Depuis quelques années, le genre musô, plutôt confidentiel jusque-là et presque uniquement représenté par la série Dynasty Warriors, a su sortir de sa niche en s’associant à d’autres licences populaires. Désormais, pour tataner des hordes de centaines de monstres « chair à canon », on peut le faire avec les héros de Dragon Quest, Fire Emblem ou même The Legend of Zelda, via leurs déclinaisons « Heroes » ou « Warriors ». C’est d’ailleurs cette dernière licence Nintendo qui a, en quelque sorte, initié cette nouvelle mode et qui se présente aujourd’hui avec le troisième opus intitulé Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau.
Une nouvelle aventure donc, issue du partenariat entre Nintendo et Koei Tecmo qui a abouti à la création de AAA Games Studio, démontrant l’ambition derrière le développement. La franchise doit désormais prendre un tournant, et en tant qu’exclusivité Switch 2 majeure pour cette fin d’année 2025, elle bénéficie des meilleures conditions pour espérer figurer en bonne place sous le sapin. Mais l’ambition ne fait pas la qualité. Alors, Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau a-t-il vraiment les épaules pour tenir le rang qu’on lui confie, et a-t-il les armes pour s’imposer dans les foyers s’étant régalés sur les épisodes canoniques Breath of the Wild et Tears of the Kingdom ?
(Test d’Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau sur Switch 2 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Secret d’histoire en Hyrule
Aussi apprécié qu’a pu être le précédent épisode d’Hyrule Warriors, L’Ère du Fléau, beaucoup lui ont reproché sa trame scénaristique. En effet, en utilisant une pirouette narrative assez malvenue, on peut estimer que les équipes de développement ont fait une erreur qu’elles se sont empressées de corriger pour cette nouvelle aventure. Ainsi, la communication s’est beaucoup centrée autour de l’intrigue développée dans Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau, appuyant sur le fait que l’histoire contée est canonique et s’inscrit dans la chronologie officielle des jeux Zelda.
Notre périple se déroule donc dix mille ans avant les événements de Tears of the Kingdom durant lesquels la princesse Zelda fut transportée dans le passé suite au retour du fléau. Nous rencontrons alors Rauru et sa reine Sonia, entre autres, durant les fondements de la création d’Hyrule et le soulèvement du roi démon Ganondorf. Une bataille évoquée dans le jeu de la série principale (via les larmes de dragon) qui se trouve donc bien plus développée ici, avec l’introduction de personnages inédits, notamment le Korogu Calamo et son partenaire, un mystérieux golem cherchant à protéger les terres du fléau.
On retrace ainsi les différents événements clés de la légende qui s’avèrent plaisants à suivre et captent notre intérêt d’un bout à l’autre, avides d’en apprendre plus sur le passé d’Hyrule. Pourtant, après avoir bouclé une aventure qui nous a tenus en haleine 35 heures environ, on se rend compte qu’on n’apprend au final pas grand-chose de plus que ce qu’on connaissait déjà. Une finalité assez logique d’ailleurs puisqu’en connaissant d’avance la conclusion et les principales étapes de cette guerre, il est bien difficile de nous surprendre.
Reste le caractère des personnages qui sont ici évidemment plus développés, avec notamment la nomination des premiers prodiges de la saga. On en apprend plus sur les aspirations du roi et de ses alliés, et on découvre l’existence du Korogu Calamo et de son golem. Deux personnages particulièrement réussis qui sont, en quelque sorte, le fil rouge de l’aventure, même si une nouvelle pirouette scénaristique (moins forcée que dans L’Ère du Fléau ceci dit), justifie leur absence de Tears of the Kingdom.
Ainsi, fondamentalement, Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau n’est pas vraiment un indispensable pour comprendre la légende. Il s’agit plus là d’un cadeau fait aux fans de la saga qui peuvent ainsi se replonger avec plaisir dans un univers tellement fascinant, une extension des événements rapidement expédiés dans Tears of the Kingdom, qui ne nous apprend pas toujours grand-chose mais qui est suffisamment intéressant pour qu’on suive avec attention la progression du conflit.
