Suite à un Kickstarter, Kingdom Come: Deliverance avait créé la surprise en 2018 auprès des amateurs de RPG. Fort d’un parti pris axé sur le réalisme, aussi bien dans son gameplay que dans son contexte historique ancré dans le royaume de Bohême (grosso modo l’actuelle Tchéquie) au début du XVe siècle, et malgré de nombreux problèmes techniques, le titre s’était écoulé à plus de huit millions d’exemplaires en novembre 2024.
Les plus grandes gloires occidentales du genre ne sont aujourd’hui que l’ombre d’elles-mêmes (salut BioWare, Bethesda et Obsidian dans une moindre mesure), naviguant entre le passable et la friandise moyenne gamme qui traversera votre esprit comme une pensée éphémère pour la grande majorité. Mais Warhorse Studios fait partie de la nouvelle relève de cette frange du RPG, qui est définitivement européenne. Kingdom Come: Deliverance 2 était donc logiquement attendu au tournant. Saura-t-il à minima sublimer les bases posées par le premier opus ?
(Test du jeu Kingdom Come: Deliverance 2 sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Notre Royaume sous de telles lueurs
Tout autant que son prédécesseur, Kingdom Come: Deliverance 2 se veut comme une fenêtre sur la fin du Moyen Âge en Europe centrale, laissant tout élément fantastique de côté. Les amateurs d’histoire seront donc à nouveau ravis par ce cadre toujours aussi original pour le genre et par le souci du détail des Tchèques de Warhorse Studios.
Vous aurez tout le loisir de découvrir, dans un codex très fourni, comment fonctionnait le processus de frappe de la monnaie ou encore comment les villes géraient leurs ordures, sans oublier toutes les entrées sociétales, sociologiques ainsi que celles consacrées aux événements et personnages historiques que vous croiserez tout au long de l’aventure.
Le roi du royaume de Bohême, Venceslas IV, considéré comme un incapable, est enlevé par son demi-frère, le roi de Hongrie Sigismond de Luxembourg. Ce dernier a débarqué dans le royaume pour le ravager avec son armée de mercenaires coumans, éliminant les alliés du roi légitime au passage et entraînant ainsi une guerre civile entre les partisans des deux camps.
Vous incarnez Henry, fils de forgeron et devenu page d’un seigneur du camp des partisans de Venceslas IV. Dans le premier opus, vous vous êtes fait de puissants alliés, et vous aurez toujours pour mission de mettre fin au putsch de Sigismond, souvent par les armes, mais surtout en vous retrouvant au cœur des jeux de pouvoir des grands seigneurs impliqués dans le conflit.
La construction de l’open world repose sur une volonté de proposer une sorte de « simulation de vie » de l’époque, avec ses mœurs, ses coutumes et ses conflits. La cruauté de ce monde, de ses guerres sales mêlant fange et alcool, et du destin tout tracé dès la naissance de ses habitants est omniprésente.
Vous passerez surtout votre temps à gambader dans des plaines, des forêts ou de petits villages, peuplés de PNJ ayant leurs propres routines de vie. Le monde peut paraître vide, mais il est en réalité très agréable de se perdre dans cette nature primitive, sans les créatures hostiles de la fantaisie habituelle, et de résoudre les problèmes des uns et des autres.
Une atmosphère renforcée par un doublage tchèque très réussi (contrairement au premier opus), mais surtout par une technique très correcte. Le choix du CryEngine reste fort judicieux et nous épargne les performances exécrables et insupportables de l’UE5 dans la plupart des grosses productions actuelles, bien que d’énormes chutes de framerate surviennent en présence de plusieurs sources de feu dans votre champ de vision.
L’une des rares nouveautés de cet opus réside dans la présence de Kuttenberg, centre économique et commercial de la région. Une découverte relativement décevante après avoir parcouru uniquement des villages et des forts dans le premier opus : la ville semble un peu banale, voire superficielle, et à des kilomètres de l’extase ressentie lors de nos premiers pas dans le Novigrad de The Witcher 3.
Cette emphase sur le réalisme passe aussi, et surtout, par les interactions sociales de votre personnage, les activités comme l’alchimie et l’artisanat, mais aussi par un système de combat se voulant « technique ».
De feu et d’acier
Toutes les bases étaient déjà là auparavant et sont conservées dans Kingdom Come: Deliverance 2. Vos compétences augmenteront à force de pratique, et vous devrez aussi vous nourrir et dormir sous peine de subir de sévères malus pouvant mener à la mort.
Se laver et nettoyer vos vêtements est également relativement important pour vos interactions sociales, surtout avec la bourgeoisie. Porter une armure vous rendra plus intimidant, tandis que s’habiller en noble ou se vêtir de noir vous aidera à passer inaperçu lors de vos moments de filouterie.
