Kaze and the Wild Masks avait bénéficié d’une belle mise en avant durant le Steam Game Festival d’août 2020. Attirant l’attention d’un public de passionnés de jeux de plateforme et de rétro-gaming, le titre des Brésiliens de PixelHive était pour le moins attendu. Face à une très rude concurrence dans le domaine des platformers 2D et 3D sur tous les supports, le jeu made in Brazil prend le pari de s’inscrire comme un héritier de l’ère 16 bits.
Kaze semble assumer ses nombreuses influences, avec un scrolling horizontal très typé années 90 et une direction artistique volontairement rétro. Cependant, cela va-t-il suffire à l’imposer comme une nouvelle référence dans son domaine ? Conçu comme la promesse d’un hommage aux platformers des années Super NES/Mega Drive, tient-il toutes ses promesses ?
(Test de Kaze and the Wild Masks sur PlayStation 4 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Super Mario Kong The Hedgehog
Le titre vous fait vivre le périple de Kaze, une lapine au pelage bleu et à l’écharpe rouge fluide (clin d’œil à Strider ?). L’héroïne est mise au défi de ramener son île natale à son état originel, après que celle-ci a été frappée par une terrible malédiction. Elle est maintenant sous le joug de légumes maléfiques et assoiffés de sang, et comme si cela n’était pas suffisant, le meilleur ami de notre protagoniste, le dénommé Hogo, se retrouve privé de son corps et coincé sous une forme spectrale. Avouons qu’il nous en faudrait moins pour partir à l’aventure.
Le scénario n’est clairement pas signé Alfred Hitchcock, mais qui donc se souciait des scénarios des jeux de plateforme dans les années 90 ?
Après avoir choisi votre mode de difficulté, normal ou détendu, l’aventure commence. Dès les premières minutes de jeu, il apparaît comme évident que ce jeu a été réalisé par une équipe passionnée, amoureuse des Sonic de la Mega Drive (le premier niveau transpire le souvenir de la Green Hill Zone), de Donkey Kong Country, et de Mega Man. Les visuels sont véritablement saisissants, grâce à des couleurs chaudes et des personnages très vivants.
Les sprites, les arrière-plans et les environnements sont tous magnifiquement conçus, et raviverons des sentiments que vous avez ressentis en allumant votre console 16 bits favorite, mais avec une petite touche de modernité : les animations sont d’une fluidité sans faille et ne souffrent d’aucun ralentissement. Les niveaux offrent également suffisamment de variété pour rendre chacun plus divertissant visuellement que le précédent, des plans herbeux verdoyants aux grottes fantasmagoriques sombres en passant par la toundra arctique.
Ce n’est certes pas quelque chose que nous n’avons jamais vu auparavant, mais ces décors sont si bien réalisés et bien pensés que cette impression de familiarité ne sera en aucun cas un inconvénient pour votre périple.
Chaque ennemi ou protagoniste a fait l’objet d’un soin indéniable, l’héroïne a un charme fou, et chaque adversaire possède un design assez original. Les développeurs se sont appuyés sur les sketchs et travaux préparatoires de Daniel Romanenco pour donner vie aux personnages in-game. Et cela se ressent à l’écran ! Kaze a des mimiques très amusantes et attachantes, et on se surprend à sourire en la voyant froncer les sourcils à l’approche d’un boss.
Quant au bestiaire, même s’il n’est pas très étendu (comptez tout de même une trentaine d’ennemis différents, boss inclus), il est très varié. Chaque monstre a un design très original, et pourrait très bien trouver sa place dans un jeu Pokémon ! Tomate volante casquée d’une feuille de palmier, épi de maïs denté, cornichons sous-marins géants (qui tireront un sourire aux fans de Rick and Morty) et autres citrouilles enflammées se mettront sur votre chemin, et découvrir ces étranges créatures est particulièrement plaisant.
Toutefois, si le succès d’un jeu reposait uniquement sur ses graphismes, le juger serait bien simple. Qu’en est-il des autres aspects du titre ?
La guerre des Klonoas
N’allons pas par quatre chemins : le gameplay est ce qui fait véritablement briller le jeu. Votre personnage est très réactif, et réagit à la moindre sollicitation sans aucune latence (ce que nous attendons tous d’un jeu du genre). Les mouvements de base de Kaze vous seront très familiers si vous avez déjà joué à Donkey Kong Country ou au malheureusement oublié Klonoa.
Vous avez à votre disposition une attaque vers l’avant sous la forme d’une vrille qui fait tournoyer Kaze vers ses ennemis, un slam vers le bas qui peut être exécuté dans les airs et, bien sûr, le saut sur la tête d’un ennemi, toujours simple et efficace.
En cours de route, le gameplay évoluera grâce à la découverte d’anciens masques ancestraux, chargés de pouvoirs magiques, les fameux Wild Masks du titre. Ceux-ci donneront à Kaze, selon le masque, les capacités d’un aigle (pouvoir voler), du requin (nager rapidement et explorer les fonds marins), du tigre (un dash qui vous rend invincible pendant quelques secondes, et la possibilité de s’accrocher aux murs), et du dragon (qui vous met en mode « rush », et donne lieu à des niveaux s’apparentant aux courses de wagons de DK Country).