La bonne soupe musô
On taxe souvent les musô comme des jeux bourrins, dans lequel on passe notre temps à taper sans réfléchir sur des hordes de monstres sans cervelle par centaine. Les Hyrule Warriors seraient souvent considérés comme une évolution fan service de ce modèle. Dans les faits, difficile de le nier, mais ce serait néanmoins réducteur de s’arrêter à cette définition. Car si, effectivement, c’est plus ou moins toujours la même chose manette en main, les différents héros, leurs techniques et les divers objectifs à accomplir permettent d’ajouter de la variété et de l’intérêt à l’ensemble.
Combattre avec le Roi Rauru, la princesse Zelda, le Golem ou l’un des prodiges, par exemple, est une expérience différente, même si on reste sur la base de combos simples à sortir, à base d’attaques rapides ou puissantes. On peut d’ailleurs, à la volée, switcher en temps réel avec les équipiers choisis en début de mission, histoire de gagner en efficacité durant l’assaut et en variété de gameplay.
Là où le titre se démarque, c’est par les possibilités offertes au joueur pour se débarrasser des ennemis les plus retors. À l’instar des derniers opus classiques, on dispose d’une esquive qui, si elle est placée au bon moment, permet de bénéficier d’un mode ralenti bien pratique pour percer les gardes adverses.
Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau tire aussi son épingle du jeu grâce à ses attaques spéciales mises à disposition. Outre une jauge de coup fatal qui, une fois remplie, permet d’asséner un violent assaut aux monstres, il existe aussi de nombreuses combinaisons pour effectuer des attaques en duo, infligeant généralement de lourds dégâts ou des altérations d’état décisives. Des attaques qui varient en fonction des personnages avec qui on choisit de s’associer.
Alors effectivement, tout cela n’est pas toujours finaud. On tape comme un sourd jusqu’à pouvoir activer les pouvoirs les plus puissants. Pour plus de finesse, il y a une mécanique de contre. Parfois, les généraux, ces adversaires plus puissants défendant une position, pourront exécuter une attaque puissante, matérialisée par une aura rouge. Selon l’attaque effectuée, il est possible de la contrer au bon timing avec la technique adéquate (dans une sorte de pierre-feuille-ciseau) histoire de l’assommer quelques secondes.
Tout est fait pour qu’on puisse systématiquement prendre du plaisir à combattre sur le champ de bataille sans perdre du temps, y compris sur les monstres les plus puissants et l’ensemble est particulièrement efficace et plaisant à éprouver. On a toujours une solution à disposition pour continuer le combat et nous sentir actifs de notre propre bataille et même les plus puissants Lynels ne résistent finalement pas bien longtemps. Globalement, en mode normal, le titre reste accessible mais, afin de maximiser le challenge et les récompenses, des niveaux de difficulté supplémentaires sont aussi disponibles.
Manette en main, Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau est un excellent musô et même un excellent jeu. Les mécaniques sont bien rodées et on se prend au jeu de compléter entre chaque chapitre toutes les missions secondaires disponibles. D’autant que celles-ci sont plutôt courtes et se prêtent parfaitement aux séances de jeu express en mode portable de la console hybride de Nintendo.
Petit point sur la technique d’ailleurs, un reproche aussi formulé sur les épisodes précédents. Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau tourne comme un charme. Le titre ne souffre d’aucune baisse de frame rate (à part de temps en temps en cinématique, bizarrement), par exemple, et même en écran scindé, en coopération, l’ensemble est très réussi. On pourrait bien pointer du doigt un clipping pas toujours très heureux, avec des monstres apparaissant parfois à quelques mètres de notre héros, ou de l’aliasing par-ci par-là, mais rien de rédhibitoire.
Chroniques de répétition
Ainsi, avec une durée de vie aussi solide et un gameplay qui boucle rapidement sur lui-même, le spectre de la répétitivité n’est jamais bien loin. Pourtant, d’un bout à l’autre de l’aventure, le titre nous propose suffisamment de variété pour que la lassitude n’ait pas eu tant de prise que cela sur notre expérience. On pourrait notamment évoquer les missions de recrutement permettant d’obtenir de nouveaux personnages (même si le casting global est sensiblement moins important que dans L’Ère du Fléau) ou les missions « murmures » à accomplir durant les batailles afin d’obtenir des collectibles notamment utilisables pour faire évoluer les combos de nos héros.