Bref, une multitude de petites mécaniques de ce genre s’emboîtent et offrent une expérience globalement cohérente, même si elles restent avant tout des statistiques aux ficelles visibles, que l’on peut vite outrepasser en enchaînant quelques quêtes secondaires et un peu de loot, problème récurrent dans de nombreux RPG.
Le système de combat, lui, a subi quelques ajustements de bon goût. Vous pouvez frapper dans quatre directions différentes en orientant votre souris, contre cinq dans le premier opus. Mais c’est le timing qui fait tout le sel du combat : porter une attaque en rythme vous permettra d’enchaîner des combos, réussir un blocage parfait vous offrira une opportunité de contre, voire même de porter un coup meurtrier si vous positionnez votre arme dans la direction opposée à celle de l’adversaire.
Le tir à l’arc est toujours aussi gratifiant à pratiquer, et toucher votre cible procure toujours une certaine satisfaction. L’absence de l’arbalète et du canon à main avait été largement critiquée dans le premier opus pour des raisons de cohérence historique, mais ce manque est désormais comblé. Toutefois, ces deux armes sont franchement fastidieuses à utiliser en raison de leur temps de recharge très élevé.
Que le Ciel et l’Enfer s’en émeuvent
Abordons l’une des grandes réussites du jeu, mais aussi un point de déception loin d’être négligeable pour nous : son écriture, sa mise en scène et sa philosophie. Tout d’abord, la quête principale, tout comme certaines quêtes secondaires, sont d’une grande richesse.
La première est pleine de rebondissements et de variété dans son gameplay. L’épopée d’Henry nous tient en haleine jusqu’au bout, et prendre part aux jeux de pouvoir des bourgeois est définitivement très divertissant.
Le précédent opus avait aussi son moment d’éclat avec l’infiltration d’un monastère sur fond de Cluedo, hommage évident à Le Nom de la Rose d’Umberto Eco. Cependant, cette séquence restait perfectible et un brin frustrante. Kingdom Come: Deliverance 2 propose de nombreux moments similaires, mais bien plus digestes, comme l’infiltration d’un pourparler de nobles en se faisant passer pour un serveur, ou encore l’usurpation d’identité d’un légat du pape lors d’un conseil ecclésiastique.
Au fil de l’aventure, Henry s’entourera d’une belle bande de joyeux lurons, mercenaires et crapules notoires, dont l’écriture est particulièrement réussie. Ils ont tous une personnalité marquante et ne manqueront pas d’imprégner les esprits par leur charisme et leur morale chaotique.
La réalisation, quant à elle, offre quelques moments de grâce, notamment lors des phases de siège et certaines cinématiques à la mise en scène empreinte de poésie. Mais là où le bât blesse, c’est que Kingdom Come: Deliverance 2 ne porte pas de propos réellement intéressant alors que la matière est bien présente. Il se contente de nous balancer quelques miettes au visage à de fugaces instants, nous apportant une certaine frustration.
La mort d’un personnage persuadé de participer à une grande cause, avec une scène le confrontant à sa solitude écrasante, à ses péchés et à la futilité de sa vie ? Rien n’en est fait, aucun propos développé autour. L’infiltration du camp adverse, nous montrant que chacun a ses raisons de faire la guerre et que personne n’est plus légitime qu’un autre d’un point de vue moral ? Hop, cinq minutes, emballé c’est pesé, et aucune réflexion n’est construite.
Il en va de même pour les phases de siège, qui effleurent seulement l’horreur psychologique de devoir tenir des semaines entières face à la famine, aux assauts incessants et au désespoir des civils, simples victimes collatérales des grands de ce monde. Les fondations pour porter des réflexions philosophiques et enrichir le fond du récit sont bien là, mais laissées sur le bas-côté, et c’est bien dommage.
L’apologie de l’alcoolisme dans le jeu est aussi un point qui nous questionne. L’alcool est toujours présenté sous un jour positif : un certain prêtre ne parle latin qu’une fois mort pilo, d’autres personnages ont pour trait distinctif de mieux se battre en état d’ébriété. Certes, cela apporte des moments d’humour bienvenus, mais l’accumulation, doublée d’une absence totale de critique, rend la chose au minimum discutable.
Nous sommes sans aucun doute face à l’un des grands Action-RPG occidentaux de cette décennie, bien seul face aux productions américaines, au mieux passables. Un open world cohérent, dont les mécaniques de gameplay s’intègrent parfaitement à la volonté de proposer une expérience ancrée dans une réalité historique bien précise, font de Kingdom Come: Deliverance 2 un immanquable de ce début d’année.
Le tout est sublimé par un scénario marquant et des personnages qui le sont encore plus. Malgré tout, et même si ce n’est probablement pas un critère déterminant pour la majorité du public, le manque de portée philosophique et morale du titre l’empêche d’atteindre le statut de chef-d’œuvre. Il sera sans aucun doute inoubliable pour beaucoup, mais pas pour tous, certains en attendait peut-être un peu plus d’un terreau pourtant si fertile.