Autre point fort du tire, sa bande-son, composée par Paul Bohrer, l’un des co-fondateurs de PixelHive, et compositeur principal de la bande originale des aventures de Kaze. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le monsieur connaît son travail, et qu’il maîtrise parfaitement l’art de faire passer des émotions en musique. Ne vous attendez pas à des compositions à la Koji Kondo (Super Mario, The Legend of Zelda) ou Masato Nakamura (Sonic 1 et 2 sur Mega Drive), ni à la de la musique adaptative dont Olivier Derivière se fait le fer de lance.
Pour l’OST des masques sauvages, Paul Bohrer cite plutôt comme inspirations David Wise (DK Country une fois encore…) et Nobuo Uematsu (Final Fantasy). Point de « chip-tune » ici, la bande-son a été enregistrée avec de véritables instruments, et est d’une qualité rare pour une si petite production. Les thèmes intitulés « Lava Theme » ou « Jelly Dungeon » (hommage au travail de Yamaoka sur Silent Hill !) sont de petites perles mélodiques. Le compositeur déclarait il y a quelques semaines dans une interview concernant ses compositions (traduction libre) :
Les thèmes musicaux doivent être précis, pas ennuyeux et faire ressentir exactement ce qui se trouve visuellement à l’écran.
Et une fois de plus, la mission est accomplie. Aucune ombre au tableau, donc ? Pas vraiment malheureusement…
To Shinobi, or not to Shinobi
Direction artistique réussie, gameplay impeccable, OST soignée, Kaze and the Wild Masks a de sérieux arguments pour convaincre le public. Mais le tableau n’est pas aussi idyllique qu’il n’y paraît.
Évoquons la durée de vie, assez faible, l’auteur de ces lignes ayant mis moins de huit heures pour finir le jeu en ligne droite (en mode de difficulté normale). Avec une trentaine de niveaux classiques, vous arriverez avec un peu de persévérance à bout du boss final sans trop d’encombre. Certains niveaux vous opposeront une certaine résistance, mais rien d’insurmontable, la difficulté étant plutôt bien dosée. Cependant, les boss représentent de véritables caps de difficultés, qui risquent de décourager les moins patients d’entre vous.
Si vous souhaitez venir à bout du jeu en ayant tout découvert, ses artworks, ses niveaux bonus, ses boss secrets et débloquer ses 50 trophées, il vous en coûtera entre une quinzaine et une vingtaine d’heures.
Si précédemment nous soulignions la qualité des compositions de la bande originale, les effets sonores, quant à eux, sont un ton en-deçà de ce que nous attendions. Les cris de Kaze sont assez stridents et très répétitifs, seuls quelques bruitages accompagnent les apparitions et disparitions des ennemis, et nous aurions apprécié quelques voix pour accompagner les rares cinématiques.
Enfin, et ceci est presque douloureux à admettre : le jeu manque cruellement de personnalité. À force de vouloir rendre hommage à ses pairs, de nous offrir des clins d’œil appuyés à Sonic, Mario, Donkey Kong et consorts, le titre se perd quelque peu. Peut-on se définir uniquement par son héritage ? Force est de reconnaître que la réponse est non. D’autres jeux de plateforme ont su s’affirmer en tant qu’entité propre, Limbo, Celeste, le remake de Wonder Boy… Kaze n’y parvient malheureusement pas. Sa seule véritable originalité qui lui permette de sortir du lot est la gestion des masques magiques, qui est tristement sous-exploitée.
Quel dommage que l’usage des masques soit soumis à certaines zones précises de quelques niveaux… Nous aurions tant aimé pouvoir retraverser les niveaux en choisissant un autre masque, en volant, nageant, ou en utilisant de nouvelles capacités…
Ceci n’enlève en rien les qualités intrinsèques de Kaze and the Wild Masks, qui est un très bon platformer 2D, et qui fera sans nul doute le bonheur des nostalgiques. Nous lui prédisons également un bel avenir auprès des speedrunners et autres onelifers, le titre se prêtant tout à fait à ce type de pratique.
Kaze and the Wild Masks est comme la lettre d’amour d’un fan à son idole favorite. Touchante, réjouissante, mais malheureusement imparfaite et parfois maladroite.
Nous avons ici affaire à un titre plein de bonne volonté, riche de nombreuses bonnes idées, mais auquel il manque ce « je-ne-sais-quoi » de folie ou de finition supplémentaire pour atteindre le statut d’indispensable. Il s’agit d’un jeu qui fera le bonheur de ceux qui veulent plonger la tête la première dans une promenade sous forme de best-of des années 16 bits.
Enfin, insistons sur le fait que pour une première production d’un petit studio, PixelHive a frappé très fort. On vous invite à ajouter un point à la note si vous êtes un nostalgique de la plateforme de l’époque Super NES/Mega Drive, et à en retirer un si la nostalgie n’a pas de prise sur vous, ou que vous n’avez pas connu cet âge d’or.