Mieux, Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau nous propose même quelques séquences originales de shoot’em up où l’on doit tirer sur tout ce qui bouge alors que nous volons à dos de golem, un peu à la Panzer Dragoon. Et si on regrette que ces passages soient finalement assez rares, ils font partie des moments les plus plaisants de l’aventure. Mais malgré tous les efforts consentis pour renouveler le gameplay et les objectifs à accomplir, difficile de ne pas se rendre compte que la boucle ludique se répète beaucoup.
Alors l’ensemble est loin d’être toujours idyllique. On repense aux personnages disponibles par exemple. Les héros sont tous plaisants à découvrir, certes, mais on aurait aimé que les personnages tertiaires, issus des missions de recrutement, soient un peu plus foufous. Ils sont bien sûr systématiquement différents à manier, mais restent néanmoins conçus dans le même moule. On en est venu à les considérer un peu comme des reliquats des prodiges, et qui veut jouer avec des versions moins intéressantes que les personnages principaux ?
On pourrait aussi reprocher le manque de folies structurelles des missions. Le circuit est toujours plus ou moins le même, dans des environnements identiques (et encore plus dans les missions secondaires) et consiste uniquement à aller de camp en camp pour taper les boss. Aucune stratégie n’est indispensable, aucune pression mise par le jeu, nada. C’est dommage quand on sait que les Dynasty Warriors proposent de réaliser des actions en temps limités, obligeant à diviser notre équipe pour défendre nos places fortes et attaquer les repaires adverses.
Aussi, et c’est fatalement la conséquence logique d’une aventure aussi longue, la faiblesse du bestiaire crève l’écran. On combat toujours les mêmes monstres et boss, ceux-ci ne variant que par leur élément de prédilection. D’autant que sur certaines missions, on va généralement combattre plusieurs généraux, et se taper quatre ou cinq fois exactement le même boss renforce le sentiment de redondance déjà inhérent au genre. Le plaisir reste présent, mais on passe plus facilement en mode automatique, perdant forcément la magie de la surprise. Dommage.
Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau est un véritable bonbon à savourer pour les fans de la légende. Adaptant fidèlement l’univers de Tears of The Kingdom pour en étendre sa mythologie, les développeurs nous offrent là une aventure plaisante qui, si elle ne nous apprendra concrètement pas grand-chose, nous permet néanmoins de vivre avec nostalgie les événements évoqués durant les épisodes principaux de la saga. Mais si on y découvre bien les personnages au fondement d’Hyrule et comment Ganondorf a fomenté sa trahison, est-ce suffisant pour faire du jeu un indispensable ?
S’il ne s’agissant que de son récit, la réponse serait probablement négative, mais Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau est avant tout un très bon jeu et un excellent musô. Alors certes, le titre trébuche sur certains points centraux de l’aventure. Par exemple, en proposant moins de personnages que dans L’Ère du Fléau, on aurait pu espérer obtenir une plus grande variété et/ou folie dans les designs et combos, mais l’ensemble reste un peu trop sage et on se contentera généralement du casting principal de l’épopée. On regrette aussi la redondance structurelle de l’ensemble, mettant forcément en exergue la faiblesse du bestiaire et des environnements.
Pour autant, nous sommes sortis de l’expérience très satisfaits à la fois par la technique solide du titre, même en coopération, et par la richesse offerte par les combats, centrés sur le plaisir rapide et efficace. Le titre se permet même d’enrichir son gameplay par rapport aux opus précédents, grâce à ses mécaniques de contres, d’attaque duo ou même ses excellentes (mais trop rares) phases de shoot’em up. Ainsi, et malgré quelques maladresses, Hyrule Warriors : Les Chroniques du Sceau est parvenu à procurer beaucoup de plaisir au fan de Zelda que nous sommes, et c’est finalement sans doute la seule chose qui compte.


