieds… Ces gadgets deviendront vite notre outil principal quand il s’agira de détourner l’attention d’un garde pour se faufiler derrière (lancer une simple bouteille vide fera alors l’affaire), ou quand il faudra éliminer un ou plusieurs ennemis nous barrant la route, via des bidons explosifs ou les classiques mais plutôt efficaces cocktails Molotov, jusqu’aux mini-tourelles défensives.
Alors pas de fusil de sniper, pas de couteau à la Rambo qui, en arrivant par derrière, nous permettrait d’éliminer l’ennemi en toute quiétude. Il y a bien moyen de ramasser un morceau de tuyau, ou une pelle, pour se débarrasser d’éléments gênants sans tirer de coup de feu, mais ne comptez pas sur les adversaires pour mourir tranquillement en silence ! On perd complètement nos repères de vieux routiers du stealth. Olga possède quand même un taser, permettant d’immobiliser au sol un soldat quelques secondes, mais cela ne la dispensera pas de lui asséner ensuite 2 ou 3 coups de pelle dans le crâne pour être certaine qu’il ne se relève pas. Au risque que les coups en question déclenchent des cris, puis l’alarme…
Tout cela est logique, cohérent, au niveau de l’univers et du scénario, mais rude question gameplay.
«On voit les qualités de loin et les défauts de près» (V. Hugo)
Ainsi, à la moindre détection, c’est le game over quasi-assuré. Dans les zones les plus désertiques, un demi-tour au pas de course pour aller se cacher derrière une caisse suffisamment éloignée peut nous sauver, l’IA extrêmement limitée étant à la fois nulle à cache-cache, tout en ayant la très mauvaise habitude de regagner son poste rapidement, comme si de rien n’était, même après avoir pris une balle ! Dans les endroits où les troupes sont plus nombreuses, et puisque nous avons jusque-là évité les patrouilles sans les éliminer, un retour en arrière ne fera que nous envoyer dans les bras d’autres ennemis.
Le jeu, difficile, prend alors des allures de die & retry, nous laissant explorer au rythme de nos morts différentes voies, à la recherche de celle qui nous permettra de progresser. Si cet aspect n’est pas un frein en soi (qui n’a pas aimé Super Meat Boy nous jette la première pierre), il n’est absolument pas pensé comme tel dans le jeu ! Grave erreur de game design : alors qu’on sait qu’on court à une mort certaine, il n’y a aucune option pour écourter la fin, recommencer la séquence.
Nous voilà condamnés (!) à attendre de longues secondes que les ennemis achèvent notre personnage, impuissants, pour ensuite subir un écran de chargement avant de revenir à la dernière sauvegarde. Point de sauvegarde qui peut se trouver à 10 ou 15 minutes de jeu de la séquence qui nous a posé problème. Ce temps perdu à attendre, puis à rejouer encore et encore des phases déjà maîtrisées peut rapidement conduire à l’abandon de la partie.
Autre souci de game design : le combat. Le point de vue est situé à la troisième personne, mais la caméra se rapproche pour être presque en vue subjective lorsque l’on vise. Et ce petit mouvement de caméra, conjugué au recul du personnage quand ce dernier prend des dégâts, ainsi qu’ la relative lourdeur des contrôles rend les combats au contact simplement illisibles. Alors on l’a assez répété, de toutes façons c’est un jeu d’infiltration, les combats, il faut les éviter ; Fredéric Raynal, créateur de Alone in the Dark, disait d’ailleurs en interview à propose de son jeu quelque chose qui irait très bien à Left Alive :
« Oui, il y avait des armes, mais volontairement elles ne servaient pas à grand-chose parce qu’il y avait toujours des moyens différents… »
Le manque de jouabilité en combat de Left Alive serait donc tout relatif ? Sauf que le titre nous force à l’action dans certaines scènes scriptées, et dans les missions secondaires où il s’agit d’escorter des civils. En effet, pour sauver les habitants de Novo Slava perdus au milieu du conflit, on leur indique la route vers l’abri le plus proche. Route sur laquelle nous n’avons pas la main. La seule chose qu’on puisse faire, c’est débarrasser le chemin de toutes menaces. En allant au contact. Qui est particulièrement désagréable à jouer …
Le tableau dépeint est plutôt sombre. Pourtant, le jeu possède aussi son lot de qualités : une mise en scène soignée, la présence inquiétante des wanzers, qui réussit à mettre en place une tension permanente, les phases jouissives de shoot aux commandes des méchas (Left Alive devient alors effectivement un jeu de tir !), ou encore le level design réussi qui reste dans la tête une fois la console éteinte. Bloqué dans un niveau, il est arrivé qu’on repense à la map, pour découvrir « mentalement » une route qu’on n’avait pas explorée… pour rallumer la console et enfin finir le niveau ! Un exploit que réussissent peu de jeux.
Cependant, pour apprécier réellement ces qualités, il faudra fermer les yeux sur de trop nombreux défauts.
Le genre infiltration reste peu représenté. À part Hitman 2 et ses mécaniques spécifiques (déguisements…), il faut probablement remonter à Metal Gear Solid V pour retrouver un titre AAA dans le genre (on a bien vu Styx, ou Aragami, mais leur ambition était moindre). Cela rend la déception Left Alive plus amère encore. D’autant que le jeu n’est pas dénué d’atouts. Mais entre l’IA qui a tout d’une SA (stupidité artificielle), et un game design qui cumule les maladresses, il faudra s’armer de courage pour jouer à Left Alive.
Cela dit, celui qui saurait passer outre ces manques évidents trouverait face à lui un titre exigeant, dans lequel les victoires sont aussi satisfaisantes que difficiles à obtenir. Notre conseil, si vous n’étiez pas totalement découragé : attendre une baisse de prix (qui devrait arriver tôt…) avant de tenter l’aventure.